Le 21 septembre 2019, Christine Renon directrice de l’école maternelle Mehul à Pantin, se suicidait dans son établissement quelques semaines après la rentrée de classe.
Avant de mettre fin à ses jours, elle avait pris soin d’envoyer à ses collègues directrices et directeurs de Pantin, mais aussi à sa hiérarchie, une lettre dans laquelle elle expliquait les raisons de son suicide.
Elle y disait son épuisement, deux semaines après la rentrée, et sa solitude face à la multiplication de ses missions, à ses conditions de travail et au matériel de plus en plus dégradés, aux injonctions hiérarchiques toujours plus importantes et à l’absence de soutien de cette dernière dans les situations difficiles.
Face au retentissement de ce geste et de cette lettre qui eurent un écho dans l’ensemble de la profession – bien au-delà des directeurs et des directrices d’école – qui y reconnaissait toute la souffrance générée par les dysfonctionnements et des décennies des politiques publiques d’économie de moyens, de redéploiement et de management toujours plus maltraitants pour les personnels et les élèves, la réponse fut encore plus brutale.
Un management maltraitant
Blanquer, le ministre de l’époque, après quelques très discrets propos lénifiants nécessaires face à l’émoi partagé par la profession et l’annonce d’une reconnaissance de la fonction de direction, en profita pour ressortir le spectre du « statut » des directeurs et des directrices par le biais d’une proposition de loi de la députée Cécile Rilhac pour achever ce qu’il restait de singularité du fonctionnement des écoles : un fonctionnement horizontal et collectif.
Cette loi, dans sa version initiale, « proposait » de reconnaître la fonction de direction et « d’alléger leurs missions » en leur donnant une « autorité fonctionnelle » qui mettait les directions d’école sur un siège éjectable tous les 5 ans.
L’autorité fonctionnelle instituait un statut sans statut de hiérarchie intermédiaire avec davantage de missions telles que : le renforcement « du pilotage pédagogique », l’ajout de responsabilités en matière d’hygiène et de sécurité, des missions de formation, une bonification indiciaire et une évaluation spécifique tous les 5 ans hors PPCR(1)Parcours Professionnels Carrières et Rémunérations. Plus connu sous le nom de rendez-vous de carrière..
Le terme « d’autorité fonctionnelle » a disparu face à la pression syndicale et les mobilisations des enseignants, mais ses déclinaisons et ses conditions de mise en œuvre sont restées dans la loi.
À chaque rentrée, à la faveur, comme en cette rentrée scolaire, de la mise en œuvre des nouveaux programmes, des dispositions de la loi renforçant le rôle de hiérarchie intermédiaire des directions s’ajoutent.
Les directeurs et directrices, dans le cadre « du pilotage renforcé » de leurs équipes, vont être chargés de deux heures de formation sur les nouveaux programmes, sur des temps dédiés à la formation. Encore une charge de travail supplémentaire pour les directeurs et les directrices d’école qui seront surtout chargés de distiller la bonne parole institutionnelle.
Si, globalement, cette loi modifiait peu les conditions de nomination des directeurs et des directrices d’école et d’accès à la fonction, c’est parce que des modalités spécifiques ont fait l’objet de textes institutionnels postérieurs, eux même précédés par des « expérimentations » dans certaines académies, pour finir par être généralisées.
Le profilage pour l’accès à certains postes, comme la nomination des directeurs et des directrices d’école dans les zones d’éducation renforcées REP+(2)Réseau d’éducation prioritaire (Rep). Les REP+ sont pour ceux qui concentrent les plus grandes difficultés. https://www.cap-concours.fr/donnees/enseignement/systeme-educatif/grands-principes-acteurs-reformes-organisation/des-zep-au-rep-les-politiques-d-education-prioritaire-ficpra09009.) en est un des exemples.
Depuis plusieurs années, l’accès à ces postes de direction en REP+ totalement déchargés de classe(3)Rappelons que la plupart des directrices et directeurs sont chargés d’une classe et « bénéficient » plus ou moins, selon le nombre de classes de l’école, d’un temps partiel de « décharge » pour le travail administratif, etc. Ce complément dans la classe est assuré par une professeure des écoles., sont soumis à des procédures de recrutements spécifiques en dehors des règles de mobilités « classiques » des personnels.
En résumé, si un directeur ou une directrice veut accéder à un poste de direction en REP+ totalement déchargé, il doit obligatoirement faire acte de candidature auprès de sa hiérarchie, qui donne un avis, puis passer un entretien et être choisi ou pas en concurrence avec l’ensemble des candidats intéressés par ledit poste.
On note au passage que ce type de recrutement sur poste profilé a renforcé les inégalités de genre, puisqu’une grande majorité de ces postes profilés sont pourvus par des hommes, dans une profession de professeurs des écoles largement féminisée à plus de 75 %.
Le fonctionnement de REP+ implique les directions d’école dans des concertations et des prises de décision à travers les comités de pilotage de réseau où siègent le principal ou la principale du collège du réseau, les directions d’école, l’inspectrice de l’Éducation nationale ou son ou sa représentante et aussi le représentant ou la représentante du préfet. L’avis du préfet en matière de projet éducatif et pédagogique étant légitimé par le fait que l’État finance les cités éducatives.
Ces comités, sur la base du projet de réseau, déterminent pour quatre ans les orientations pédagogiques et éducatives du réseau.
Les directions d’école y sont associées et sont chargées de les mettre en œuvre sur le terrain. Autant préciser qu’il s’agit de mettre en œuvre et non d’émettre un avis sur la pertinence des orientations.
Les réseaux d’éducation prioritaires sont vraiment les lieux d’expérimentation où s’entérine le glissement de la fonction de direction vers un statut de supérieur hiérarchique, et ce, même s’il a été renoncé à l’autorité fonctionnelle dans la loi.
Ce statut hiérarchique rampant vide lentement la fonction de direction d’école de son sens et les écoles de la gestion collective encore horizontale que leur permettait l’absence de hiérarchie directe.
Pas de nouvel échelon hiérarchique au service de la politique libérale dans l’école
Les directeurs et les directrices d’école sont en train de devenir ce que dénonçait et avait mis en échec, en 1987, la coordination nationale des instituteurs en lutte contre le statut de « maitre-directeur » : des contremaitres.
Des directeurs « contremaitres » au service d’une école dont la gestion est calquée sur le management des entreprises au service de la rentabilité et de la rationalisation des moyens et dont les seuls outils sont les évaluations des élèves, des personnels et du système.
Notes de bas de page
↑1 | Parcours Professionnels Carrières et Rémunérations. Plus connu sous le nom de rendez-vous de carrière. |
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↑2 | Réseau d’éducation prioritaire (Rep). Les REP+ sont pour ceux qui concentrent les plus grandes difficultés. https://www.cap-concours.fr/donnees/enseignement/systeme-educatif/grands-principes-acteurs-reformes-organisation/des-zep-au-rep-les-politiques-d-education-prioritaire-ficpra09009. |
↑3 | Rappelons que la plupart des directrices et directeurs sont chargés d’une classe et « bénéficient » plus ou moins, selon le nombre de classes de l’école, d’un temps partiel de « décharge » pour le travail administratif, etc. Ce complément dans la classe est assuré par une professeure des écoles. |