Accepterons-nous le marché unique des capitaux que les néo et ordolibéraux de gôche et de droite nous promettent pour l’Union européenne ?

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À l’approche des élections européennes, ReSPUBLICA a décidé de publier deux points de vue émanant de la rédaction, de deux auteurs ayant déjà publié dans nos colonnes des articles au sujet de l’Union européenne. La position à adopter vis-à-vis de l’Union européenne et sa nature sont deux sujets qui suscitent depuis longtemps d’intenses débats au sein de la rédaction. À nos yeux, ces deux points de vue divergent, mais restent complémentaires et nous avons décidé de faire part aux lecteurs et lectrices de ces différences d’analyse afin d’alimenter le débat.

Comme à son habitude, ReSPUBLICA ne se prononce pas sur tel ou tel candidat, mais cherche avant tout à donner matière à réflexion, quitte à présenter des points de vue qui paraissent aller dans des sens différents. Tant bien que mal, nous cherchons à marcher sur nos deux jambes, l’une critique de l’UE, l’autre voulant s’en saisir pour la réorienter.

Est-ce sain de ne pas débattre de l’Union européenne parce qu’elle divise les camps constitués ? Au XIIe siècle, débattre voulait dire faire en sorte que l’on ne se batte pas. Mais débattre demande d’échanger des arguments pour se forger un avis raisonné, ce qui est le contraire d’avoir un avis sans connaître le sujet. Dit autrement, un avis basé uniquement ou principalement sur la subjectivité n’est pas un avis basé sur des arguments s’appuyant sur la réalité objective.

Ou dit autrement encore, dans le cas d’un sujet complexe avoir un avis qui s’appuie sur un élément secondaire et non sur une pensée holistique n’est pas un avis éclairé. Alors qu’aujourd’hui et principalement dans les villes centres et leurs banlieues fortement marquées par la religion subjectiviste, victimaire et identitaire qu’est le wokisme, ce dernier esprit du capitalisme, le débat existe de moins en moins et laisse la place aux invectives obscurantistes et aux attaques en meute. Les directions des organisations de gauche sont largement impactées par ce nouvel esprit du capitalisme.

Un début de débat a eu lieu lors de la campagne sur le traité constitutionnel en 2005. Depuis, le flou domine, surtout à gauche. Les plus « hardis » parlent de désobéissance aux traités comme si une désobéissance était une alternative rationnelle argumentée et un objectif final. D’autres acceptent l’Union européenne telle qu’elle est ou suggèrent des bifurcations illusoires. À droite (et à l’extrême droite), surfant sur la poussée de toutes les droites (donc extrême droite comprise) au sein de la quasi-totalité de l’Union européenne, l’homogénéisation de ces dernières s’opère de plus en plus au rythme de cette poussée et des prises de pouvoir de l’union de toutes les droites dans chaque pays. On a même vu Ursula von der Leyen chercher le soutien d’un des groupes d’extrême droite du parlement européen via Giorgia Meloni, présidente du conseil italien, pour se faire réélire à la présidence de la Commission européenne.

Cela renforce ceux qui estiment que c’est l’évolution normale, car les statuts de l’Union européenne ont été faits pour cela, c’est-à-dire, qu’« Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » (Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, 28 janvier 2015). Le dernier rassemblement de Madrid de l’extrême droite néolibérale avec comme invité d’honneur l’actuel président argentin Javier Milei porte le témoignage de la poussée de l’extrême droite vers une union de toutes les droites.

La nomenklatura de l’Union européenne s’organise pour engager le débat sur l’Union européenne… après le vote du 9 juin (avant ce serait sans doute trop démocratique…), mais en se partageant les tâches entre le Parlement européen et les « brillants » experts néolibéraux et ordolibéraux européens : au premier, le toilettage insignifiant, aux seconds l’extension du domaine du capital.

Est annoncé un débat avec les propositions de deux membres néolibéraux et ordolibéraux de cette nomenklatura, Enrico Letta et Mario Draghi. On connaît déjà les idées du premier qui maintient tous les fondamentaux de l’UE en rajoutant quelques couches dans le mille-feuille. Quant au second, comme toutes les stars, il fonctionne au-dessus du fourmillement démocratique. Mais pour résumer le rapport du premier et les idées émises par le second dans sa grande intervention du 16 avril dernier, il s’agit, pour ces deux « experts », d’accroître la logique du marché en canalisant plus vigoureusement l’épargne européenne. Très facile à comprendre : le marché unique des biens et des services existe depuis 1986, le marché unique bancaire aussi.

Reste le troisième étage de la fusée : le marché unique des capitaux ! C’est une idée déjà émise dans le livre vert intitulé « Construire l’Union des marchés des capitaux » de 2015. Ils veulent donc aller plus loin sur le plan financier : titrisation, construction d’un marché unique des capitaux, développement du capital-risque à l’américaine, privatisation rampante du budget de la Sécurité sociale (dont on rappelle que son budget de 641 milliards d’euros est bien plus important que le budget de l’État avec 491 milliards d’euros et est aujourd’hui très majoritairement hors bulle financière), etc.

La nomenklatura européenne veut inverser la relation de la bourse avec l’économie en augmentant le rôle de la bourse dans le financement de l’économie réelle. Dit autrement, pour remplacer l’investissement public et la Sécu, ce serait le marché unique des capitaux qui serait le principal investisseur ! Enfin, la retraite et l’assurance-maladie par capitalisation deviendraient la règle, la Sécurité sociale petit à petit abandonnée et le rapport des forces toujours plus en faveur du capital. C’est le développement normal du capitalisme, la nomenklatura capitaliste européenne doit servir le capital, contrôler la monnaie et les sources de financement comme aux États-Unis. C’est le rôle de l’UE dans son statut actuel.

Ce nouveau rapport des forces leur permettra de continuer à produire du moins-disant social et fiscal comme ils en ont l’habitude. Ce serait aller plus loin dans la privatisation de la monnaie et des sources de financement et en ne donnant aux États que le rôle de l’assureur qui en dernier ressort viendrait sauver le système capitaliste une fois de plus lorsque ce dernier aura failli. Et il y a encore des personnes à gauche qui parlent d’Europe sociale si on laisse faire cela ?

Nous avons aussi les propositions concomitantes et cohérentes du parlement sortant : plus de fédéralisme avec la majorité qualifiée, une nouvelle convention en décembre qui serait proposé par la présidence espagnole, un renversement de la procédure actuelle d’élection du président de la Commission, une plus grande transparence des positions des États, l’augmentation du pouvoir du parlement européen sur de nouveaux sujets au détriment des États, etc. Le rapport a été approuvé par 305 voix pour, 276 voix contre et 29 abstentions. Il a été préparé par cinq rapporteurs représentant une large majorité du Parlement. La résolution qui l’accompagne a été adoptée par 291 voix pour, 274 contre et 44 abstentions. Autant dire que tout cela n’est qu’une position d’étape qui sera probablement remise en cause dès l’après-vote du 9 juin une fois comptabilisé la poussée d’extrême droite ! En tous cas, rien qui remette en cause les fondamentaux de l’UE actuelle. Au contraire, L’UE va toujours vers toujours plus d’extension du règne du capital. 

Mon dernier article intitulé « UE : puisque ça n’a pas marché, il faut accélérer le mouvement dans la même direction »(1)« Union européenne : puisque ça n’a pas marché, il faut accélérer dans la même direction ! ». est donc toujours valable de mon point de vue.

Reprenons le déroulé historique : d’abord, l’abdication de la démocratie expliquée par la fin du discours de Pierre Mendès-France contre le traité de Rome : 

L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, soit le recours à une dictature interne par la remise de tous les pouvoirs à un homme providentiel, soit la délégation de ces pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique, car au nom d’une saine économie on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, finalement « une politique », au sens le plus large du mot, nationale et internationale.

18 janvier 1957

Puis, nous avons eu droit à l’Acte Unique européen créant en 1986 le marché unique des biens et des services. Puis le traité de Maastricht adopté de justesse qui transforme l’ancienne Communauté économique européenne (CEE) en Union européenne (UE) et la dote d’une monnaie unique.

Le traité constitutionnel de 2005, rejeté en France par référendum (55 % de non dont 31 % pour le non de gauche et 24 % pour le non de droite) est adopté par la voie parlementaire après quelques menus changements homéopathiques sous la forme du traité de Lisbonne. Le traité budgétaire de 2012 durcit les critères de Maastricht fixés en 1992 sur la dette et les déficits. Le compromis, selon Thomas Piketty, des socialistes français (y compris de son aile gauche emmenée par Jean-Luc Mélenchon) avec les chrétiens-démocrates allemands était d’accepter la libéralisation absolue des flux de capitaux, sans régulation publique, sans fiscalité commune, dans l’espoir que « la création de l’euro et de la Banque centrale européenne (BCE), puissante institution fédérale prenant ses décisions à la majorité des voix, permettra à terme la constitution d’une puissance publique européenne capable de réguler les forces économiques plus efficacement que n’a réussi à le faire le gouvernement français d’union de la gauche issu des élections de 1981. »

Les faits ont largement contredit cette croyance de la gauche néolibérale de l’époque. Nous connaissons le résultat : accroissement et concentration des fortunes, gonflements des actifs boursiers, laminage de l’épargne des plus modestes par l’inflation, accroissement du dumping social, baisse sans fin des impôts de société et des CSP+ les plus riches, etc.

Thomas Piketty rappelle que le Fonds monétaire international (FMI), à cause des effets négatifs du traité de Maastricht « a décidé après la crise asiatique de 1997 et de celle de 2008 de réintroduire certaines formes de contrôle de capitaux pour les flux de court terme ». C’est à partir de là que la classe populaire ouvrière et employée, les jeunes de moins de 35 ans ont commencé à décrocher du vote de gauche surtout dans les villes moyennes touchées par la désindustrialisation. L’évolution actuelle visant à aller encore plus loin dans les politiques antisociales par l’unification du marché des capitaux ne fera que promouvoir l’extension du capital débouchant sur une nouvelle dégradation de la situation sociale du plus grand nombre.

Que faire ?

Force est de constater que malgré les désaccords nombreux entre les listes en présence pour les élections européennes du 9 juin prochain, le débat n’a pas lieu sur le fond principal du capitalisme, à savoir sur les questions économiques et sociales, à la grande satisfaction du grand patronat et des gérants du capital tel l’actuel président de la République et de toutes les droites réunies ! Et ce n’est pas les principales listes de gauche qui présentent le nécessaire primat des questions sociales et économiques permettant ainsi le désarmement de la gauche face à la lutte des classes orchestrée par l’extension, pour l’instant, irrésistible du règne du capital. La gauche de gauche reste donc à construire.

En attendant, nous continuerons à promouvoir le débat sur la nécessaire bifurcation de la ligne stratégique par la publication hebdomadaire de notre journal ReSPUBLICA et nous engagerons la constitution progressive des cercles locaux indispensables à tout débat argumenté sur tous les sujets importants et largement abandonnés par la gauche actuelle en combattant le mépris de classe envers la classe populaire ouvrière et employée surtout si elle habite les zones périphériques et rurales de la France.