Le président Macron : Tartuffe de la laïcité

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Cela fait plusieurs décennies que nous subissons des atteintes à notre démocratie républicaine de la part des gouvernements successifs qui maquillent leur tropisme clérical et confessionnel sous le couvert d’une pseudo-volonté de promouvoir et défendre le principe de laïcité, fondement de notre société. La dernière tartufferie est la transformation du palais présidentiel en lieu de culte.

Une succession d’actes anti-laïques et de renoncements

Nicolas Sarkozy méprisant le rôle de l’instituteur de l’école publique affirme que « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur »(1)Discours de Latran, 20 décembre 2007. Ce faisant, il ignore qu’un enseignement laïque de la morale digne de ce nom, valable pour chacun et chacune d’entre nous quelle que soit notre option spirituelle, athée ou religieuse, est la matrice qui permet le vivre-ensemble, d’exprimer nos différences sur un mode non fanatique.

François Hollande qui a, courageusement, renoncé à inscrire dans notre Constitution la loi du 9 décembre 1905, fondement du principe de laïcité, a tergiversé sous le ministère de Najat Vallaud-Belkacem(2)Déclaration en 2014 : « Le principe, c’est que, dès lors que les mamans ne sont pas soumises à la neutralité religieuse […], l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception »., suivant l’avis du Conseil d’État, afin que la circulaire Chatel(3)Section laïcité de la circulaire Chatel, n° 2012-056 du 27-3-2012, afin de garantir la laïcité à l’école :« La laïcité est un principe constitutionnel de la République : elle donne le cadre qui, au-delà des appartenances particulières, permet de vivre ensemble. Elle est accueillante, à la fois idéal d’une société ouverte et moyen de la liberté de chacun. L’École met en pratique la laïcité et apprend aux élèves à distinguer savoir et croire. Facteur de cohésion sociale, la laïcité s’impose à tous dans l’espace et le temps scolaires. Chacun, à sa place, est le garant de son application et de son respect. Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires. » permettant aux directeurs et directrices d’école d’exiger des accompagnateurs lors des sorties scolaires de ne pas arborer de signes visibles d’appartenance religieuse. Ce faisant, Najat Vallaud-Belkacem prenait le contre-pied de la décision de Vincent Peillon (qui l’avait précédée au ministère de l’Éducation nationale) lequel répondait à l’avis du Conseil d’État en rappelant que la circulaire Chatel, qui interdit d’arborer des signes d’appartenance religieuse lors d’accompagnements de sorties scolaires, restait valable.

Le pompon revient à Emmanuel Macron qui a marqué son premier quinquennat du sceau de sa subordination à l’Église lors du discours des Bernardin(4)Conférences des évêques de France le 9 avril 2018.. Il y affirme, entre autres partitions anti-laïques, qu’il n’est « ni l’inventeur ni le promoteur d’une religion d’État substituant à la transcendance divine un credo républicain ». Il confond ou feint de confondre que la laïcité serait anti-religieuse. Cela est faux. La laïcité est anticléricale en ce sens qu’elle veille à ne pas soumettre la société aux diktats religieux. Il ajoutait que « L’État et l’Église appartiennent à deux ordres institutionnels différents », ce qui est exact pour préciser ensuite que «  tous deux exercent une autorité et même une juridiction ». Cela signifierait en filigrane la reconnaissance d’une autorité particulière de l’Église ce qui est contraire au principe de laïcité dans une République laïque. Il cite Paul Ricœur qui confond sens moral et sens religieux (5)Conférence à Amiens en 1967 « maintenir un but lointain pour les hommes, appelons-le un idéal, en un sens moral, et une espérance, en un sens religieux ».. C’est sous-entendre que la spiritualité serait l’apanage des religions et compter pour négligeable la spiritualité athée et agnostique, spiritualité tout autant profonde et encore plus émancipatrice. Comme pour les deux exemples suivants, l’imposture anti-laïque fut d’intervenir en tant que Président de la République lors d’une réunion religieuse.

Ce fut en l’occurrence sa participation à la cérémonie religieuse lors de la venue du pape François à Marseille. Selon ses propos, le président de la République a choisi d’être présent « non pas comme citoyen [de confession] catholique, mais comme chef de l’État » selon ses dires. Donc, il s’agit clairement d’une atteinte au principe de laïcité, une de plus(6)Voir notre précédent article dans le n° 1069 de ReSPUBLICA du 1er octobre 2023, « La venue du pape dévoile les comportements anti-laïques de la plupart des forces politiques ». https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-laicite/la-venue-du-pape-devoile-les-comportements-anti-laiques-de-la-plupart-des-forces-politiques/7434410.

Cerise sur le gâteau, la cérémonie religieuse à l’Élysée avec la bénédiction du Président Macron

Contexte : pour Hanoukka, fête religieuse juive célébrée à l’Élysée le jeudi 7 décembre, Mendel Samama, rabbin strasbourgeois, poste sur le réseau social X (ex-Twitter), une vidéo sur laquelle on peut voir le grand rabbin de France Haïm Korsia, sous les ors de la salle des fêtes du palais de l’Élysée, en train d’allumer une bougie de Hanoukka, conformément à la tradition religieuse juive.

Alexis Corbières, cité par Marianne, renouant avec les fondamentaux de La France Insoumise mis à mal ces derniers temps par nombre d’élus LFI participant à des actions organisées par des personnes proches de l’idéologie obscurantiste des « Frères musulmans », affirme que « Le président d’une République laïque n’a pas à faire cela. C’est pourquoi ses prédécesseurs ne l’ont pas fait. Macron va-t-il faire de même pour tous les autres cultes ? Certains oui, d’autres non ? Spirale dangereuse. Pas de laïcité à géométrie variable ! » Un autre élu LFI, François Ruffin, se demande ironiquement quand il y aura l’organisation de la Fête de Pâques et de l’Aïd au palais de l’Élysée. Le député socialiste, Jérôme Guedj, quant à lui, précise que « la loi de 1905 dit que la république garantit la liberté de culte, pas qu’elle les organise ou qu’elle y participe. Ce n’est pas parce qu’elle n’y participerait pas qu’elle effacerait les religions. On marche sur la tête. »

Parmi les nombreuses réactions condamnant cette entorse à la laïcité, citons celle du président de Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France, qui voit dans cet épisode de mauvais augure pour notre République, une forme d’atteinte à la laïcité républicaine. Son propos est un modèle d’affirmation laïque : « Effectivement ce n’est pas la place au sein de l’Élysée d’allumer une bougie de Hanoukka, parce que l’ADN républicain c’est de se tenir loin de tout ce qui est religieux. Tout ce qui affaiblit la laïcité affaiblit les Juifs de France »(7)Interview de Sud Radio.. Comment ne pas voir ainsi un écho à la proclamation, le 23 décembre 1789, de Stanislas de Clermont-Tonnerre, député, en faveur de l’émancipation des juifs. Il y déclarait : « Il faut tout refuser aux juifs comme nation et accorder tout aux juifs comme individus ». Cette illustration de la nouvelle logique révolutionnaire est foulée au pied par le président Macron. Ce principe, prémisse de la laïcité, émit par Clermont-Tonnerre, devrait être élargi à toutes les confessions religieuses : tout refuser aux catholiques, aux musulmans, aux protestants, aux orthodoxes, aux bouddhistes… (il est impossible de citer les 3000 religions enregistrées en France par le ministère de l’Intérieur) en tant que nation (communauté particulière pour employer une expression actuelle) et tout leur accorder comme individus (comme citoyens serait plus approprié).

Le principe laïque de la loi de séparation des Églises et de l’État est plus équilibré : il affirme la primauté de la liberté de conscience et la garantie de la liberté de culte à la condition que l’ordre public soit préservé, à savoir la sûreté publique, la tranquillité publique et la salubrité publique.

Certains, proches ou membres de la mouvance macroniste dont Bernard Guetta à l’émission télévisée « C à vous », n’hésitent pas à minimiser l’affaire en affirmant que ce n’est pas une affaire d’État. Nous signons et persistons : c’est une affaire d’État d’importance. Ça l’est, car elle illustre :

  • une remise en cause fondamentale de la neutralité de la République qui connaît les religions, mais ne les reconnaît pas en ce sens qu’elle ne leur accorde pas une place privilégiée dans la société qui leur permettrait d’imposer leur point de vue, leurs dogmes ;
  • une remise en cause supplémentaire de la neutralité en ce sens que la République s’abstient de définir ce que serait « la vie bonne ».

Un ministre, un chef d’État, un élu de la République ne doit pas ès qualités assister à une cérémonie religieuse, car il est l’élu des citoyens athées, agnostiques, indifférents aux religions (large majorité des Français et Françaises) et croyants, quels qu’ils soient.

Plus qu’une erreur politique, une faute

En piétinant ainsi le principe laïque, le président Macron alimente la fracture de la République en donnant le sentiment que l’important est l’appartenance à une communauté particulière, religieuse ou non, avant l’appartenance à la communauté nationale. Il désagrège de la sorte la valeur républicaine de « Fraternité » gravée, avec « Liberté » et « Égalité », sur le fronton de nos édifices publics. Cette « Fraternité » implique que la solidarité va à l’ensemble des citoyens et citoyennes. Le Président Macron et ses soutiens, par ses sorties de route anti-laïques, donnent à penser que la solidarité va à son clan, sa tribu, à celles et ceux qui partagent la même spiritualité athée ou religieuse.

La célèbre formule de Clermont-Tonnerre doit être élargie à toutes les sensibilités métaphysiques et invite à les mettre à distance, sans les effacer.

La loi du 9 décembre 1905, toute la loi

Tous les républicains authentiques devraient agir pour rétablir la loi de 1905 dans tous ses aspects. Cette loi a constamment été bafouée non seulement par le président Macron, mais également depuis 1944, avec comme point d’orgue, la loi Debré de 1959, jusqu’à nos jours. En voici une liste qui fait froid dans le dos des laïques et qui illustre la « guerre de reconquête cléricale »(8)Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-laicite/le-serment-de-vincennes-19-juin-1960-la-guerre-scolaire-visible-hier-sournoise-aujourdhui-est-toujours-dactualite/7413602:

— 1944 : les subventions sont officiellement supprimées sauf pour l’enseignement technique privé, l’éducation physique, les mouvements de jeunesse et les établissements privés qui peuvent recevoir des aides sous forme de bourses.

— 1948 : le décret Poinso-Chapuis. C’est une voie détournée pour réinstaller le financement des écoles privées par l’intermédiaire du ministre de la Santé : « aider les familles éprouvant des difficultés matérielles pour l’instruction de leurs enfants » par l’Union nationale, les unions régionales et locales des allocations familiales. Mis en appétit pour aller plus loin (MRP) vers le soutien des écoles privées, Mgr Cazeaux, évêque de Luçon, lance, en soutien, la grève de l’impôt pour le financement des écoles confessionnelles.

— 1951 : les lois Marie et Barangé. Les familles dont les enfants fréquentent une école privée recevront des subventions d’État. Lois obtenues dans le cadre de l’Alliance MRP (parti clérical, Barangé), la SFIO et le parti radical (Marie). L’Organe des Écoles libres jubile : « Gloire aux vainqueurs… Une brèche est ouverte : il ne s’agit que de l’agrandir et de passer avec le gros des troupes ». Le financement ne suffit plus, il faut un statut à l’enseignement privé catholique.

— 1959 : la loi Debré : c’est le début d’un aboutissement. On passe de l’aide aux familles par l’intermédiaire de bourses à la relation contractuelle entre l’État et les établissements d’enseignement privés. « Les dépenses de fonctionnement des classes (un établissement peut passer un contrat pour la totalité ou une partie de ses classes) sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes du public. »

— 1977 : la loi Guermeur. Alors qu’avec la loi Debré, le contrat est passé avec chaque établissement privé, avec la loi Guermeur, l’enseignement catholique devient l’égal de l’éducation nationale et prétend même en faire partie. Est actée l’égalisation des situations des enseignants du privé et du public (déroulement des carrières pour les avancements et promotions, mesures sociales, retraites). Est introduit le forfait communal versé pour chaque élève et par an avec les mêmes critères que pour les classes correspondantes du public (mars 1978). De facultative, la contribution des communes devient obligatoire.

— 2004 : Le sénateur socialiste, Charasse, propose une loi faisant obligation pour toute commune de financer les dépenses d’entretien d’un élève dont les parents sont domiciliés dans la commune, mais dont l’enfant fréquente une école privée d’une autre commune.

—  2009 : La loi Carle (art.89 de la loi de décentralisation) veut « garantir la parité de financement entre les écoles primaires publiques et privées sous contrat d’association lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence. »

Ainsi est constitué le corpus législatif qui marque l’aboutissement d’un siècle de guerre scolaire menée par le parti clérical. Les renoncements, lâchetés ont empêché la préservation du principe de laïcité notamment en favorisant le dualisme et la ségrégation scolaires, en favorisant au travers de subventions d’État de manière disproportionnée l’école privée à 96 % confessionnelle. Le seul principe qui vaille est « argent public à école publique ».

La cérémonie religieuse au sein du Palais de l’Élysée n’est donc que la partie émergée de l’iceberg anti-laïque illustrée par les multiples atteintes citées ci-dessus malgré quelques embellies issues de la Commission Stasi sur l’interdiction dans les écoles publiques de signes ostensibles (visibles) d’appartenance religieuse.

Ainsi que le souligne le Grand Orient de France dans un communiqué, malgré l’intervention du président en son siège, « à deux jours de la date anniversaire de la loi de 1905 de « Séparation des Églises et de l’État», le Président de la République, gardien de la constitution de notre République indivisible, laïque, démocratique et sociale, [en transformant] le Palais de l’Élysée en un lieu de culte, [fragilise] le pacte républicain. »

Il ajoute : « La laïcité, garante de la paix civile et de la concorde, n’avait pas besoin d’être à nouveau affaiblie alors qu’elle nécessite au contraire d’être renforcée. »

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Discours de Latran, 20 décembre 2007
2 Déclaration en 2014 : « Le principe, c’est que, dès lors que les mamans ne sont pas soumises à la neutralité religieuse […], l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception ».
3 Section laïcité de la circulaire Chatel, n° 2012-056 du 27-3-2012, afin de garantir la laïcité à l’école :« La laïcité est un principe constitutionnel de la République : elle donne le cadre qui, au-delà des appartenances particulières, permet de vivre ensemble. Elle est accueillante, à la fois idéal d’une société ouverte et moyen de la liberté de chacun. L’École met en pratique la laïcité et apprend aux élèves à distinguer savoir et croire. Facteur de cohésion sociale, la laïcité s’impose à tous dans l’espace et le temps scolaires. Chacun, à sa place, est le garant de son application et de son respect. Il est recommandé de rappeler dans le règlement intérieur que les principes de laïcité de l’enseignement et de neutralité du service public sont pleinement applicables au sein des établissements scolaires publics. Ces principes permettent notamment d’empêcher que les parents d’élèves ou tout autre intervenant manifestent, par leur tenue ou leurs propos, leurs convictions religieuses, politiques ou philosophiques lorsqu’ils accompagnent les élèves lors des sorties et voyages scolaires. »
4 Conférences des évêques de France le 9 avril 2018.
5 Conférence à Amiens en 1967 « maintenir un but lointain pour les hommes, appelons-le un idéal, en un sens moral, et une espérance, en un sens religieux ».
6 Voir notre précédent article dans le n° 1069 de ReSPUBLICA du 1er octobre 2023, « La venue du pape dévoile les comportements anti-laïques de la plupart des forces politiques ». https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-laicite/la-venue-du-pape-devoile-les-comportements-anti-laiques-de-la-plupart-des-forces-politiques/7434410
7 Interview de Sud Radio.
8 Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-laicite/le-serment-de-vincennes-19-juin-1960-la-guerre-scolaire-visible-hier-sournoise-aujourdhui-est-toujours-dactualite/7413602