Depuis plus d’une semaine, des Iraniennes et Iraniens manifestent après la mort suspecte de Mahsa Amini. Le régime semble être en train de durcir la répression, alors que le mouvement de protestation paraît prendre une ampleur inhabituelle avec, en première ligne, les femmes.
La mort suspecte de Mahsa Amini, symbole de la brutalité de la police des mœurs
Le 13 septembre dernier, Mahsa Amini, 22 ans, originaire de la ville de Saqqez (Kurdistan iranien où la population est sunnite) a été arrêtée pour « port de vêtements inappropriés » par la police des mœurs ; elle se trouvait à Téhéran avec son frère. Elle est décédée vendredi 16 septembre, après trois jours de coma. Ses funérailles, qui ont eu lieu le lendemain, se sont accompagnées d’une manifestation, alors que la veille, un rassemblement avait déjà eu lieu devant l’hôpital où elle était prise en charge. La famille de la jeune femme a fait part publiquement de ses doutes quant à la version de la police, qui nie tout contact physique et a évoqué des antécédents médicaux — contredits par la famille — pour expliquer le drame. Les autorités ont dû réagir en annonçant l’ouverture d’une enquête et d’une autopsie, dont les conclusions devraient prendre quelques semaines.
Le port du voile : objet central de la contestation
Depuis la révolution islamique de 1979 et plus précisément une loi instaurée en 1983, les femmes, iraniennes et étrangères, doivent sortir la tête voilée et le corps couvert d’un vêtement ample plus ou moins long. Une police des mœurs patrouille dans les villes pour vérifier l’application de la loi. Or, depuis l’arrivée au pouvoir de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi en 2021, les contrôles sont devenus plus fréquents et les incidents se sont multipliés. Le Guide suprême, Ali Khamenei, a dit qu’il fallait faire respecter l’obligation du port du voile, un marqueur dont le régime ne peut se défaire et qui est depuis longtemps utilisé en Iran comme un instrument politique. Ces actions vont à rebours de la politique du prédécesseur d’Ebrahim Raïssi, Hassan Rohani, qui avait quant à lui désavoué la police des mœurs, qui s’était faite plus discrète durant quelques années.
Exaspérées par l’exigence du port du voile, des Iraniennes ont brûlé leurs foulards durant certaines manifestations, donnant lieu à des scènes touchantes, qui ont pu être filmées. Un des slogans des manifestations est d’ailleurs « Femme, Vie, Liberté ».
Fait nouveau, l’Union du peuple de l’Iran islamique (un parti réformateur formé par les proches de l’ex-président Mohammad Khatami) a exhorté l’État samedi à annuler l’obligation du port du voile. Dans son communiqué, le parti demande que la République islamique annonce « officiellement la fin des activités de la police des mœurs » et « autorise les manifestations pacifiques ». Il a appelé enfin à la formation d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur la mort de Mahsa Amini et à la libération des personnes arrêtées (dont le nombre approcherait le millier).
Une situation paradoxale pour les femmes
En Iran, et contrairement à la majorité des pays du Moyen-Orient, les femmes ont eu accès aux études supérieures et occupent des postes à responsabilité dans tous les domaines, y compris l’ingénierie et les nouvelles technologies. En outre, il y a chez la jeunesse une aspiration à plus de liberté : avec les réseaux sociaux, grâce auxquels les jeunes Iraniens et Iraniennes ont un aperçu du quotidien d’autres jeunes à travers le monde, la jeunesse a envie des mêmes loisirs et de jouir de plus de liberté (ils utilisent par exemple des applications de rencontres). Il faut souligner que les moins de 40 ans représentent plus des deux tiers de la population iranienne.
On comprend donc aisément que la nouvelle direction prise par le régime, qui vise à ce que les femmes restent à la maison (afin de remédier à la baisse de natalité — le taux de fécondité est de seulement 1,6 enfant par femme) suscite de la contestation au sein de la population. L’accès des femmes aux métiers non désignés comme « féminins » a été restreint sous Ebrahim Raïssi. En outre depuis 2021, les vasectomies et avortements ont été interdits, les mariages précoces (avant l’âge de 15 ans) sont également encouragés et leur nombre a augmenté de 20 % sous Raïssi…
Le régime iranien fragilisé
À ces nouvelles mesures sociétales vient s’ajouter une situation sociale toujours tendue depuis les sanctions internationales prises contre l’Iran, qui ont provoqué une crise économique. Le coût de la vie est très cher et le taux de pauvreté officiel est de 46 %, mais des experts pensent qu’il est plus élevé. Il faut rappeler à ce propos que le pays avait été secoué en 2019 par des manifestations après l’augmentation du prix de l’essence. Déjà à l’époque, le régime avait fait usage de la force pour réprimer les manifestants, faisant plusieurs centaines de morts selon les ONG. Par ailleurs, du fait du contexte international, la situation énergétique est également tendue dans le pays.
Malgré des contre-manifestations organisées en fin de semaine, le nouveau régime d’Ebrahim Raïssi peine à masquer qu’il manque de soutien populaire : l’élection d’Ebrahim Raïssi en juin 2021 a été celle avec le taux de participation le plus bas jamais enregistré dans le pays, 48,8 %. Ayant à nouveau choisi la voie de la force, la répression aurait déjà fait une cinquantaine de morts selon l’ONG Iran Human Rights (17 selon le bilan officiel iranien, incluant manifestants et policiers). Mais le pire est à craindre alors qu’en fin de semaine, les autorités iraniennes ont restreint l’accès à la messagerie WhatsApp et au réseau social Instagram, laissant penser que la répression puisse s’exercer désormais sans témoin.
En tout cas, le durcissement politique pris depuis l’arrivée au pouvoir d’Ebrahim Raïssi, qui cible les femmes, célèbre le martyre et conteste toute aspiration à la liberté — ce dont témoigne l’emprisonnement récent de trois cinéastes —, apparaît de plus en plus en décalage avec les désirs des femmes éduquées et d’une population plutôt jeune. Dans une telle situation et alors que les jeunes manquent toujours de perspectives d’avenir du fait de la crise économique, il est évident que la colère finisse par s’exprimer. Certains médias soulignent le caractère nouveau de cette mobilisation, avec tout d’abord le rôle central joué par les femmes au sein des manifestations, mais aussi le fait que certaines personnes plus âgées (qui ont connu la révolution de 1979) se joignent au cortège. Enfin, il semblerait aussi que géographiquement, la contestation touche des villes auparavant épargnées par les manifestations. Ce mouvement de contestation important aura donc sans doute des conséquences sur le plan géostratégique, que nous développerons dans de futures analyses. En attendant, ReSPUBLICA apporte tout son soutien aux manifestants et manifestantes courageuses qui luttent contre l’oppression religieuse.