Pourquoi l’écologie perd toujours

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Cet entretien avec Clément Sénéchal, auteur du livre Pourquoi l’écologie perd toujours, est le fruit de notre ami et camarade, fidèle lecteur de ReSPUBLICA, Jean-Noël Laurenti. Un lien est établi entre combats contre le capitalisme, pour la justice sociale et l’environnement. Son point de vue est intéressant sur l’écologie et le capitalisme. Le débat nécessite des avis divers et pluriels et le Comité de rédaction, bien qu’en phase avec l’essentiel du propos de Clément Sénéchal, n’approuve pas la position des trois organisations LFI, Révolution permanente et NPA dans la mesure où elles ne priorisent pas d’abord la lutte contre les énergies fossiles en considérant dans le court terme la nécessité d’un bouclage énergétique par le nucléaire. De même, le Comité de rédaction n’est pas en phase avec leur refus de la recherche sur le nucléaire de 4ème génération.

Question : Dans votre livre Pourquoi l’écologie perd toujours, vous concluez que le combat écologique implique le combat contre le capitalisme. Évidemment, l’union des divers combats avec le combat social est fondamentale pour ReSPUBLICA. Pourriez-vous résumer le cheminement qui, dans votre livre, vous amène à cette conclusion ?

Réponse :

Réduire notre empreinte matérielle globale

On peut d’abord parvenir à cette conclusion par un cheminement théorique, à condition d’avoir bien en tête la situation écologique générale : aujourd’hui, ce que nous consommons sous forme de biens et services excède les capacités de régénération de la biosphère (qu’il s’agisse du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles comme l’eau, etc.). Notre économie politique endommage donc notre écosystème de manière irréparable, jusqu’à mettre en danger la pérennité de l’espèce humaine elle-même. Nous devons aujourd’hui réduire notre empreinte matérielle globale, donc changer d’économie politique.

La concurrence libre et non faussée implique donc la destruction pure et simple de l’environnement

La concurrence libre et non faussée implique la destruction pure et simple de l’environnement, dans une fuite en avant perpétuelle.

Le capitalisme, qui repose sur la propriété privée des moyens de production et soumet de fait les échanges à la loi du profit actualisée par la marchandise (comme format général des biens), suppose donc d’augmenter de manière anarchique la production. Ce qui veut dire augmenter sans cesse le nombre de marchandises en circulation, quelle que soit leur utilité sociale. Or, chaque marchandise contient un morceau de la biosphère, qu’elle ingère et dégrade : ce sont les matières premières en amont (bois, minerais, eau, etc.), les externalités négatives en aval (émissions de CO2, pollutions chimiques, etc.). Réencastrer la production dans les limites de la biosphère s’avère donc contradictoire avec l’essence même de la loi du profit, qui exige au contraire de les excéder sans cesse pour des raisons de rentabilité privée. De manière très concrète, dans un système concurrentiel fondé sur l’échange de marchandises, aucune entreprise n’a intérêt à réduire ses profits : la concurrence libre et non faussée implique donc la destruction pure et simple de l’environnement, dans une fuite en avant perpétuelle – en l’occurrence, une course à l’abîme.

Protéger l’environnement signifie forcément le soustraire à la loi de la valeur capitaliste

Mais ce constat vient aussi de ma pratique en tant que chargé de campagne pendant plusieurs années à Greenpeace France, où j’ai pu constater que chaque régulation environnementale butait sur les intérêts du capital organisé. Protéger l’environnement signifie forcément le soustraire à la loi de la valeur capitaliste, donc endommager la rentabilité de certains secteurs d’activité économique. Or, comme le bloc bourgeois se donne pour seule mission d’augmenter la rentabilité du capital, sous son règne, ce type de réforme se change inévitablement en greenwashing, bien souvent avec une domination de classe additionnelle en faveur du capital et de ses groupes sociaux. J’ai été payé pour constater cela chaque jour : l’écologie n’est pas soluble au sein du capitalisme. Aucune réforme d’ampleur, même sectorielle, n’a été obtenue ces dernières années. La croissance verte est un oxymore, un mensonge tragique.

Q : Quels sont les acteurs sur lesquels, selon vous, une écologie de combat peut compter ?

Ambiguïté des Ecologistes sur la sortie du mode de production capitaliste

Il n’y a pas d’écologie sérieuse en dehors de la lutte contre le capitalisme. Au niveau politique institutionnel, des forces comme La France Insoumise, Révolution permanente ou le NPA mènent ce combat de manière ouverte et déterminée, ce qui me semble être un point d’appui précieux dans la lutte environnementale. En revanche, on ne peut hélas pas en dire autant des Ecologistes. Interrogée sur le plateau de l’Humanité (« Ça ira ») en décembre dernier, notamment sur la nécessité de sortir du capitalisme, Marine Tondelier, secrétaire nationale des Ecologistes, a eu cette réponse édifiante d’amateurisme : « Si vous voulez, mais il faudra me dire ce qu’on met à la place ». Elle n’a donc pas d’avis sur notre mode de production. Elle affirme ensuite que « l’anticapitalisme est une entrée écologique parmi 1 000 autres ». Très secondaire, en somme.

Ambiguïté du mouvement syndical qui a renoncé au dépassement du capitalisme

Les syndicats aussi devraient être un point de passage de la lutte écologique, car ils sont au contact des ravages de la compétitivité et de la productivité. Hélas, les grands syndicats sont devenus réformistes et se contentent bien souvent d’accompagner le mouvement néolibéral, avec un embourgeoisement notable des directions fédérales. Ces dernières parlent souvent de la charte d’Amiens pour justifier leur autonomie – parfois nuisible – vis-à-vis des partis politiques, mais elles oublient que cette charte donne comme but officiel du combat syndical la fin du salariat et « l’expropriation des capitalistes » par le moyen de la « grève générale ». Un mot d’ordre qui n’existe plus dans le discours syndical dominant, ni à la CGT ni à la CFDT, comme on a pu le voir lors de la dernière mobilisation contre la réforme des retraites, pourtant rejetée par une large majorité de la population.

Des « Soulèvements de la Terre »

Il existe enfin une écologie par « le bas », où s’élaborent en pratique des mondes non capitalistes qui entrent en dissidence avec l’ordre social dominant : les jardins populaires autogérés, les coopératives solidaires, les associations de quartier, les réseaux fondés sur l’art de la débrouille… Et le renouveau des luttes locales pour la reprise des terres et contre les grands projets inutiles, aujourd’hui coordonnées au bon niveau de confrontation par le mouvement des Soulèvements de la Terre.

Q : Vous avez publié votre livre il y a un an. Depuis, y a-t-il eu des évolutions ou des inflexions dans la façon de penser dans le monde de l’écologie « officielle » ?

Impasse de l’« écologie du spectacle »

Concernant les grandes ONG environnementales, si on observe certaines évolutions timides, notamment pendant les législatives anticipées, où certaines se sont positionnées en soutien du NFP, elles continuent dans les vieux schémas usés du plaidoyer et de la sensibilisation. Mais cette écologie du spectacle finit elle aussi par échouer dans sa propre logique, puisqu’elle n’occupe plus vraiment le devant de la scène. Je crois qu’elle n’intéresse plus personne, à part quelques journalistes en mal d’inspiration, quand ils doivent remplir leurs cases.

Livre bien reçu par certains collectifs et excommunié par l’écologie bourgeoise

De son côté, le livre trouve un véritable écho, c’est une bonne surprise. Je suis invité par beaucoup de collectifs et bien des gens, parfois militants, parfois non, m’affirment avoir été bousculés – dans le bon sens – par mes propos. Parce qu’il décrit plutôt bien, apparemment, ce que beaucoup de personnes vivent dans ce milieu ou perçoivent de loin : il problématise leur malaise. Sans surprise, j’ai néanmoins été excommunié par les pontes de l’écologie bourgeoise suite à sa publication, parfois publiquement, dans certaines émissions : Cyril Dion, Marine Tondelier, Cécile Duflot, Corinne Le Page. Ce milieu n’aime pas non seulement les critiques (car ils pensent incarner le bien), mais aussi la critique, dont ils ne perçoivent pas l’apport politique.

Q : Ces derniers mois ont été marqués par les révoltes d’agriculteurs fidèles au modèle agro-industriel et par la préparation de la loi dite de « simplification », qui en fait détricote la réglementation en matière d’environnement. Comment interprétez-vous cette régression ? « Chant du cygne » temporaire des tenants de l’ancien modèle, comme le veulent certains ? Ou signe de la radicalisation des conflits et de la faiblesse du mouvement écologique ?

Loi de « simplification », une régression pour réduire les régulations

Le pire de cette loi réside surtout dans la manière dont elle aggrave les conflits d’intérêts entre l’État et l’agrobusiness, en plaçant l’ANSES sous la tutelle du capital agricole. Si cette loi est bien sûr dramatique, elle n’est cependant qu’une régression parmi d’autres, qui suit les évolutions logiques du capitalisme : amoindrir toute forme de régulation pour continuer à cracher du profit dans un écosystème physique de plus en plus réfractaire. C’est une course à la mort. Le capitalisme « épuise la terre » (Marx) sans retour. Mais cette loi signe aussi la faiblesse de l’écologie institutionnelle et l’inanité de ses modes d’intervention, en particulier du plaidoyer auprès des ministres scélérats de François Bayrou, c’est-à-dire de la classe dominante. Cette déférence est inutile – il y a bien longtemps qu’elle aurait dû cesser. La classe capitaliste ne connaît que le rapport de force : elle se rit de la « sensibilisation » brandie en étendard par tous les professionnels de l’écologie.

Des agriculteurs piégés par le modèle agroindustriel

Ensuite, qu’une partie des agriculteurs épousent le modèle actuel, c’est bien normal. Certains en dépendent pour leur survie économique et sociale, même si cela signifie s’empoisonner à petit feu avec des pesticides. Mais ils ont des dettes à honorer : qui va les leur racheter ? D’autres sont davantage des businessmen sans scrupules que des paysans. Ils ne sont pas en premières lignes des pollutions chimiques et poursuivent simplement l’intérêt lucratif qui commande d’augmenter coûte que coûte la productivité de leurs grandes exploitations, quitte à saborder leur pérennité. La lutte des classes passe aussi au sein du monde agricole, avec ses intérêts contradictoires et ses liens de subordination. Cette situation traduit l’emprise du capitalisme sur la Terre et sur les humains, qui sont d’abord confrontés à des choix pratiques, avant de pouvoir accéder à des préférences idéologiques. D’où l’urgente nécessité d’en sortir, en le combattant dans toutes les sphères du pouvoir.

Q : Que pensez-vous de l’attitude des partis de gauche à l’égard de l’écologie, et en particulier des prises de position à propos des Zones à Faible Émission ?

L’écologie bourgeoise et le déni du vécu des classes populaires

Le problème de l’écologie bourgeoise, c’est qu’en méprisant les couches sociales situées en bas de l’espace social, elle tend le bâton à l’extrême droite pour se faire battre – ce qui est par exemple le cas sur le récent vote contre les ZFE (Zones à Faible Émission) à l’Assemblée nationale. Les ZFE font partie du répertoire de l’écologie métropolitaine portée sur l’aménagement urbain des grands « pôles d’attractivité » urbain et conçue pour favoriser les classes urbaines supérieures, généralement blanches : sans surprise, elle est portée par la macronie, dont l’électorat est friand de ces mesures sectorielles, qui permettent d’améliorer leur cadre de vie et de valoriser leurs actifs immobiliers. Cette mesure permet, en plus d’opérer une ségrégation sociale discrète contre les classes populaires et leurs vieilles bagnoles, qui font tache dans l’espace patrimonial. Dépollution atmosphérique et nettoyage symbolique. Sans grande surprise, LFI et le RN se sont positionnés en faveur de l’abrogation de cette mesure à l’Assemblée nationale. Et le RN a pu trouver un élément légitime, offert par Les Ecologistes, pour travailler leur crédibilité sociale – l’une des composantes de leur marche au pouvoir.

Les Insoumis opposés aux ZFE taclés par Mme Tondelier

Mais le plus significatif, ce sont les remontrances de Marine Tondelier contre les Insoumis à la suite de cette passe d’armes parlementaire : interrogée sur France Inter dans la foulée, elle a considéré que seuls les Ecologistes défendaient réellement l’écologie, puisqu’ils étaient les seuls à gauche à soutenir cette mesure – de concert, en l’occurrence, avec… la droite libérale. Une manière de reconduire l’aveuglement social de l’écologie bourgeoise. Ou plutôt ses intérêts bien compris, à la veille des élections municipales de l’année prochaine, où les Ecologistes doivent défendre des mairies dans plusieurs grandes villes, seuls ou en coalition. Le problème, c’est que ce positionnement opère des recompositions dramatiques : il fait basculer des pans entiers des classes populaires, qui n’ont pas les moyens d’une écologie punitive, vers l’extrême droite.

Q : On entend souvent dire : « L’écologie triomphera parce qu’on n’a pas le choix : les ressources s’épuisent et la planète deviendra inhabitable. Il faudra bien changer de modèle ». Qu’en pensez-vous ?

Nouveau socialisme démocratique et scientifique ou dictatures aux visages divers

La planète triomphera, l’écologie je ne sais pas. Il est certain que les contradictions écologiques du capitalisme sont insurmontables. Elles sont en quelque sorte définitives. Elles nous mènent vers des pénuries de grande ampleur et l’on peut raisonnablement penser qu’une ambiance révolutionnaire en surgira. Mais ce sera une lutte de pouvoir. Qui peut déboucher soit sur un nouveau socialisme démocratique et scientifique, soit sur une multitude de dictatures plus ou moins coalescentes chargées de protéger, par la violence et la tyrannie, les intérêts oligarchiques de la minorité installée au pouvoir.

Socialisme ou barbarie

Le problème démocratique avec le capital, c’est qu’il confère une emprise politique démesurée à une poignée d’individus prêts aux formes de darwinisme social les plus brutales pour sauver leurs intérêts. Elle commence déjà à s’organiser en bunker, au sens propre comme au figuré. Ce tournant autoritaire est amorcé : les démocraties dites libérales ont suspendu une bonne partie des acquis démocratiques partiels et rogné dans les libertés fondamentales. La lutte des classes se tend inexorablement et le ravage écologique donnera bientôt un contenu très concret à la grande alternative du siècle : socialisme ou barbarie.