Stratégie du chaos verbal
Ne nous y trompons pas : Trump pratique avec maestria le chaos rhétorique. Ses interventions n’ont aucun rapport avec le réel, nous sommes bien au-delà de la « post-vérité ». Chaque propos du président des États-Unis se dissout quasiment instantanément, façon Alka-Selzer(1)Médicament effervescent..
Sur le dossier du Proche-Orient, Trump occupe la scène médiatique pour meubler un vide politique. Plus ses propos sont aberrants, plus ils provoquent de réactions… plus ils détournent l’attention. Ce vieux truc des prestidigitateurs fonctionne à plein. En fait, toute cette gesticulation cache le vide sidéral de la position stratégique américaine dans cette région du monde.
Calmer les fronts secondaires pour se concentrer sur le front principal
Trump cherche à diminuer la tension au Proche-Orient, comme en Europe d’ailleurs, pour concentrer les forces américaines sur l’affrontement principal en Asie contre la Chine populaire. C’est une tactique vieille comme le monde(2)Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-europe/comment-perdre-une-guerre-sans-perdre-la-face/7438090?amp=1.. Mais comment faire concrètement pour pacifier la situation ? Car une « paix miraculeuse et instantanée » est impossible à brève échéance. Et du côté de la guerre de Gaza, les ennemis sont tous des alliés des États-Unis !
Comme nous l’avons souvent écrit dans ReSPUBLICA, depuis le 7 octobre 2023, il existe deux guerres en une sur la rive est de la Méditerranée(3)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-proche-et-moyen-orient/liban-syrie-yemen-iran-la-defaite-strategique-de-laxe-de-resistance/7437413?amp=1.. La guerre au nord était assez simple au niveau des alliances : d’un côté, Israël, allié de Washington, et, de l’autre, « l’axe de résistance » avec le Hezbollah, le feu régime du clan Assad en Syrie et l’Iran des Mollahs, tous alliés de la Russie et de la Chine. Sur ce théâtre d’opérations, les blocs sont clairement définis.
C’est au sud que la situation se complexifie : d’un côté, toujours le fidèle allié israélien, mais en face le Hamas, bras palestinien des Frères musulmans, épaulé par son sponsor principal, le Qatar, et ses sponsors secondaires, c’est-à-dire tous les états pétroliers du Golfe. Or, l’ensemble de ces pays sont alliés de très longue date des États-Unis ! Derrière ses saillies verbales, Trump tente de pousser ses alliés dans la région à rejoindre le cadre des « accords d’Abraham ». Cette alliance sous parapluie étatsunien entre, principalement, Israël, les Émirats arabes unis et le Maroc, connaît une certaine pérennité. Le Maroc, par exemple, a noué un partenariat militaire étroit avec Israël. En janvier dernier, les canons israéliens de l’entreprise Elbit Systems ont été préférés par Rabat au célèbre canon français CAESAR. Mais, pour le moment, l’Arabie saoudite, pièce essentielle du dispositif, n’entend pas rejoindre ce pacte politico-militaire sans avoir la garantie de création d’un état palestinien. Cette possibilité n’est pas réaliste aujourd’hui, en raison de la conjoncture politique israélienne et du leadership de Netanyahou… au moins jusqu’aux élections prévues en 2026. Donc, stratégiquement, la situation est bloquée.
Le Hamas version 2025
Autre difficulté pour Washington : les acteurs de la guerre sont souvent incontrôlables sur le terrain. Et particulièrement la direction intérieure du Hamas dans la bande de Gaza. Car cette branche palestinienne des Frères musulmans d’aujourd’hui n’a quasiment rien à voir avec le Hamas du 7 octobre 2023 dirigé par Sinwar. En effet, l’organisation a perdu entre 15 000 et 20 000 hommes en 16 mois. Toute sa direction, à l’exception de Mohamed Sinwar, le frère du dirigeant historique, a été décapitée. Les cadres intermédiaires ont également été tués dans une proportion de 80 à 90 %.
Actuellement donc, la direction intérieure du Hamas est composée de quelques survivants et de militants peu aguerris au sens propre du terme, puisqu’ils ont trouvé le moyen astucieux de ne pas combattre les troupes de Tsahal. Ce sont, pour la plupart, des chefs d’îlots d’avant le 7 octobre sans expérience politique. Ils se retrouvent propulsés, en raison du vide laissé par les morts, à la tête de l’organisation. Ils encadrent tant bien que mal de nouvelles recrues, des adolescents entre quinze et vingt ans sans réelle capacité militaire opérationnelle. Ce Hamas version 2025 est pratiquement incontrôlable. Son expérience stratégique est nulle, ses dirigeants n’estiment pas correctement les rapports de force tant politique que militaire. Cela explique qu’ils tombent dans tous les pièges que lui tend son ennemi. L’exemple le plus frappant est l’épisode récent de l’échange des otages israéliens contre des prisonniers palestiniens où l’image de marque des islamistes « fréristes » en a pris un coup, y compris dans l’espace arabo-musulman. Mais la conséquence de cette incurie politique et médiatique du Hamas, c’est aussi l’impossibilité de lui faire entendre raison, même à son avantage. Cette fragilité structurelle des islamistes rend tout « deal » de long terme très difficile, voire impossible aujourd’hui.
Netanyahou n’a aucun intérêt à faire des concessions
Bibi, lui, a beaucoup d’atouts dans son jeu. Au sud, le Hamas n’est que l’ombre de lui-même. Au nord, le Hezbollah ne vaut guère mieux. Assad s’est réfugié à Moscou. Téhéran n’a pas répondu au dernier bombardement dévastateur de l’aviation de Tsahal. En deux vagues, des dizaines d’otages ont été tout de même libérés ; il en resterait encore 24 vivants dans les geôles souterraines du Hamas.
Par ailleurs, sur le plan international, Trump est au pouvoir. Bibi le connaît par cœur, il sait comment il fonctionne. Tous les ministres, conseillers ou envoyés spéciaux étatsuniens en missions spécifiques sur la question du Proche-Orient sont des inconditionnels d’Israël.
Sur le plan intérieur, le « camp de la paix » est presque mort… au sens littéral du terme. Les Kibboutzim à la frontière de Gaza massacrés le 7 octobre étaient l’épine dorsale de la gauche, les militants d’un compromis « deux peuples, deux États ». Quant au centre droit-centre gauche autour de Gantz et Lapid, ils ont tous deux perdu leurs relais et parfois leurs sponsors à Washington avec le départ de Biden.
Dans les faits, rien ne peut pousser Netanyahou à la moindre concession. De plus, le massacre de la famille Bibas lui assurerait le soutien de la majorité de la population en cas de reprise des hostilités. La trêve vit peut-être ses derniers jours, la poursuite de la guerre est hélas prévisible.
La « petite fenêtre » d’une paix à Gaza ?
Alors, la guerre pour toujours ? Pour le moment, tout penche en ce sens. L’espoir fait vivre et il faut y croire toujours. Car une solution de paix pour Gaza est possible sur le papier… mais la fenêtre est extrêmement étroite. Pour cela, et en tenant compte de la réalité politique et géographique de la région, deux acteurs devraient être directement impliqués de toute urgence : l’Autorité palestinienne et l’Égypte.
À ce jour, l’Autorité palestinienne autour de l’OLP est encore le seul représentant du peuple palestinien. Rappelons que le Hamas n’a jamais voulu en faire partie. Cette entité est reconnue internationalement, y compris par Israël. Certes, la corruption autour du dirigeant Mahmoud Abbas est de notoriété publique. Mais il n’empêche… c’est la seule autorité ayant la légalité avec elle pour gouverner Gaza sans le Hamas. Ce dernier, en 2007, avait chassé l’OLP de l’enclave en égorgeant des centaines de militants du Fatah, composante principale de l’OLP, en un week-end.
Poursuivons en restant réaliste : l’Autorité palestinienne n’a pas les moyens militaires de mater les islamistes. Il faudrait donc que l’Égypte entre en scène pour assurer l’ordre dans un premier temps et empêcher les Frères musulmans de réimposer leur dictature religieuse eschatologique. Ainsi, dans ce schéma de paix, l’OLP assurerait l’autorité civile et l’armée égyptienne l’autorité militaire. En paix avec l’Égypte depuis un demi-siècle, Israël pourrait obtenir une garantie sur le non-réarmement de milices dans la bande de Gaza. La reconstruction pourrait alors commencer sans déplacer les populations. L’aspect financier de cette opération serait aisément réglé, car il existe en effet une énorme poche de gaz et de pétrole inexploitée au large de Gaza, qui appartient au peuple palestinien et donc à son autorité. Cette manne pourrait servir de garantie pour les prêts de reconstruction.
Hélas, avec Trump à Washington, Netanyahou à Jérusalem et les islamistes partout en embuscade, cette voie de la raison a bien peu de chance de voir le jour. Cette solution est pourtant réaliste. Elle émergera peut-être un jour lorsque les options guerrières, avec leur cortège de souffrances indicibles, seront toutes épuisées.
Notes de bas de page
↑1 | Médicament effervescent. |
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↑2 | Voir notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-europe/comment-perdre-une-guerre-sans-perdre-la-face/7438090?amp=1. |
↑3 | https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-proche-et-moyen-orient/liban-syrie-yemen-iran-la-defaite-strategique-de-laxe-de-resistance/7437413?amp=1. |