Élections législatives et régionales au Venezuela – les urnes ou l’abstention

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La dernière élection avait laissé beaucoup d’interrogations sans réponse : la présidentielle de juillet 2024 avait été contestée et, qu’on le veuille ou non, le Conseil national électoral n’a finalement pas produit les actes qui auraient permis de clore le débat. Le doute est demeuré. Le scrutin du 25 mai dernier, élections législatives et régionales cette fois-ci, en portait la trace. La journée électorale s’est pourtant déroulée sans incident avec une faible participation de 42 %.

Ambiance au Venezuela

Le pouvoir vénézuélien a mené ce dernier processus électoral comme si de rien n’était, dans un Venezuela désormais assommé par les batailles politiques acharnées que se livrent pouvoir et opposition depuis 2013 (date de l’arrivée de Nicolas Maduro à la présidence de la République). Ce sont des batailles sans merci, où tous les coups sont permis, les légaux comme les tordus, et cela des deux côtés.

Ces batailles laissent des traces, même si les alliances de l’opposition changent au gré du vent et des élections.

L’opposition

Pour l’opposition, encore unie sous la bannière de la « plateforme unitaire » lors des élections présidentielles, la stratégie différait aujourd’hui pour les législatives et les régionales selon les partis qui la composent. En effet, Maria-Corina Machado avait appelé à les boycotter, tandis que plusieurs figures politiques appelaient à y participer. Et non des moindres : pas moins de trois ex-candidats aux présidentielles, Manuel Rosales (ex-maire de Maracaibo, ex-gouverneur du Zulia et candidat face à Chavez en 2006), Enrique Capriles (ex-député, ex-maire, ex-gouverneur de l’État de Miranda et candidat face à Chavez en 2012, puis face à Maduro en 2013) et Henri Falcon (ex-gouverneur et ex-candidat en 2018 contre Maduro).

Capriles avait pu participer à cette élection, son inéligibilité ayant été levée, comme par hasard… Une autre figure importante de l’opposition, Juan Requesen, sorti de prison en 2023 après avoir purgé cinq ans d’emprisonnement, dont trois à domicile, se présente aussi pour « continuer à porter la voix de l’opposition ».

Pour eux, comme pour une douzaine de partis de l’opposition, il ne s’agissait pas de « valider » la fraude précédente, mais au contraire de continuer à lutter, à exister et par la même à s’opposer à la stratégie de Machado, qui ne jure que par l’intervention militaire américaine et les sanctions économiques pour sauver le pays.

Pour Rosales, Capriles et Falcon, il n’était pas possible de laisser aux seuls chavistes la totalité de l’assemblée sans même tenter de combattre. Ils prenaient date également, car eux, contrairement à d’autres opposants (Guaido, Lopez, et Ledezma), sont restés dans le pays au lieu de s’installer à l’étranger, et craignaient de laisser le champ libre aux chavistes pour toute une nouvelle législature.  

Tous trois ont également conscience que ce n’est pas la même chose d’emprisonner un député ou un gouverneur et un simple quidam ; ils savent aussi qu’une fois élus, ils représentent encore l’opposition tout entière. Or, Capriles n’a pas abandonné l’idée d’être un jour président du Venezuela. Pourtant, si l’opposition n’existe plus, c’est la fin du rêve…

Pour ces élections, l’opposition partait donc très divisée.

Le chavisme

Pour le chavisme, la partie n’était pas non plus aussi « idéale » qu’il l’aurait voulue. Des grains de sable sont entrés dans les chaussures de Maduro. Des grains de sable qui s’appellent Gustavo Petro comme le président colombien, Lula comme le président brésilien ou Manuel Lopez Obrador comme le mexicain… ceux qui lui ont rappelé en chœur qu’à gauche, une élection se gagne à la loyale, et que les preuves réclamées par l’opposition lors de la dernière présidentielle auraient dû être présentées.

Mais ce sont aussi les alliés de toujours, comme le parti communiste vénézuélien : échaudé par la détention du candidat du centre droit Enrique Marquez qu’il soutenait lors de la présidentielle, il déclarait « ne plus avoir confiance dans le système électoral » et avait appelé à ne pas participer aux scrutins du 25 mai.

Et des gens, comme Juan Barreto, ex-maire du Grand Caracas, qui a toujours soutenu Hugo Chavez, mais a pris ses distances avec Maduro. Il affirme aujourd’hui être cerné, jour et nuit, par des policiers qui campent au bas de son immeuble et le suivent dans ses déplacements.

Mais Maduro a plus d’un tour dans son sac. Il fait la sourde oreille et change de sujet. Il déclare Caracas « capitale mondiale contre le fascisme », dernier rempart contre le « mal » qui ronge l’Europe et la région. Lors d’une conférence réunissant des militants de tous les pays, il envoie ce message au monde : « Ne vous trompez pas d’adversaire ! »

Et c’est ainsi qu’une semaine avant le scrutin du 25, 38 « mercenaires » en provenance de Colombie étaient arrêtés, soupçonnés de vouloir empêcher les élections. Les vols depuis la Colombie étaient stoppés net. Contrairement à la présidentielle, la menace ne venait plus de la Macédoine du Nord, mais de la mafia albanaise qu’envoyait le nouveau président équatorien…

La veille du scrutin, c’était au tour d’un ex-député de l’opposition, membre de la garde rapprochée de Maria-Corina Machado : Juan Pablo Ganipa était ainsi arrêté alors qu’il se trouvait dans la clandestinité, soupçonné de faire partie de cette extrême droite « fasciste et terroriste » ! Son frère, Thomas Guanipa, était candidat au poste de député. Les deux ont milité au sein du parti « Primera Justicia » avec Enrique Capriles.

Il paraît que ces arrestations ont empêché des actes terroristes le jour des élections…

Tandis que certains voient dans la « ligne » Maduro une résistance aux « agresseurs » de la région soutenus par Trump, ceux-là mêmes qui exhibent une tronçonneuse (Milei) ou ouvrent leurs prisons (Buckele) avec le soutien de Trump, d’autres, au Venezuela comme à l’extérieur, s’opposent aux sanctions économiques unilatérales des États-Unis et de l’Union européenne, ces sanctions qui ne condamnent pas le régime, mais surtout le peuple.

Résultats controversés

Le grand pôle patriotique (PSUV et ses alliés) remporte les élections législatives avec 82,68 % des voix (4 553 484), soit 256 députés pour le pouvoir sur 285.

Le grand pôle patriotique fait élire 23 gouverneurs sur 24 (l’exception est dans l’État de Cojedes). La nouveauté réside dans la création d’une nouvelle entité, l’État de l’Essequibo, sur le territoire actuellement disputé avec le Guyana où le candidat de l’Alliance patriotique l’a emporté.

Grand pole patriotique 256
Opposition 29

Pour Nicolas Maduro, « cette victoire est un grand succès pour la paix et la démocratie », pour Maria-Corina Machado et les États-Unis « cette élection est une farce ».

Le prestige du Venezuela n’en sort pas grandi, et les interrogations demeurent, même pour ceux qui, à l’intérieur du pays ou ailleurs dans le monde, partagent les valeurs d’une gauche démocratique.

Opposition : une stratégie discutable

On ne peut que s’interroger sur la stratégie de la « reine » des sondages, Maria-Corina Machado, et son refus de participer à ces derniers scrutins : pourquoi, si elle est si sûre de sa supériorité dans les urnes, ne pas avoir lancé ses forces contre le grand pôle patriotique de Maduro ? Pourquoi n’avoir pas choisi de démontrer que Maduro pouvait frauder une deuxième fois ? Pourquoi laisser Capriles et Rosales seuls face à la machine chaviste ?

La position de Machado met en évidence la division des partis d’opposition, hypothèque la volonté de changement des Vénézuéliens, et profite indiscutablement à Maduro qui, fort de son écrasante majorité remportée dans les régions et au parlement, continuera à conduire les destinées du pays…

Notre regretté Pepe Mujica l’avait dit : « les seuls combats que l’on perd sont ceux que l’on ne mène pas. »