À quoi servent les rapports du GIEC ?

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Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de publier le 20 mars dernier la synthèse de ses travaux des huit dernières années. Sont inclus dans ce texte les travaux du sixième rapport du printemps de 2022, que nous avions commentés dans ReSPUBLICA(1)https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/sixieme-rapport-du-giec-resume-pour-les-decideurs-une-occultation-problematique-1-2/7431301 et https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combat-ecologique/sixieme-rapport-du-giec-resume-pour-les-decideurs-une-occultation-problematique-2-2/7431339.
Cette nouvelle publication comprend 10 000 pages en anglais exclusivement pour le rapport lui-même. Que nous dit la lecture du « ‘Résumé pour les décideurs’ » (71 pages en anglais, y compris sur le site du ministère de l’Écologie…) dont chaque terme est négocié par les États membres du GIEC ?

« Situation actuelle et tendances »

Cette première partie confirme ce que nous savions déjà. Le GIEC rappelle que la température moyenne de la planète a augmenté entre 2011 et 2020 de 1,1 °C par rapport aux années 1850/1900, avec une accélération de cette hausse les vingt dernières années. Les activités humaines, principalement par le biais des émissions de gaz à effet de serre (GES), ont sans équivoque provoqué le réchauffement de la planète. En 2019, les émissions mondiales provenaient pour 79 % du secteur de l’énergie, de l’industrie, des transports et des bâtiments et pour 22 % de l’agriculture, la sylviculture et autres terres. Cette présentation a l’avantage de faire voir où les efforts doivent être portés en priorité. Le GIEC réitère que les contributions à cette hausse de température sont inégales, les puissances industrielles étant les principales responsables des rejets des gaz à effet de serre.

En revanche, ce sont les pays du Sud qui en subissent les conséquences les plus graves et les plus immédiates. « L’atmosphère, les océans, la cryosphère et la biosphère ont subi des changements rapides et généralisés. Le changement climatique causé par l’homme affecte déjà de nombreux phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes dans toutes les régions du globe. Il en résulte des effets néfastes généralisés et des pertes et dommages connexes pour la nature et les populations. » nous dit le GIEC.

Les impacts sur certains écosystèmes sont proches de l’irréversibilité, tels que les impacts des changements hydrologiques résultant du retrait des glaciers, ou les changements dans la composition de l’eau dans certaines montagnes et dans les écosystèmes arctiques en raison du dégel du pergélisol. Le changement climatique a également réduit la sécurité alimentaire et affecté la sécurité de l’eau, entraînant structurellement la spéculation sur les produits alimentaires à moyen et long terme.

« Adaptation-planification »

Dans la deuxième partie, beaucoup plus longue, le GIEC constate que la plupart des mesures d’adaptation observées sont fragmentées, progressives, sectorielles et inégalement réparties entre les régions. Malgré les progrès accomplis, il existe des lacunes en matière d’adaptation entre les secteurs et les régions, et elles continueront d’exister. Les écarts d’adaptation sont les plus importants dans les groupes à faible revenu. Par ailleurs, il y a de plus en plus de preuves de mauvaise adaptation dans divers secteurs et régions, c’est-à-dire des adaptations à court terme pour résoudre un problème immédiatement, sans tenir compte des répercussions sur les écosystèmes, la biosphère et sans modification des modes de production,comme par exemple les « mégabassines » ou même la voiture électrique. Comme toujours, l’inadaptation affecte particulièrement les groupes marginalisés et vulnérables. Nous pensons aux zones à faible émission (ZFE) dans nos villes.

Les principaux obstacles à l’adaptation sont les ressources limitées, le manque d’engagement du secteur privé et des citoyens, la mobilisation insuffisante des financements (y compris pour la recherche), le faible niveau de connaissances sur le climat, le manque d’engagement politique, l’insuffisance de l’aide publique au développement.

Les scénarios du GIEC

Le GIEC fait cinq scénarios, deux scénarios d’émissions élevées et très élevées qui doublent le niveau de rejets de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux actuels, respectivement d’ici 2100 et 2050. Un scénario où les émissions de CO2 se maintiennent au niveau actuel jusqu’au milieu du siècle et deux scénarios où les émissions sont très faibles ou faibles qui prévoient une diminution de CO2 jusqu’à un niveau nul respectivement vers 2050 et 2070.
Ces scénarios sont des projections quantitatives, nous avertit le GIEC. Ils ne sont ni des prédictions ni des prévisions. Les résultats diffèrent d’une région à l’autre. Par ailleurs le GIEC se veut neutre en ce qui concerne les hypothèses qui sous-tendent les scénarios de l’étude. Il ne « formule pas d’hypothèses explicites sur l’équité mondiale, la justice environnementale ou « intra-société» ou la répartition des revenus ». Autrement dit, il ne les prend pas en compte.
Sans surprise, plus les rejets de GES sont importants, plus les températures moyennes de la planète augmentent, de 1,5 °C/2 °C à plus de 4 °C. Le GIEC note que compte tenu des émissions de GES prévues en 2030 selon les contributions déterminées au niveau national annoncées en octobre 2021, « il est probable que le réchauffement dépasse 1,5 °C au cours du 21e siècle et qu’il soit difficile de limiter le réchauffement à moins de 2 °C. »

Certains changements futurs sont inévitables et/ou irréversibles, mais peuvent être limités par une réduction profonde, rapide et soutenue des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. La probabilité de changements abrupts et/ou irréversibles augmente avec l’élévation du niveau de réchauffement.

Dans tous les scénarios, le réchauffement continuera à court terme (2021/2040) principalement en raison de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. En conséquence, chaque région devrait connaître de plus en plus d’événements simultanés et de multiples changements dans l’impact climatique. Les vagues de chaleur et les sécheresses devraient devenir plus fréquentes, y compris des événements simultanés sur plusieurs sites avec l’intensification des cyclones tropicaux et/ou des tempêtes extra tropicales, et l’augmentation de l’aridité et des conditions météorologiques propices aux incendies.
Certains changements futurs sont inévitables et/ou irréversibles, mais peuvent être limités par une réduction profonde, rapide et soutenue des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. La probabilité de changements abrupts et/ou irréversibles augmente avec l’élévation du niveau de réchauffement. Les options d’adaptation qui sont réalisables et efficaces aujourd’hui deviendront limitées et moins efficaces avec l’augmentation du réchauffement climatique, y compris les options basées sur les écosystèmes et la plupart des options liées à l’eau. Leur efficacité diminuera avec l’augmentation du réchauffement.

Cependant, la faisabilité et l’efficacité des options augmentent avec l’intégration, l’approche multisectorielle et la mise en place d’un système de gestion des risques et des solutions qui différencient les réponses en fonction du risque climatique, qui traversent les systèmes et qui s’attaquent aux inégalités sociales. Les options d’adaptation ayant souvent de longs délais de mise en œuvre, la planification à long terme augmente leur efficacité, mais une fenêtre d’opportunité se referme rapidement pour assurer un avenir vivable et durable pour tous.
Une atténuation profonde, rapide et soutenue et une mise en œuvre accélérée de mesures d’adaptation au cours de cette décennie permettraient de réduire les pertes et les dommages prévus pour l’homme et les écosystèmes et d’obtenir de nombreux avantages connexes, en particulier pour la qualité de l’air et la santé. Le report des mesures d’atténuation et d’adaptation aurait pour effet de bloquer les infrastructures à fortes émissions, d’augmenter les risques d’immobilisation des actifs et d’escalade des coûts, d’en réduire la faisabilité. Des transitions rapides et de grande ampleur dans tous les secteurs et systèmes sont nécessaires pour parvenir à des réductions profondes et durables des émissions et garantir un avenir vivable et durable pour tous.

Enfin le GIEC insiste sur : « Donner la priorité à l’équité, à la justice climatique, à la justice sociale, à l’inclusion et à des processus de transition justes qui peuvent permettre l’adaptation, des mesures d’atténuation ambitieuses et un développement résilient au climat. Les résultats de l’adaptation sont améliorés par un soutien accru aux régions et aux personnes les plus vulnérables aux aléas climatiques. »

Le GIEC termine son résumé pour les décideurs par la gouvernance en affirmant : « Une action climatique efficace est rendue possible par un engagement politique, une gouvernance multi-niveaux bien alignée, des cadres institutionnels, des lois, des politiques et des stratégies, ainsi qu’un meilleur accès au financement et à la technologie. Des objectifs clairs, une coordination entre plusieurs domaines politiques et des processus de gouvernance inclusifs facilitent une action climatique efficace. Les instruments réglementaires et économiques peuvent favoriser la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la résilience climatique. »

Qu’en dit notre gouvernement ?

À ce propos, il n’est pas inintéressant de reprendre in extenso les propos des membres du gouvernement français sur ce rapport, en ayant à l’esprit les condamnations dont il a fait l’objet par le Conseil d’État pour l’insuffisance de sa politique climatique et environnementale : 


Le dernier rapport du GIEC nous le rappelle : le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé de la planète. Nous devons donc accélérer nos actions pour anticiper au maximum les risques que le changement climatique fait peser sur nos territoires. Les conclusions du GIEC seront la base sur laquelle nous allons fonder les travaux pour le 3e plan national d’adaptation au changement climatique. Le déni n’est plus possible.

Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la cohésion des territoires

Je salue le rapport du GIEC qui rappelle l’extrême urgence à réduire nos émissions si nous voulons éviter de dépasser un réchauffement de 1,5 degrés et les risques climatiques qui y sont associés. C’est tout le sens de l’action que je mène tant au niveau national avec deux lois sur l’accélération des renouvelables et sur la relance du nucléaire, qu’au niveau européen avec la réduction de 55 % des émissions européennes d’ici 2030 actée en juin dernier sous présidence française. Nous devons aller plus loin au niveau international, notamment en accélérant la sortie des énergies fossiles lors de la prochaine COP28.

Agnès Pannier-Runacher, ministre de la Transition énergétique

Bref, ce gouvernement fait tout bien. Nous ne sommes pas au bout de nos peines !