Le « voile aquatique », le droit et les principes

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Site Alliance citoyenne/Syndicat des femmes musulmanes

Cette nouvelle affaire de tenue vestimentaire féminine dans les piscines municipales grenobloises rappelle des précédents. Ceux-ci ne doivent pas abuser, car, à propos d’une apparente autorisation du burkini, les arguments échangés invoquent tout et son contraire. Une atteinte à la laïcité ? Une stigmatisation odieuse des musulmanes ou une régression obscurantiste des droits des femmes ?

Comprendre les mécanismes de l’infiltration du radicalisme islamiste en France depuis des décennies et les provocations qu’il multiplie pour créer la division permet de situer le débat sur le terrain politique et de relativiser ce que peut le droit en l’état. Comme l’a indiqué Henri Pena Ruiz dans une récente lettre ouverte, le combat républicain est à mener au nom de l’émancipation et de l’hygiène publique. Pour nous, c’est avant tout une bataille culturelle.

L’adoption le 16 mai dernier par le conseil municipal de la ville de Grenoble de modifications au règlement général de ses piscines publiques a immédiatement été traduite en termes d’autorisation du burkini, suscitant l’indignation chez certains mouvements laïques et bien sûr des propositions d’interdiction par loi de la part de la présidente du RN ou de certains Républicains. Et la satisfaction de l’Alliance citoyenne de Grenoble, qui œuvrait en coulisses, soutenue par la LDH.

C’était aller un peu vite en besogne. Le préfet de l’Isère a introduit auprès du tribunal administratif (TA) un « déféré-suspension », ce nouvel outil permettant à l’État d’attaquer les actes des collectivités locales prévus par la loi macronienne « menton en avant » du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République ». Le TA de Grenoble a conclu le 25 mai à la suspension de l’exécution de l’article 10 du règlement des piscines ainsi reformulé, au motif qu’elle autorise une tenue « non près du corps » contraire aux règles communes de sécurité et d’hygiène, pourtant invoquées par la délibération du conseil municipal. Bien sûr, il y a tout d’abord la perspective d’un appel du déféré devant le Conseil d’État dont il n’est pas sûr qu’il suive le TA et, bien plus tard, les conclusions à venir du juge du fond.

Les origines de l’affaire de Grenoble : l’escalade des provocations en Rhône-Alpes

L’Alliance citoyenne (de Grenoble) se réclamait lors de sa création en 2012 du « pouvoir citoyen » et de la « démocratie d’interpellation » sous les auspices de la méthode Alinsky, à commencer par les domaines de l’habitat et de l’écologie. Las ! dès 2018 apparaît une mobilisation menée par un sympathisant de Hani Ramadan en faveur du burkini, au nom de la pudeur et contre la privation de liberté imposée aux femmes musulmanes ; se plaçant en outre – rien de moins – sous l’invocation de la désobéissance civile et de Rosa Parks ! Les communautaristes de la gauche et de l’extrême gauche (sauf LO) applaudissent.

Le maire Eric Piolle, pourtant, avait dénoncé l’islam politique et les positions de son adjoint de l’époque, Sadok Bouzaiene (auquel est empruntée pour le titre de cet article l’expression « voile aquatique »), sont sans ambiguïté. Ce dernier sera conduit au départ en 2020…

Puis c’est l’offensive dans le domaine sportif. Or les salles de sport sont des entreprises privées et malgré les impératifs de sécurité qu’elles peuvent mettre en avant, malgré les propositions de port d’un voile « homologué », l’intransigeance de celles qui revendiquent le hidjab porte des fruits dans certaines salles de Lyon. Le Syndicat des femmes musulmanes qui s’est formé au sein de l’Alliance citoyenne crie victoire en juillet 2020.

En novembre 2021, c’est un recours devant le Conseil d’État des « Hidjabeuses » contre la Fédération française de football, suivi d’une agitation médiatique et de la tentative sans suite d’un sénateur LR de faire voter l’interdiction – générale – du dit vêtement.(1)Au sujet de l’entrisme islamiste dans le domaine du sport (salles, clubs, fédérations) il n’est pas inutile de relire le rapport 2018 de la DGSI sur « la pénétration de l’islam fondamentaliste en France ». Extrait : « Au-delà de la dérive communautaire de certains clubs et associations sportives en France, on constate également depuis une vingtaine d’années une montée des phénomènes de radicalisation par la pratique sportive. D’une part, le cadre juridique et institutionnel qui délimite la pratique sportive reste très largement permissif et propice au mélange des genres entre les associations à finalités culturelles et cultuelles et les associations sportives. »

En 2022, la mairie de Grenoble a tourné casaque. L’annonce d’une révision du règlement intérieur des piscines municipales allume les passions à l’approche du 16 mai, date de la délibération du conseil municipal. Le 11 mai est publié un manifeste du Syndicat des femmes musulmanes précité, intitulé « En mai, mets ce qu’il te plaît ! Pour un été sans injonction vestimentaire discriminante » signé par plus d’une centaine de personnes dont des représentants associatifs, mais à titre individuel, parmi lesquels  nombre d’indigénistes bien connus.

Neutralité, service public et laïcité

Faut-il rappeler la différence entre la plage et la piscine municipale ? En 2016, en appel d’une ordonnance du TA de Nice, le Conseil d’État, saisi par la Ligue des droits de l’homme (LDH) et le Comité contre l’islamophobie en France (CCIF), s’est prononcé contre l’arrêté « anti-burkini » de Villeneuve-Loubet (06). L’argument de la liberté des tenues vestimentaires prévaut dans cet espace public.

En revanche, comme l’a invoqué le préfet de l’Isère : « si le principe de laïcité n’impose pas d’obligations de neutralité aux usagers du service public, la libre expression de leurs convictions religieuses trouve sa limite dans le bon fonctionnement du service public et de l’ordre public », ce qu’a admis le TA de Grenoble en précisant les composantes de l’ordre public en l’occurrence : sécurité, salubrité (hygiène) et tranquillité publique. Ce que valident les considérants du TA de Grenoble :

Si les usagers du service public peuvent exprimer librement, dans les limites fixées par la loi, leur appartenance religieuse, les dispositions de l’article 1er de la Constitution interdisent à quiconque de se prévaloir de ses croyances pour s’affranchir des règles communes organisant et assurant le bon fonctionnement des services publics.


Ainsi le tribunal reconnaît au passage le motif religieux – revendiqué en l’espèce – et ouvre la voie, ce qui n’est à notre sens pas la bonne direction, au recours au principe de laïcité.

La religion et le costume de bain : hygiène vs pudeur

Relisons d’abord la délibération concernant les piscines grenobloises, fort byzantine d’ailleurs. Sont interdites :

Les tenues de bain doivent être faites d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade ajustées près du corps, et ne doivent pas avoir été portées avant l’accès à la piscine,
• Les tenues non prévues pour un strict usage de baignade (short, bermuda, sous-vêtements, etc.), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasée) et les maillots de bain-shorts sont interdits
.

Comprendre (en regardant la photo en tête de l’article) qu’il s’agit d’autoriser le « burkini » composé d’un pantalon long, d’une tunique plus ou moins moulante, mais courte, la tête et les bras étant couverts. C’est là une conception de la décence islamique bien relative quand on considère la façon dont se baignent les femmes de l’islam traditionnel sur les pourtours de la Méditerranée (ci-dessous, sur les plages de Tel-Aviv, au risque d’ailleurs que leurs longs voiles leur fassent courir des risques face aux courants !). Pour une bonne partie des musulmans d’ailleurs, le burkini partiellement « près du corps » est d’une grande impudicité.

En outre, rappelons les origines occidentales (australiennes) de ce costume qui n’a rien de traditionnel, et le profitable commerce qu’il procure à des pays aussi différents que la Turquie et Israël !

Quant à la liberté de choix des femmes et hauts cris au titre d’une « victimisation », il s’agit ici de promouvoir des règles de pudeur sexistes plus que religieuses. Outre qu’elles assignent toutes les femmes musulmanes à cette injonction quoiqu’elles en pensent, il s’agit comme le note H. Pena Ruiz de « l’imposition à la femme d’une pudibonderie sélective, puisque c’est elle et elle seule qui doit cacher son corps ».

Sans parler de la solidarité féminine internationaliste qui doit rappeler toutes celles qui à travers le monde s’opposent sur ce terrain à des régimes obscurantistes !

Non à la répression, oui à la bataille culturelle

La nature de l’offensive islamiste contre la République par le biais des tenues prescrites aux femmes n’est pas une révélation : rappelons-nous l’affaire du foulard de Creil en 1989. Faudra-t-il renouveler le même long combat que celui qui a mené à la loi du 15 mars 2004 ? La situation n’est pas la même pour des raisons liées à la géopolitique de l’islamisme jusque dans ses manifestations terroristes, qui ont conduit dans notre pays, d’un côté au durcissement des positions sécuritaires extrêmes, de l’autre à l’adoption de stratégies plus souterraines et bien ciblées sur les angles morts des textes. Les capacités de nos adversaires ne doivent pas être sous-estimées. Sans compter que la France constitue une cible de choix par son attachement aux principes laïques.

La première victoire des fondamentalistes de l’islam serait de parvenir à diviser non seulement le peuple, mais en outre les femmes, et de renforcer ainsi une domination masculine qui n’a point besoin de prétextes pour reprendre du poil de la bête !

En 2010 déjà, lors du débat sur le voile « intégral » ReSPUBLICA a soutenu le point de vue d’une réponse au nom de la sécurité et non de la laïcité. Contre les interdictions générales privatives de libertés, mais discriminantes, nous appelons à des interdictions locales au motif de l’ordre public : de même qu’en 2010 le casque de moto intégral a été interdit en public au même titre que le voile masquant le visage, le short large des hommes est visé par les règlements des piscines publiques au titre de l’hygiène.

La première victoire des fondamentalistes de l’islam serait de parvenir à diviser non seulement le peuple, mais en outre les femmes, et de renforcer ainsi une domination masculine qui n’a point besoin de prétextes pour reprendre du poil de la bête !

Alors, dans l’état actuel du droit, que faire pour maintenir le principe de laïcité et l’idéal d’émancipation qui le sous-tend ? D’abord reconnaître la nature politique de ce combat, ensuite la nécessité de prévenir les communautarismes et la radicalisation. Il ne suffit pas de condamner fermement les agissements de la municipalité de Grenoble, encore faudrait-il que les forces politiques de progrès se mobilisent en appui aux collectivités face aux dérives d’associations telles que Alliance citoyenne et aux provocations qu’elles véhiculent. Or, sur un sujet hautement inflammable en période électorale, les partis politiques, syndicats et mouvements féministes de la gauche se signalent à ce jour par un silence prudent sinon embarrassé !

Sources

Les antécédents de l’Alliance citoyenne de Grenoble sont bien documentés par Laure DAUSSY dans une série d’articles de Charlie Hebdo :
10 juillet 2019 « Quand la gauche boit la tasse en burkini »
30 juillet 2020 « Des salles de sport contraintes d’accepter le port du voile »
17 février 2022 « Sport : derrière le voile des Hijabeuses »
17 mai 2022 « Burkini : une trahison du féminisme »

Pour sa partie descriptive, voir aussi le rapport d’enquête sénatorial sur la radicalisation islamiste déposé le 7 juillet 2020 : http://www.senat.fr/rap/r19-595-1/r19-595-1.html

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Au sujet de l’entrisme islamiste dans le domaine du sport (salles, clubs, fédérations) il n’est pas inutile de relire le rapport 2018 de la DGSI sur « la pénétration de l’islam fondamentaliste en France ». Extrait : « Au-delà de la dérive communautaire de certains clubs et associations sportives en France, on constate également depuis une vingtaine d’années une montée des phénomènes de radicalisation par la pratique sportive. D’une part, le cadre juridique et institutionnel qui délimite la pratique sportive reste très largement permissif et propice au mélange des genres entre les associations à finalités culturelles et cultuelles et les associations sportives. »