Décès de Hubert Reeves : hommage à la pensée scientifique

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L’astrophysicien franco-canadien Hubert Reeves est décédé à l’âge de 91 ans. Il a été chercheur en astrophysique, conseiller scientifique à la NASA, professeur et militant écologiste de la première heure. Jusqu’au bout il aura été le vulgarisateur extraordinaire qui nous a permis de mieux comprendre l’Univers et les dernières découvertes en la matière. Ces ouvrages tels que Patience dans l’azur, Poussières d’étoiles, L’Univers expliqué à mes petits enfants ont fait le bonheur des personnes ivres de connaissances.

 

En guise d’hommage à ce grand homme, nous vous proposons une recension de livre Fureur de vivre (144 pages, 17 euros), paru aux éditions du Seuil en 2020.

Hubert Reeves considère le monde comme un immense bourdonnement où s’exerce une formidable volonté de vivre. L’ouvrage est émaillé de belles images très explicites qui vont du ventre féminin où se réalise ce moment où un être humain va sortir du néant avec un ovule entouré de spermatozoïdes aux supernovas et les collisions de galaxies en passant par les nébuleuses interstellaires et des schémas précis qui montrent le chemin extraordinaire qui va des quarks et électrons à l’émergence de la conscience.

Histoire de l’Univers

L’ouvrage tente de présenter brièvement, mais en profondeur l’histoire de l’Univers :

  • la gravité qui est responsable de la formation des étoiles ;
  • la force nucléaire forte qui, dès les premières millisecondes du Big Bang, associent quarks en nucléons, matière du magma primordial ;
  • la force nucléaire faible qui par la transmutation des protons en neutrons dans les cœurs stellaires assure la longévité des étoiles ;
  • la force électromagnétique qui au cœur du Soleil transforme sa masse en lumière et associe, dans l’espace, les noyaux en atomes et en molécules variées.

Bref, chronologiquement apparaissent les noyaux atomiques dans les étoiles, les molécules dans les espaces interstellaires et sur les planètes, les cellules vivantes sur la Terre et peut-être ailleurs…

Qu’est-ce vivre ?

L’émergence de la vie sur Terre provient d’« un groupe d’atomes, soumis au départ aux seules lois de la physique, » [puis qui] « a été soumis à une nouvelle législation qui s’exprime en termes de fonctions vitales originales. […] Cette contrainte, qu’impose la volonté de persister dans le temps, s’est transmise de génération en génération avec les résultats éblouissants que nous observons aujourd’hui tout autour de nous ».

Il propose pour définir la vie de l’opposer à la matière inerte. Ainsi une molécule sucre à qui l’on retirerait un seul atome ne serait plus du sucre. À l’inverse, la perte d’un bras ne nous retire pas la qualité d’être humain. Dans un vivant, des atomes circulent continuellement de l’extérieur vers l’intérieur et à nouveau vers l’extérieur.

La durée de la biogestation sur Terre : hasard et nécessité

La Terre est née il y a 4,5 milliards d’années. Moins d’un milliard d’années plus tard, elle s’est refroidie. L’eau est devenue liquide et des réactions biochimiques ont donné naissance à la vie, à de microscopiques organismes vivants.

L’hypothèse du pur hasard se heurte à la notion de temps. Le hasard aurait exigé un temps infiniment plus long que celui qui a permis la naissance de la vie sur Terre à savoir inférieur au milliard d’années.

L’autre hypothèse repose sur la dynamique des réactions chimiques complexes. Cela relève de la théorie de l’« ordre gratuit » qui précède la sélection naturelle énoncée par Charles Darwin.

Le biologiste israélien Addy Pross émet l’hypothèse de l’« autoréplication » qui explique que cette technique d’« autocatalyse » permet à la nature d’accélérer le taux de formation d’une substance donnée.

Une expérience menée en 1953 aux États-Unis fait avancer les connaissances sur l’origine de la vie et l’apparition des éléments de la vie sans être la vie à proprement parler.

L’expression « bricolage de la nature », utilisée par François Jacob(1)Biologiste français connu pour ses recherches sur le génome, l’ARN et l’ADN, Compagnon de la Libération et militant pour le droit à l’avortement. permet de comprendre que la vie a pu apparaître en si peu de temps. En effet, Hubert Reeves énonce la recette de la créativité :

  • « la nécessité seule n’engendre que la monotonie » ;
  • « le hasard seul n’engendre que du fouillis » et exige trop de temps ;
  • « La Nature joue sur les deux tableaux. Elle associe le hasard et la nécessité pour fabriquer des œuvres toujours plus structurées. »

L’hypothèse du transport par les comètes du matériel prébiotique depuis l’espace jusqu’à notre planète est sérieusement envisagée d’où l’expression poétique chère à Hubert Reeves, « nous sommes des poussières d’étoiles. »

La concentration en oxygène

Cette histoire pour Hubert Reeves serait comme un conte, mais un conte qui serait vrai ce qui est toute la saveur.

  • Avant le 1er milliard d’années, la concentration en oxygène dans l’air est inférieure à 1 %.
  • Il y a un milliard d’années, elle atteint 4 %, c’est l’époque du Cambrien avec l’apparition dans les nappes océaniques d’une grande variété d’être tels les oursins, méduses…
  • Il y a 400 millions d’années, elle atteint 10 % avec certains êtres qui sortent de l’eau.
  • Il y a cent millions d’années, elle atteint 20 %, la concentration actuelle avec l’apparition des mammifères.

La transformation de la composition de l’atmosphère terrestre augmente la production d’énergie (« La quantité d’énergie qu’on peut extraire de l’air inhalé par la respiration est proportionnelle à la concentration d’oxygène que contient l’atmosphère. ») qui, à son tour, permet d’héberger des êtres avec des niveaux de complexité et de performance de plus en plus élevés :

  • 1re ère : le temps des fougères ;
  • 2ère : le temps des conifères ;
  • 3e ère : le temps des plantes à fleurs ;
  • et ainsi de suite…

La vie loin du moralisme gnangnan

Pour Hubert Reeves, la vie donne et a un coût élevé. La loi de la nature nous impose de nous procurer continuellement de l’énergie pour nous maintenir en vie d’où de nombreux comportements cruels comme tuer des animaux et des végétaux. Évidemment, cela ne justifie en aucun cas les élevages intensifs et concentrationnaires qui maltraitent les animaux.

Dans les deux domaines, celui des animaux et celui des végétaux, la notion de territorialité est omniprésente.

Hubert Reeves expose le tragique de la vie. Il faut mourir pour que le « ça peut » advienne.

Il cite les paroles d’une chanson de Violetta Parra, « Gracias a la vida » (« Merci à la vie ») :

Merci à la vie qui m’a tant donné

Elle m’a donné le rire et elle m’a donné les pleurs

Ainsi je distingue le bonheur de la tristesse,

Merci à la vie qui m’a tant donné ! 

Leçon de sagesse pour les êtres humains

À partir du constat que l’être humain existe depuis trois millions d’années, que durant ce temps il a développé les moyens de mettre fin à sa vie, de s’autodétruire, il imagine demander à des tortues : « Vous qui existez depuis deux cents millions d’années, quelle est la recette d’une telle longévité ? » Il imagine la réponse suivante : « Les espèces qui durent sont celles qui savent vivre en harmonie avec la nature. » Le fait que l’être humain est au sommet de la créativité de la nature avec une forte capacité d’intelligence nous assigne la mission de préserver les grands équilibres écologiques planétaires et locaux afin « garder notre maison (la Terre) habitable et agréable. »

Nous pourrions nous appuyer sur la sagesse de Spinoza, qui estime que la liberté consiste d’un côté à avoir conscience des lois universelles de la nature contre lesquelles il serait vain de s’opposer, et de l’autre, par l’intermédiaire de notre raison, à distinguer les causes qui nous déterminent pour écarter celles qui nous rendent tristes, qui nous diminuent et renforcer celles qui nous grandissent, qui nous permettent de nous accomplir pleinement.

Cette histoire, que nous raconte ou nous explique ce livre, de la naissance de la vie au moins aussi intéressante et enthousiasmante, sinon plus, que les mythes, mythologies, légendes de l’Antiquité gréco-romaine, égyptienne, hindouistes ou des religions abrahamiques, a l’immense avantage de ne pas enfermer les gens dans des dogmes, mais d’ouvrir des horizons nouveaux d’autant plus intéressants qu’ils reposent sur la pensée scientifique emprunte de doutes, d’acceptation des remises en cause au fur et à mesure des découvertes successives.

De la République laïque

Ce n’est pas pour rien que les intégristes religieux, comme on l’a amèrement constaté avec les lâches assassinats par des terroristes de Samuel Paty et Dominique Bernard(2)Voir notre dernier éditorial., estiment que la pensée humaine, la réflexion humaine ne peut et ne doit pas aller au-delà de textes qu’ils considèrent comme sacrés ou d’origine divine.

La République laïque, même si elle traite à égalité toutes les options spirituelles : athéisme, agnosticisme, indifférence aux religions, religieuse, ne peut mettre sur un même plan la pensée magique et la pensée scientifique, les mythes et légendes et le discours argumenté, la pensée thaumaturgique (fondée sur de soi-disant miracles que Spinoza considérait comme des phénomènes que la science n’avait pas encore expliqués) et la pensée rationnelle. La République laïque, notamment dans les établissements scolaires publics, doit accorder son soutien aux connaissances qui sont universelles et non aux croyances qui sont particulières.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Biologiste français connu pour ses recherches sur le génome, l’ARN et l’ADN, Compagnon de la Libération et militant pour le droit à l’avortement.
2 Voir notre dernier éditorial.