L’ouvrage d’Aurélien Bernier « Les voleurs d’énergie, accaparement et privatisation de l’électricité, du gaz et du pétrole » aux éditions Utopia (2018) est un ouvrage important dans le débat actuel sur l’Union européenne (élections de mai), la crise écologique (la transition énergétique) et le mouvement des Gilets jaunes (la précarité énergétique et les services publics).
La thèse est simple mais faut-il encore la mettre en perspective : le privé veut reprendre ce qui lui appartenait auparavant et les services publics du gaz et de l’électricité sont attaqués par tous les moyens. Le grand mérite de cet ouvrage est de sortir du débat technique (les techniques de production à privilégier) pour entrer dans le débat politique (les choix énergétiques) ; il fait un travail d’éducation populaire pour éclairer (sans jeu de mots) les orientations énergétiques qui nous sont imposées depuis plus de 30 ans. La question énergétique est une question avant tout politique, elle concerne chaque citoyen car l’énergie est à chaque instant au cœur des activités humaines.
A l’origine, les premiers systèmes énergétiques naissent de l’initiative privée (exploitation de la houille dans le Nord de la France, filière électrique par Siemens en Allemagne, General Electric aux États-Unis). Si une première structure publique naît au début du XXe siècle au Canada avec la création Ontario Hydro, c’est surtout au lendemain de la Seconde guerre mondiale qu’un large mouvement se développe pour nationaliser les énergies dans tous les pays européens. L’intervention des pouvoirs publics ont joué un rôle fondamental pour la constitution de réseaux fiables desservant tous les territoires.
Pour Aurélien Bernier, c’est le processus chilien de privatisation de l’énergie électrique sous la dictature de Pinochet au début des années 80 qui va servir de modèle et sera repris au Royaume-Uni par Margareth Thatcher avant d’inspirer l’Union européenne et d’être imposé aux pays du Sud à travers la Banque Mondiale ou le FMI. L’argumentaire des libéraux repose sur un mensonge qui est répété ad nauseam : le secteur privé est plus efficace que le secteur public, alors que toute l’histoire de l’énergie contredit ce psaume libéral. Le processus de privatisation passe par le grignotage des fondations des services publics qui consiste à séparer les activités de production, de gestion des réseaux et de distribution. La concurrence est introduite en amont (production) et à l’aval (commercialisation). Les perspectives libérales sont de privatiser toujours et encore plus, supprimer les tarifs régulés et donc ouvrir à l’augmentation des prix, permettre soi-disant à chacun de choisir son fournisseur d’énergie, de transformer chaque ménage en micro-entreprise et au final d’achever un service public.
C’est la politique de l’Union européenne qui est ainsi mise en œuvre pour créer un grand marché unique et dérégulé de l’électricité et du gaz qui doit s’imposer à l’ensemble de tous les États membres. L’argument est toujours le même, le marché est efficace contrairement au service public et si ce n’est pas le cas, c’est qu’il n’est pas encore suffisamment « libre ». Durant les années 90, les directives se concentrent sur le démantèlement des monopoles nationaux et l’UE entérine la séparation juridique et comptable des activités de production, de transport et de distribution. La mécanique infernale s’emballe avec la loi NOME (« Nouvelle organisation du marché de l’électricité ») de 2010 qui répond à l’injonction européenne de libérer complètement le marché de l’électricité et impose à EDF de céder près du quart de sa production nucléaire à la concurrence. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Gaz de France (GDF) s’allie avec Suez et aboutit à la création d’ENGIE, société privatisée malgré la promesse solennelle de ne pas privatiser ce secteur énergétique. A présent, la Commission européenne a lancé la procédure de privatisation des barrages hydro-électriques.
La privatisation du secteur énergétique signifie, non pas de créer une politique énergétique, mais de mettre en place une rente énergétique ce qui rend caduc l’idée même d’aborder la question de la sobriété énergétique. Pour Aurélien Bernier, le secteur énergétique doit être renationalisé et socialisé. Instaurer un contrôle public sur l’énergie est insuffisant, il importe également de réduire la production d’énergie et d’aller dans le sens d’une réduction de la consommation.
Alors que la transition énergétique est dans toutes les bouches, la privatisation de l’énergie au nom de la libre concurrence est-elle la bonne réponse ? Voilà bien une question à débattre pour les prochaines élections européennes ?