Impôt mondial proposé par le G7 : accord historique ou enfumage ?

Cet accord passé à Londres entre les pays composant le G7 (1) propose de fixer à 15 % l’impôt légal sur les bénéfices des grands groupes. Cela représente certes un signal pour indiquer que le système de l’évasion fiscale pratiquée par les multinationales fait des PME, des TPE et des classes moyennes mais aussi des classes populaires – au travers des taxes sur la consommation – les principaux contributeurs aux services publics de santé, de l’éducation, de la culture…  et de la solidarité nationale.

Les chiffres donnent le vertige. Ainsi, 356 milliards d’euros pour le monde entier échappent au fisc dont 204 milliards pour les entreprises et 102 milliards pour les particuliers (2).

Mais cet accord risque bien de passer pour de l’enfumage destiné à faire croire que les États se sont décidés à agir efficacement contre l’évasion fiscale. En effet, les estimations indiquent qu’un taux de 21 % initialement souhaité par le président des États-Unis auraient rapporté à l’ensemble des États européens 100 milliards d’euros au lieu des 50 milliards espérés avec le taux de 15 %, et 170 milliards d’€ avec un taux de 25 % (3).

Cet accord n’est pas aussi ambitieux que certains aiment à l’affirmer notamment en ce qui concerne la volonté de taxer les multinationales dans les pays où se situent leurs activités et où elles réalisent leurs bénéfices afin de limiter leur expatriation vers les sièges sociaux implanté dans les États à faible fiscalité (4). Ainsi ne seront concernées que les entreprises, une centaine, réalisant une marge dépassant 10 %. Amazon échapperait à la taxation en raison d’une marge de 6,3 % en 2020 malgré un chiffre d’affaires de 386 milliards de dollars.

Autre grande déception : une assiette qui risque d’être réduite affaiblissant d’autant la lutte contre le dumping fiscal

Ainsi pour  l’Irlande, même avec une taxe de 12,5 % sur les bénéfices, la réalité montre que les profits n’étaient taxés qu’à hauteur de 4 %. Le périmètre de l’impôt est aussi important que le taux qui est jugé trop faible car proche de celui pratiqué par les paradis fiscaux. Ce périmètre qui permet de satisfaire le plus grand nombre a pour conséquence probable de transformer le taux global de 15 % en gruyère (ou emmental car c’est ce dernier qui a des trous) et aura pour effet contre-productif d’inciter des pays comme la France ou l’Allemagne à baisser leurs taux très au-dessus de ce plancher. De plus, cet accord représente une victoire pour les GAFAM qui craignaient la taxe sur le numérique qui était, un moment, envisagée.

Ne pas lâcher la proie pour l’ombre

Au départ, la proposition même a minima du G7 semblait avoir peu de chances d’aboutir au sein de l’OCDE (5). Mais cet accord vient d’être obtenu. En effet, 130 des 139 pays de l’OCDE ont trouvé le 1er juillet un terrain d’entente sur une réforme fiscale mondiale. Les trois puissances, Inde, Chine et Russie, qui ont toujours fait preuve de méfiance sur ce sujet ont finalement accepté de s’y associer. La logique qui consiste depuis des décennies à considérer que pour favoriser le développement économique il faut réduire la fiscalité sur les sociétés semble écornée. C’est un signe encourageant qu’il convient de confirmer, confirmation qui ne pourra s’imposer et s’amplifier que par l’implication des couches populaires dans les luttes. Cela est nécessaire pour que cet accord ne se réduise pas à une mesurette destinée à calmer les esprits pour mieux continuer comme avant et poursuivre les réformes antisociales que le président Macron souhaite reporter aux lendemains des élections présidentielles contrairement à Bruno Le Maire qui est plus pressé.

Cependant, une telle « mesurette » ne doit pas conduire à ce que les forces de transformations sociales, démocratiques et écologiques abandonnent le combat en prenant l’ombre d’une réformette qui ne met pas en cause fondamentalement le système de l’économie-mondiale dans sa forme ultralibérale pour la proie de l’oligarchie capitaliste et financière. Ces premiers pas vers une fiscalité mondiale ne doivent pas nous faire oublier que la pression sur les salaires, sur les normes environnementales, que les productions au travers des « ateliers de la sueur » et de l’emploi des enfants, que les directives ou les recommandations pour réduire les dépenses publiques en matière de santé, d’éducation… demeureront la norme pour le capitalisme mondial et continueront à peser sur les conditions de concurrence au détriment des travailleurs salariés et non salariés du monde entier.

Pour un réel impôt global des sociétés multinationales et un retour à une égalité de traitement fiscal avec les PME

Les propositions d’ATTAC (6) seraient beaucoup plus efficaces et intéressantes à verser dans le débat. Leurs avantages consistent à pouvoir être instaurées par chaque pays et aller plus loin pour lutter contre les divers « dumpings » (7).

« … Le taux minimum de 15 % rapporterait des recettes faibles et maintiendrait une concurrence déloyale avec les PME qui n’ont pas de filiales dans des paradis fiscaux et paient le taux normal… Nous proposons un mécanisme de « taxation unitaire » qui consiste dans un premier temps à taxer le bénéfice global des entreprises multinationales en considérant celles-ci comme une entité unique » … Dans un second temps, elle consiste « à répartir ce bénéfice dans les pays où ces entreprises réalisent effectivement leur activité. » ATTAC propose de s’appuyer sur trois critères :

  • le travail mesuré par les effectifs salariés et la masse salariale,
  • les actifs dont les immobilisations,
  • les ventes et le chiffre d’affaires.

La participation et le contrôle des salariés directement ou au travers de leurs organisations syndicales et des comités d’entreprise sont essentiels pour éviter que ces mesures se transforment en gruyères par les trous desquels les conseillers financiers des multinationales pourraient s’engouffrer.

Tout cela ne nous exonère pas de la nécessité de réfléchir à une vaste réforme globale pour plus de justice fiscale en France : sur l’assiette, la répartition entre « impôts sur le revenu » trop faibles et qui pourraient être plus équitables en augmentant le nombre de tranches pour être plus progressifs et taxations diverses trop fortes et surtout injustes comme la TVA.

NOTES

1) G7, composition : Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni.

2) Source : Tax Justice Network.

3) Source : Euro-Tax.

4) Irlande, Luxembourg, Pays-Bas

5) Source : EU Tax Observatory (juin 2021) publié dans Marianne n°1266

  • taux de 15 % sur les sociétés : 4 milliards d’€ de recettes supplémentaires annuelles pour la France ;
  • taux de 21 % sur les sociétés : 16 milliards d’€ de recettes supplémentaires annuelles pour la France et 100 milliards d’€ pour l’Union européenne ;
  • taux de 25 % sur les sociétés : 26 milliards d’€ de recettes supplémentaires annuelles pour la France.

6) L’OCDE encourage la libéralisation économique au travers du libre-échange et promeut deux aspects antagoniques qui s’excluent mutuellement : la flexibilisation du marché du travail  et la protection des salariés et des emplois ; chacun peut imaginer quel est l’aspect auquel est donné la priorité…

7) Le terme de dumping désigne la minimisation des contraintes légales en matière de fiscalité, de protection sociale ou de protection de l’environnement par un État.