De l’indivisibilité de La République à son éclatement ou la fuite en avant vers l’autonomie de la Corse

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Entrée d’une école primaire à Porto Vecchio.

Ces derniers temps se multiplient les signaux d’un renoncement aux principes d’indivisibilité, d’égalité en droit, de laïcité, de démocratie qui fondent notre République. De la Collectivité européenne d’Alsace à la Corse en passant pas Mayotte, les Républicains sociaux et laïques ont de quoi s’inquiéter et des motivations pour agir.

 

Il n’est pas anodin que les annonces faites par le ministre de l’Intérieur, M. Darmanin, s’expriment à quelques mois des élections européennes dont nous savons que certains souhaitent une Europe des régions dans le cadre d’un ultra-libéralisme forcené qui dérégule à tout va contre l’Europe de la coopération entre les peuples et les nations. Le prétexte invoqué repose sur les violences consécutives à l’assassinat du militant indépendantiste Yvan Colonna en prison qui purgeait une peine à perpétuité pour l’assassinat du préfet Claude Erignac en 1998.

Pour le moins, le ministre lance un pavé dans la mare et joue avec le feu sur une véritable poudrière qui risque d’aboutir à une déflagration constitutionnelle et à l’éclatement de la République. Ce serait du pain béni pour tous les nationalistes, autonomistes ou régionalistes qui souhaitent détricoter le contrat social républicain qui assure, au moins formellement, « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. [Un ontrat républicain qui] respecte toutes les croyances. [La Constitution stipule que la République] est décentralisée. ».

Il est utile de préciser que la décentralisation signifie que certaines compétences ou prérogatives sont déléguées(1)Ces délégations peuvent être reprises au niveau national, c’est ce que demandent par exemple certains départements – la Seine–Saint-Denis – sur le RSA, car ils ne peuvent plus assurer financièrement en raison des concentrations de misère qu’induit inévitablement le système capitaliste. et gérées au niveau local. Cela ne permet pas d’affirmer que des droits différents seraient octroyés aux collectivités territoriales. La déconcentration signifie que les services de l’État comme les préfectures siégeant dans les différents départements et régions sont en quelque sorte délocalisés(2)La déconcentration est le transfert, plus ou moins réel, de missions et tâches auparavant faites dans les directions centrales des ministères aux services déconcentrés de l’État installés dans les départements. Aujourd’hui, avec une accélération sous Macron de la concentration dans les préfectures et la disparition des services départementaux des ministères dits techniques, y compris l’Éducation nationale et les finances, il y a une reprise entre les mains des préfets et du ministère de l’Intérieur. Sur cet aspect aussi nous revenons à l’Ancien Régime avec les « lieutenants généraux » qui représentaient le roi pour enrayer toutes tentatives de révolte (cf. Sainte-Soline). Il ne faut pas oublier que les départements sont une création de la Révolution de 1789. Beaucoup veulent les supprimer au bénéfice des régions. D’ailleurs, aujourd’hui, il y a une hiérarchie entre les préfets : les préfets de région sont les supérieurs hiérarchiques des préfets départementaux sauf pour les questions d’ordre public justement. pour représenter l’État.

Adoption par l’Assemblée de Corse du projet d’autonomie

Ce jour, 28 mars 2024, l’Assemblée de Corse a approuvé le projet d’autonomie. 62 élus sur 63 ont voté favorablement pour le premier alinéa(3)La « reconnaissance d’un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre. ». La même proportion s’est constituée pour approuver l’alinéa 6(4)Validation de ce texte par une consultation populaire des électeurs corses, sans date déterminée.. En revanche, de claires dissensions sont apparues sur le volet « pouvoir législatif » : 49 voix pour, 13 votes contre, 1 abstention(5)« Les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations justifiées par les spécificités de ce statut [autonome]. La collectivité de Corse peut être habilitée à décider de l’adaptation de ces normes dans les matières, les conditions et sous les réserves prévues par la loi organique. ».

Sur ce dernier volet, des opposants se sont exprimés ainsi, s’adressant au président de l’Assemblée de Corse : « Vous considérez qu’il n’y a pas d’autonomie sans pouvoir législatif  ». « Vous avez pour objectif d’exercer toutes les compétences législatives, sauf le régalien », ce qui signifie « la sécurité sociale, les retraites, l’Éducation nationale… »« Je ne souhaite pas que ces compétences soient gérées par l’Assemblée de Corse, je ne veux pas aller jusque-là. » « Vous ne m’avez pas démontré que demain les Corses iront mieux parce qu’il y aura un pouvoir législatif. (…) Lorsque l’on écrit la loi, on n’est plus du même pays, lorsque l’on écrit nos propres lois, on n’appartient plus au même pays ».

Une fuite en avant doublée d’hypocrisie sur la lutte contre le séparatisme

Le gouvernement et des élus corses (des élus corses et non pas tous les élus) se sont accordés sur un projet d’ « écriture constitutionnelle » qui a pour objet « la reconnaissance d’un statut d’autonomie » de l’île.  Clairement, si le processus de modification de la Constitution parvenait à son terme, le principe d’indivisibilité de la République serait sérieusement écorné. Comment justifier la lutte légitime contre le séparatisme de certains courants politico-religieux, dont l’islam politique, mais pas que…, et dans le même temps organiser officiellement ou vouloir l’autonomie de certaines parties de la République ? Y aurait-il un bon « séparatisme » et un « mauvais » ? Cela relève de la tartufferie. Il est loin le temps où un de Gaulle répugnait à utiliser le mot « territoire » pour désigner les régions considérant que le seul territoire est national.

Principe constitutionnel d’égalité

La République place au-dessus de tout l’individu-citoyen et considère tous les individus à égalité de droits et de devoirs (pas de devoirs sans droits et pas de droits sans devoirs), quelles que soient ses origines culturelles, ethniques, sociales. Pour parodier Stanislas Clermont Tonnerre, ne rien accorder aux gens en tant que croyants, en tant qu’originaire de telle ou telle partie de la République française… mais tout en tant que citoyens et citoyennes composant le peuple français.

La division de la République en régions autonomes signifierait à terme des droits différents selon son lieu d’habitation. Il n’y aurait plus qu’une égalité faible entre individus selon sa communauté en lieu et place d’une égalité de forte intensité entre les citoyens et citoyennes de la République.

La division de la République en régions autonomes signifierait à terme des droits différents selon son lieu d’habitation. Il n’y aurait plus qu’une égalité faible entre individus selon sa communauté en lieu et place d’une égalité de forte intensité entre les citoyens et citoyennes de la République. C’est un détournement du principe de « décentralisation » employé contre l’ « indivisibilité ». La Corse, dès le début des lois de décentralisation, s’est employée à obtenir un statut spécial sur les transports, la gestion des routes. Cela a servi de laboratoire pour les autres départements. Avec des pseudo-républicains de cette trempe, il n’est plus besoin d’ « ennemis » pour détruire la République française.

Le détricotage constitutionnel en tant que poursuite du démantèlement social à la sauce néolibérale

Les réformes anti-sociales menées par les différents gouvernements successifs depuis des décennies fragilisent l’unité nationale, remettent en cause les conquis sociaux obtenus de haute lutte. Ces réformes rompent le pacte social qui ne veut qu’aucune des parties nuisent à une autre. Une telle volonté d’atteinte à l’unité nationale, si elle se réalise, facilitera encore plus les dégradations sociales. Les républicains authentiques – c’est-à-dire les républicains sociaux et laïques – ne peuvent laisser faire sans organiser la résistance à de tels coups de force.

Principe d’ « habilitation générale »

Outre l’affirmation péremptoire que la Corse « bénéficierait » d’un particularisme qui se caractériserait par des « spécificités linguistiques, culturelles et insulaires » ainsi qu’ « un attachement à la terre »(6)Cela rappelle une période de triste mémoire de la France : « La terre ne ment pas », disait Pétain., le pouvoir envisage d’accorder un principe d’« habilitation générale » permettant d’adapter les textes législatifs et les réglementations nationales. Soit les textes législatifs ont une portée universelle valable pour tous les citoyens et citoyennes et il n’y a pas lieu de les adapter, soit ce n’est pas le cas et ces textes devraient être abrogés.

L’autre danger est de faire sortir de la boîte de Pandore la dotation pour la Corse de compétences législative et réglementaires. Autrement dit, c’est la possibilité de déroger au droit commun, à la loi commune. C’est la fuite en avant vers un communautarisme officiel et légal.

De plus, l’affirmation que la Corse et ses habitants éprouveraient « un attachement à la terre » est réellement méprisante pour toutes les autres collectivités locales et leurs habitants. Nous sommes habitués au mépris du pouvoir d’extrême centre macroniste. Il n’est pas de peuples basques, alsaciens, franciliens, occitans, gascons, réunionnais, bretons…, il n’est que le peuple français. Cela garantit les mêmes droits sur tout le territoire. Les spécificités culturelles ne justifient pas cette mise en cause de l’unité nationale. Le cadre laïque de la République garantit le respect des particularités sous le principe majeur de la liberté de conscience.

Allons-nous vers un retour à l’Ancien Régime ?

Sous l’Ancien Régime, de façon très paternaliste, le monarque absolu évoquait ses peuples avec des us et coutumes et des idiomes divers et variés. Avec la Révolution française et les Républiques successives et surtout la IIIe République, il y a la volonté de faciliter les échanges avec l’instauration des unités conventionnelles de mesure et une langue commune, le français, considérée comme notre maison commune. Cela n’interdit pas la transmission et l’usage de langues locales, mais la priorité est donnée au français. Il est essentiel que la langue française soit prioritaire afin de favoriser l’unité nationale tout en préservant les « langues régionales » en tant que contribution à la richesse culturelle. C’est pour préserver cet équilibre et l’unité de la nation que le Sénat, en 2015, a refusé de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires(7)Cette Charte a été signée par la France en 1999, mais pas ratifiée..

Un processus long à surveiller comme le lait sur le feu : référendum du tout le peuple français.

Pour ce gouvernement et pour les autonomistes, ce chemin vers l’autonomie sera long et difficile. Toujours est-il que ce sont les parlementaires réunis en Congrès qui peuvent décider de modifier la Constitution en ce sens. Cela suppose d’abroger le principe d’invisibilité de la République et, indirectement, de remettre en cause l’égalité de tous et toutes, quel que soit leur lieu de résidence. Sur un sujet d’une telle importance pour l’avenir de la France, des Français et des Françaises, ne serait-il pas opportun de les consulter en posant une question claire par référendum ? Ce sujet mérite des débats profonds et sérieux avec tous les citoyens et citoyennes.

Pour le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, « C’est surtout une étape informelle, rien n’obligeait à consulter l’Assemblée de CorseC’est une courtoisie, mais aussi un moyen de pression puisque les parlementaires [nationaux] qui auront à se prononcer sur la réforme, et en particulier les sénateurs, pourront plus ou moins s’y opposer avec ce résultat du vote. » 

Convergence d’intérêt entre « natios » (nationalistes) et bourgeoisie locale

Les familles, les clans propriétaires de l’île ont amplement profité de la situation propre à la Corse qui épargne l’ «  île de beauté » du principe de l’Union européenne qui consacre « le marché libre et non faussé ». Nous savons que, dans les faits, ce « marché libre et non faussé » est aux mains des grandes entreprises monopolistiques françaises et européennes. Il n’est « libre et non faussé » que pour les classes populaires soumises à la concurrence déloyale. Cela n’a pas empêché la Corse, malgré son statut particulier, de bénéficier des fonds structurels européens, notamment de la PAC.

La réalité montre que dans le BTP il y a 17 familles corses. Si le marché était ouvert, ces familles ne feraient pas long feu face aux empires français et italiens du secteur. C’est, selon la pensée locale, en partie grâce au FLNC que ces familles conservent leur domination. C’est également le cas dans d’autres secteurs comme la grande distribution et le tourisme. L’interdiction par le FLNC de vendre à perte les carburants a permis de conserver des garages à l’intérieur des terres.

L’avenir, pour le capitalisme insulaire qui semble bien se porter au point que certains évoquent la Corse comme un des « Dragons méditerranéens », est de faire de l’île un joli paradis fiscal. Comme le statut fiscal particulier de la Corse se termine au 1er janvier 2028, il y a urgence pour les grandes familles bourgeoises corses qui contrôlent et maîtrisent la fiscalité. La bourgeoisie cherche à consolider le bloc d’intérêt bourgeois en ralliant la petite bourgeoisie, les classes moyennes supérieures et les retraités souvent propriétaires. De façon plus triviale, c’est le principe suivant : « Donnez-nous le fric (y compris de l’UE) et laissez-nous tranquille avec nos lois claniques et mafieuses qui nous vont bien. » Il n’est pas sûr que la population approuve cette démarche au profit d’une minorité, de clans, qui en fait lui coûte très cher en termes de développement et de niveau de vie.

Nous sommes loin des arguments de préservation de l’identité corse qui, par ailleurs, n’est nullement amoindrie par la République laïque, sauf à considérer que l’ordre public serait une atteinte à la culture corse.

Qu’en est-il de l’adhésion supposée des habitants de la Corse à la voie autonomiste ?

Certes, les succès électoraux des « natios » et autonomistes semblent indiquer une montée du désir d’autonomie. Les scrutins sont-ils fiables quand on sait les pressions sur les biens et personnes pour voter de telle ou telle manière ? Si un village ne vote pas majoritairement « natios », n’y a-t-il pas des risques de représailles ?

Finalement, pour leur liberté individuelle et de conscience, mais aussi pour le développement économique favorable à tous, l’intérêt des Corses n’est-il pas de refuser l’aventure autonomiste ?

Toujours est-il que le peuple français n’est pas composé de parties, il est indivisible. Cela signifie que ce n’est pas aux habitants de Corses de décider d’un statut autonome particulier, mais au peuple français dans son entièreté.

Imaginer un autre cadre national

Il est impératif d’imaginer un cadre qui organise la délibération collective afin qu’elle ne soit polluée par des enjeux de pouvoir, de fortunes… Pour cela, nous pourrions nous inspirer, en tenant compte du fait que la situation n’est pas la même, de la Convention montagnarde de 1793 et de la Commune de 1871. Ce ne sont que des exemples ou propositions inspirantes et, surtout, à ne pas prendre au pied de la lettre. Il n’est pas envisageable de prévoir la révocation, comme suggérée dans le projet de la Commune, des fonctionnaires. La sécurité de l’emploi des enseignants, des infirmières, des membres des forces de l’ordre… ne peut être remise en cause sauf en cas de non-respect déontologique de la fonction. De même, la notion de mandat impératif doit être précisée et n’est sans doute pas applicable en toute circonstance. Cela ne doit pas empêcher d’en débattre et de nourrir la réflexion collective.

Ainsi, les acteurs de la Commune ont imaginé que les communes urbaines et rurales de chaque département devaient administrer leurs affaires communes par une assemblée de délégués au chef-lieu de département. Ces assemblées de département devaient à leur tour envoyer des députés à la délégation nationale à Paris. Les délégués devaient être à tout moment révocables et liés par le mandat impératif de leurs électeurs. Les fonctions peu nombreuses, mais importantes du gouvernement central devaient être maintenues et assurées par des fonctionnaires strictement responsables et révocables. L’unité nationale devait être préservée et organisée par la Constitution communale. Cette organisation mettait fin à un Etat qui se prétendait l’incarnation de l’unité nationale tout en se voulant indépendant de la nation.

La logique du mandat impératif, innovation des communards, prend le contre-pied des dérives de la démocratie représentative. Les représentants du peuple détiennent un mandat ciblé sur des objectifs définis par les représentés et sur lesquels ils s’engagent à agir dans l’institution. De cette action, ils doivent rendre des comptes régulièrement. Quand le représentant du peuple ne se sent plus tenu par sa parole, quand il use de son pouvoir pour faire le contraire de ce pour quoi le peuple l’a élu, la démocratie elle-même semble perdre son sens.

Auparavant, la Convention montagnarde, très moderne, reconnaît une série de droits économiques et sociaux, tels que le droit au travail et aux secours publics, ou le droit à l’instruction. Ces droits s’ajoutent aux droits fondamentaux reconnus par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. La Constitution de 1793 établit aussi un mécanisme propre à la démocratie semi-directe, qui permet, pour un dixième au moins des électeurs représentant la moitié plus un des départements, de soumettre à référendum toute loi votée par le Corps législatif. Le pouvoir exécutif procède directement du peuple et de l’Assemblée à la fois. L’application de la Constitution de 1793 aurait donné un régime d’assemblée tempéré par de fréquentes consultations électorales.

Ce sont des sources qui ne sont pas à reproduire telles qu’elles, mais qui peuvent nourrir le débat.

La question essentielle n’est-elle pas l’effectivité des valeurs ?

Si nous prenons notre devise, Liberté, Égalité, Fraternité, devise très belle, ne faut-il pas assurer sa déclinaison dans la vie quotidienne ?

La liberté sous la pression d’un système économique ultralibéral ne s’est-elle pas transformée en licence de faire tout et n’importe quoi contre les autres, selon le principe de l’individualisme égoïste qui convient parfaitement au libre-échangisme, à la remise en cause des conquis sociaux voulue par l’ultra-libéralisme ?

L’égalité, notamment à l’école, qui n’en peut plus par manque de moyens et malgré les efforts des enseignants qui la tiennent à bout de bras, ne se traduit-elle pas par un affaissement du niveau culturel et intellectuel général, alors que cela devrait être l’élévation générale de toutes et tous, quelles que soient les situations de fortune ? L’égalité en tant nivellement par le haut, principe républicain s’il en est, oui. L’égalitarisme en tant que nivellement par le bas, non. C’est la même problématique avec la question des droits sociaux et du Code du travail pour lequel la hiérarchie des normes du droit est bafouée : la loi en premier, les accords de branches en second, les accords d’entreprise en troisième. Le niveau inférieur, jusque-là, ne pouvait pas être en contradiction avec le niveau supérieur.

La fraternité ne s’est-elle pas muée, dégradée en solidarité avec ses proches, sa communauté religieuse ou non, son clan… alors qu’elle devrait être la solidarité avec la communauté nationale, avec l’humanité dans son entièreté, solidarité dont le socle est la Sécurité sociale qui devrait être intégrale ?

Ces dernières décennies montrent que notre démocratie prend le chemin inverse de notre devise. Comment ne pas comprendre que c’est là le terreau de la montée en puissance de la défiance à l’égard des valeurs de la démocratie républicaine et sociale et du principe de laïcité ? C’est bien beau de parler d’égalité et de nier la réalité de la paupérisation générale, de la hausse des inégalités sociales. C’est cette dichotomie entre les droits et valeurs formelles et la réalité qui poussent à ce que chacun cherche à s’en sortir seul contre les autres. C’est ainsi que l’avènement d’une fraternité universelle semble demeurer pour longtemps une utopie.

Un large rassemblement populaire

L’autonomie relève d’une volonté de diviser le peuple français et d’empêcher son rassemblement pour une alternative sociale et écologique au système ultra-libéral.

Pour approcher une telle utopie, il est temps que la République française se mette en phase, concrètement, avec ses valeurs et ses principes. S’attacher à contribuer à l’émergence d’un large rassemblement populaire s’avère d’une nécessité absolue pour y parvenir. Notre démocratie, fondée sur des partis obnubilés par des blocs d’électeurs qu’il s’agit de séduire sur le marché des bulletins de vote, attachés à des biais égocentriques, n’est plus vectrice de l’expression du peuple en vue du bien commun. Les partis, trop souvent, participent d’une démocratie qui est devenue une égocratie qui empêche la réflexion collective, qui entrave la définition de l’intérêt général et des mesures pour le garantir.

L’autonomie relève d’une volonté de diviser le peuple français et d’empêcher son rassemblement pour une alternative sociale et écologique au système ultra-libéral.

Le but de toute organisation politique, disait Spinoza, est la liberté. Il ajoutait que la démocratie, en plus de garantir la paix et la sécurité, comme tous les régimes, a pour objet d’assurer deux aspirations profondes de tout individu, la liberté et l’égalité. C’est ce que permet, potentiellement, la laïcité. Quelle garantie avons-nous que cela ne sera pas vidé de toute réalité avec l’autonomie de la Corse et toutes les autonomies qui ne manqueront pas d’advenir ?

Le gouvernement joue avec le feu et met le doigt dans un engrenage qu’il ne pourra plus maîtriser.

Qu’il faille une organisation territoriale et administrative plus démocratique, c’est certain. Ce n’est pas le chemin qu’emprunte ce gouvernement.

Ce dossier brûlant devra exiger la vigilance de tous celles et ceux qui sont attachés à la République indivisible, démocratique, laïque et sociale.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Ces délégations peuvent être reprises au niveau national, c’est ce que demandent par exemple certains départements – la Seine–Saint-Denis – sur le RSA, car ils ne peuvent plus assurer financièrement en raison des concentrations de misère qu’induit inévitablement le système capitaliste.
2 La déconcentration est le transfert, plus ou moins réel, de missions et tâches auparavant faites dans les directions centrales des ministères aux services déconcentrés de l’État installés dans les départements. Aujourd’hui, avec une accélération sous Macron de la concentration dans les préfectures et la disparition des services départementaux des ministères dits techniques, y compris l’Éducation nationale et les finances, il y a une reprise entre les mains des préfets et du ministère de l’Intérieur. Sur cet aspect aussi nous revenons à l’Ancien Régime avec les « lieutenants généraux » qui représentaient le roi pour enrayer toutes tentatives de révolte (cf. Sainte-Soline). Il ne faut pas oublier que les départements sont une création de la Révolution de 1789. Beaucoup veulent les supprimer au bénéfice des régions. D’ailleurs, aujourd’hui, il y a une hiérarchie entre les préfets : les préfets de région sont les supérieurs hiérarchiques des préfets départementaux sauf pour les questions d’ordre public justement.
3 La « reconnaissance d’un statut d’autonomie pour la Corse au sein de la République qui tient compte de ses intérêts propres liés à son insularité méditerranéenne, à sa communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre. »
4 Validation de ce texte par une consultation populaire des électeurs corses, sans date déterminée.
5 « Les lois et règlements peuvent faire l’objet d’adaptations justifiées par les spécificités de ce statut [autonome]. La collectivité de Corse peut être habilitée à décider de l’adaptation de ces normes dans les matières, les conditions et sous les réserves prévues par la loi organique. »
6 Cela rappelle une période de triste mémoire de la France : « La terre ne ment pas », disait Pétain.
7 Cette Charte a été signée par la France en 1999, mais pas ratifiée.