Refonder la Sécu pour réaliser la République sociale

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Par son programme publié le 15 mars 1944, le Conseil national de la Résistance (CNR) fixait l’avenir émancipateur de la République sociale (1) Voir nos livres dans la Librairie militante du média en ligne Respublica en lui donnant un nom : « Les jours heureux ». Les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945 écrites par le gaulliste Pierre Laroque sous l’autorité d’Alexandre Parodi et l’installation comme ministre du Travail, le 21 novembre 1945, d’un grand républicain social, le cégétiste et communiste Ambroise Croizat permit à ce dernier de faire voter les grandes lois de 1946 de la Sécurité sociale, celles du 22 mai, 22 août, 13 septembre et 30 octobre(2)Idem..
Avec ce dispositif, la Sécurité sociale se développe autour de ses 4 principes révolutionnaires :

  • unicité de la Sécurité sociale (et non autonomie des branches),
  • remplacement du principe de charité par celui de solidarité : à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens,
  • financement par le salaire socialisé grâce à la cotisation,
  • et enfin introduction de la démocratie sociale avec l’élection par les assurés sociaux des dirigeants nationaux et locaux de la Sécurité sociale (24 avril 1947).

Il est à noter que la Sécurité sociale fut le marqueur le plus avancé de la République sociale voulue par le CNR, elle était la préfiguration du déjà-là autonome de l’État d’une future formation sociale post-capitaliste. Voilà pourquoi elle a été le centre de l’attaque lancée par l’oligarchie française.

Détruire la Sécurité sociale et instaurer le revenu universel !

De la grande attaque contre la Sécurité sociale orchestrée par le général de Gaulle en 1967 jusqu’à nos jours, le grand patronat, la droite et la gauche de gouvernement ont supprimé ces 4 principes révolutionnaires et ont engagé la phase de privatisation des profits et de socialisation des pertes et l’application du nouveau management public hérité de l’ordo-libéralisme allemand.

Comme aujourd’hui, le rapport des forces dans la lutte des classes est défavorable à la classe populaire ouvrière et employée et, comme il n’y a pas de bloc historique organisé et mobilisé avec elle et la jeunesse, nous vivons une période de recul de la Sécurité sociale malgré des mouvements de résistance qui, pour l’instant, ne sont ni unifiés ni centralisés.

C’est le projet de l’oligarchie capitaliste, lorsqu’elle aura détruit la Sécurité sociale, de la remplacer par un RUI pour solde de tout compte…

L’attaque de l’oligarchie sur la Sécurité sociale est tout azimuts : recul de la solidarité dans la branche santé-assurance-maladie (accroissement des inégalités sociales de santé – l’épisode de la crise du coronavirus en porte témoignage : masques, tests, impact des 100 000 lits supprimés, stratégie erronée durant toute la séquence entraînant une mortalité nettement supérieure à d’autres pays) ; reculs incessants sur les retraites ; perte du principe de l’universalité concrète, de la lutte contre la précarité et les inégalités  dans la branche famille ; recul de la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles ; transfert massif de la dette de l’État vers la Sécurité sociale ; volonté d’incorporer à terme le budget de la Sécurité sociale (beaucoup plus important que le budget de l’État) dans le budget de l’État ;  etc.

En préfiguration du projet oligarchique d’éclatement de la Sécurité sociale, la nouvelle branche Autonomie a été créée dans le code de la Sécurité sociale avec une architecture en contradiction avec celle de la Sécurité sociale, mais tout à fait compatible avec le projet de privatisation future de cette branche…

C’est alors qu’une fausse bonne idée a germé au sein de la petite bourgeoisie intellectuelle, celle du revenu universel inconditionnel (RUI), qui suggère de résoudre les inégalités sociales sans modification des rapports sociaux de production, sans tenir compte de l’anthropologie, sans tenir compte de la théorie monétaire (comme ceux qui voudraient partir dans l’espace sans tenir compte de la loi de la gravitation universelle) et donc sans comprendre que c’est le projet de l’oligarchie capitaliste lorsqu’elle aura détruit la Sécurité sociale de la remplacer par un RUI pour solde de tout compte (proposition connue depuis 1962 quand Milton Friedman, le pape du monétarisme,  a publié Capitalisme et liberté). Que d’énergie dépensée par la gauche bourgeoise depuis près de 60 ans ! Protégez-moi de nos amis, mes adversaires, je m’en charge ! 

Nos tâches politiques dans la séquence

Partons d’un constat global : pour retrouver le chemin de l’émancipation, de la conscientisation et de l’augmentation de la puissance d’agir, nous avons besoin d’un projet de République sociale. Mais pas de République sociale sans Sécurité sociale refondée. Leurs destins sont liés. Il s’agit de reprendre une stratégie de l’évolution révolutionnaire (Karl Marx 1850, Jean Jaurès 1901) en constituant un bloc historique mobilisé autour de la jeunesse et de la classe populaire ouvrière et employée (Antonio Gramsci). Cela implique toutes les ruptures nécessaires : démocratiques, laïques, sociales, écologiques ainsi qu’un retour de la démocratie sociale dans la Sécurité sociale, de l’entrée de la démocratie dans l’entreprise, et d’une remise en cause des formes du travail pour en finir avec le taylorisme et le fordisme (Bruno Trentin).

Pour la Sécurité sociale, pivot de cette République sociale, il faut revenir à la vision de la Résistance contre le projet oligarchique de sa suppression progressive et rétablir les 4 principes révolutionnaires d’origine. Il faut aussi basculer la branche Autonomie en gestion par l’Assurance-maladie, et débattre des extensions nécessaires. Car le but de la Sécurité sociale est bien de protéger les assurés sociaux et leurs familles de la naissance à la mort et pour cela il est indispensable d’étendre le champ d’application, dès que nous en aurons la possibilité, pour assurer enfin une protection à 100 %.

Car les 4 principes dont procède la Sécurité sociale (solidarité, à chacun selon ses besoins chacun contribuant selon ses moyens, financement par le salaire socialisé, démocratie sociale par l’élection et la participation à tous les échelons, unicité) peuvent étendus et adaptés à d’autres secteurs d’activité : la Confédération paysanne le propose pour l’alimentation, la Confédération Nationale du Logement pour le logement, la CGT pour la sécurité professionnelle, ou le mouvement social de 2021 pour les intermittents du spectacle. Chacune de ces propositions mérite attention, débats et argumentation.

Ici et là, des critiques de ces propositions se font jour. Nous répondons que nous devons d’abord analyser si ces critiques ne cachent pas en fait le refus pur et simple de développer ces 4 principes. Dans ce cas, nous devons au contraire favoriser le débat général sur l’extension. Et dans le cadre de ce débat, tout doit rester ouvert, y compris de proposer des modifications aux propositions déjà faites qui ne sont pas pour nous parole d’évangile.

Pour commencer, pour le champ actuel de la Sécurité sociale, nous sommes favorables à l’idée d’une Sécurité sociale intégrale à 100 %, à un pôle socialisé de la fabrication du médicament, à un commissariat spécifique de la recherche médicale doté d’un budget conséquent, à l’extension de la cotisation à tous les revenus du travail, à l’augmentation progressive des taux de cotisation pour améliorer les prestations, à un fort taux sur les profits non réinvestis dans l’appareil productif, à l’augmentation du nombre de lits hospitaliers – en commençant par la réanimation, les lits d’aval -, des lits SSR (soins de suite et de rééducation) et USLD (longue durée), etc.

Mais tout cela ne sera possible que si nous arrivons à modifier le rapport des forces dans la lutte des classes par une bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle. On pourra alors aborder une problématique plus globale. N’hésitez pas à nous rejoindre dans cette bataille 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir nos livres dans la Librairie militante du média en ligne Respublica
2 Idem.