Système éducatif : ni déni ni stigmatisation

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La Cour des comptes vient de publier un rapport sur le système éducatif français. La Cour des comptes présente le travers de notre société en ne s’appuyant que sur des chiffres dans un esprit étroit de comptable. L’éducation ne peut se réduire à des chiffres, des évaluations purement normatives, car elle œuvre non avec de la matière, mais des êtres humains. Un produit peut s’évaluer facilement en qualité, en solidité, durabilité, fragilité, fiabilité. Ce n’est pas le cas lorsque nous avons affaire à des individus à la personnalité et la conscience en formation.

Bilan alarmant dressé par la Cour des comptes

La Cour des comptes dresse un bilan alarmant en mettant en parallèle un effort croissant au service de l’éducation et des résultats insatisfaisants. Il ne s’agit pas de nier que les résultats et le niveau scolaire moyen ne sont pas la hauteur des enjeux.

Ainsi, il est affirmé plusieurs constats :

  • « Un système éducatif en situation d’échec, des inégalités qui s’aggravent » ;
  • Une « organisation en décalage avec les besoins de l’enfant » ;
  • « En dépit des efforts consentis ces dernières années, notamment à travers le dédoublement des classes pour certains publics dits prioritaires, la France dépense moins que les autres pays dans l’enseignement élémentaire » ;
  • « Un niveau des élèves inacceptable » ;
  • « Le déclin des performances scolaires des élèves, notamment vis-à-vis de nos voisins européens, s’accompagne d’une incapacité de la politique éducative à résorber les fortes disparités de niveau, en particulier la proportion d’élèves qui sont en difficultés majeures » ;
  • « Le nombre d’heures passées à enseigner les mathématiques en France est bien plus élevé que la moyenne européenne » et pourtant la France figure à une piètre place ;
  • Il est relevé un écart de réussite entre filles et garçons qui s’est « significativement creusé entre 2015 et 2022 ». 

Une analyse en partie biaisée

Cette analyse ne repose principalement que sur l’aspect comptable et, surtout, vise à manipuler l’opinion en affirmant que le budget ne cesse de croître ; elle omet de citer toutes les études qui montrent que les dépenses consacrées à l’Éducation nationale en part du PIB ont baissé de 7,8 % en 1995 à 6,8 % en 2003. La France, par le nombre d’élèves par classe et le niveau de salaire des enseignants, ne figure pas en bonne position au sein de l’Union européenne. Tout cela rend le métier peu attractif, sans compter les multiples intrusions intempestives et inopportunes de certains parents, qui se comportent non en parents d’élèves, mais en consommateurs égoïstes à qui tout est dû. A cela s’ajoute le mépris général et entretenu parfois au plus haut niveau à l’égard de la fonction enseignante. Il est utile de relire l’analyse de François Ruffin, « Je vous expliquerai pourquoi l’école va mal(1)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-idees/respublica-lu-et-a-lire/je-vous-explique-pourquoi-lecole-va-mal-par-francois-ruffin/7435846. ». C’est une analyse autrement plus pertinente et fine que celle de la Cour des comptes.

La Cour des comptes ressemble à ce personnage qui déplore les conséquences (école en crise) alors qu’il en chérit les causes(2)Citation exacte de Bossuet : « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? Quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance »..

Des politiques éducatives injonctives inefficaces

Cela fait quelques décennies que les directives ministérielles transforment les enseignants en exécutants, les éloignant de l’esprit de la profession, qui doit maîtriser des pratiques pédagogiques diverses et donc s’appuyer sur une autonomie pédagogique en phase avec la nécessaire transmission et la construction des connaissances. Au lieu de cela, les enseignants sont infantilisés et écartés des réflexions sur les pédagogies diverses au profit d’une seule imposée d’en haut.

Le syndicat enseignant, FSU, pointe du doigt cet aspect : « La série d’injonctions faites en français et mathématiques ont éloigné les enseignants d’un enseignement basé sur des compétences de haut niveau. Les nouveaux programmes ne risquent d’ailleurs pas d’améliorer les choses tant ils sont axés sur des compétences très “mécanistes ». L’école doit former des citoyens libres, conscients, émancipés, dotés d’une forte autonomie de jugement. Imposer une seule méthode mécaniste d’apprentissage, sans nier l’intérêt du « par cœur », de la répétition, éloigne l’école de cette mission. Les autres missions sont, faut-il le rappeler, favoriser l’insertion des jeunes gens accueillis dans les activités économiques, transmettre et construire des savoirs et connaissances, transmettre une morale commune fondée sur des repères universels qui évite le piège du relativisme ordinaire qui met tout et n’importe quoi sur le même plan.

Des causes ignorées ou omises par la Cour des comptes

  • Le bilan d’Emmanuel Macron affiche une suppression d’école par jour. Dans le second degré, le bilan est tout autant désastreux, avec 8 000 postes de professeurs supprimés, soit l’équivalent de 200 collèges ;
  • La part du budget de l’État réservée à l’Éducation nationale a diminué également, passant de 64 % à 57 % ;
  • Du CP au CM2, pour les dépenses par élève, la France se situe sous la moyenne de tous les pays de l’UE à 25 ;
  • La crise des vocations : dans les concours de recrutement, nous sommes passés de 16 candidats pour 1 poste d’enseignant à 6. En mathématique, il y a 800 admissibles (ceux qui ont réussi à l’écrit et doivent passer l’oral) pour 1 000 postes à pourvoir.

Le bilan comptable de la Cour des comptes ne décrit que très imparfaitement la situation et, surtout, n’apporte aucune perspective pour que la France ne soit plus le pays de l’injustice sociale transformée en injustice scolaire, en reproduisant les inégalités, voire en les creusant.

Une des missions de l’école : intégration dans les activités économiques

En parallèle des missions, telles que former des citoyens libres, conscients, émancipés et dotés d’une forte autonomie de jugement, transmettre et construire une morale commune fondée sur les valeurs, le triptyque de Liberté, d’Égalité et de Fraternité, et le principe d’organisation de la société qu’est la laïcité, la formation des producteurs est importante.

Cela implique, en plus de former des ouvriers hautement qualifiés, des techniciens, des ingénieurs, des scientifiques.

Science avec conscience

Des ressources existent, proposées, entre autres, par la Fondation « La main à la pâte(3)« Activons les sciences en classe » https://fondation-lamap.org/. ». Les propositions de séquences permettent de développer la démarche scientifique : émettre des hypothèses, imaginer des expériences, confronter les résultats, conclure si l’hypothèse de départ est confirmée ou non. Cela assure une meilleure compréhension des connaissances qui découlent de ces activités.

Outre la question matérielle, le temps dévolu, la question du nombre d’élèves par classe pose un tel problème d’organisation que même les enseignants convaincus de mettre en œuvre de telles activités y renoncent. Il n’est pas question de leur jeter la pierre, tant les conditions de réalisation sont rédhibitoires.

C’est dommage, car, en plus de transmettre et de construire des connaissances, la démarche scientifique est un antidote aux manipulations diverses « de masse » qui sont « amplifiées avec un accès… à des théories alternatives qui font appel à une intuition, ont l’air de relever d’un prétendu « bon sens », plus facile à croire pour expliquer le monde autour de nous. La démarche scientifique nécessite un effort qui rend la propagande moins évidente(4)« LA science est un héritage universel » ; entretien avec Christophe Galfard, astrophysicien, docteur en physique théorique de l’université de Cambridge in revue n° 504 « fenêtre sur cour » du journal du syndicat enseignant FSU-SNUipp. ».

Une telle mission ne nécessiterait-elle pas des efforts budgétaires bien au-dessus du niveau actuel ? La restauration sur de bonnes bases laïques de notre République passe par là.

Des pistes pour aider à sortir de la crise scolaire

  • Taille des classes : La décision de dédoubler les classes de CP et CE1 semble être intéressante. L’inconvénient est qu’elle a été réservée à une minorité pour les seules écoles situées en REP (Réseau Éducation Prioritaire), alors qu’elle aurait dû être généralisée. Hormis son coût élevé, il aurait été préférable de réduire la taille des classes ;
  • Sortir du séparatisme scolaire qui concentre les IPS (indice de positionnement social) élevés dans le privé, au détriment du public. Ce séparatisme contrecarre la promesse d’égalité, égalité conçue comme une élévation générale du niveau culturel, intellectuel et du niveau de connaissance. Il est temps que l’argent public aille à l’école publique ;
  • Attractivité du métier d’enseignant : Les salaires et les conditions d’exercice du métier doivent être améliorés ;
  • Revoir l’organisation du temps scolaire : le temps des élèves passé à l’école doit être augmenté sur l’année scolaire et mieux réparti. Cela suppose un recrutement important de professeurs afin d’y parvenir sans augmenter le temps en présence des élèves. Rappelons que, dans l’enseignement primaire, la France se situe en tête des pays du temps d’heures annuel en présence des élèves ;
  • Consacrer des efforts importants à l’école primaire : c’est à ce moment de la scolarité que se construisent des bases solides pour la suite des études ;
  • Intégration dans les activités économiques, formation des futurs citoyens émancipés et dotés d’une forte autonomie de jugement, transmission d’une morale commune et républicaine : ces principes doivent guider les instructions ministérielles. Ferdinand Buisson : « Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain si petit et si humble qu’il soit […] et lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi ni obéissance à personne, que c’est à lui de chercher la vérité et non pas de la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef, quel qu’il soit, temporel ou spirituel(5)https://enseignement-moral-et-civique-pedagogie.web.ac-grenoble.fr/sites/default/files/Media/document/ce_que_doit_etre_leducation_republicaine_discours_de_ferdinand_buisson.pdf. ».

Ce n’est qu’ainsi que pourra être revivifié le désir d’enseigner, d’instruire, d’éduquer. Ce n’est qu’ainsi que pourront être combattus les démissions et le défaut de vocation pour l’enseignement. Ce n’est qu’ainsi que pourront être hissées en étendard la conviction républicaine et humaniste, l’envie d’égalité des chances qui animent tout individu tenté par ce métier. Les causes matérielles, le manque de moyen, le défaut de reconnaissance expliquent la désaffection et la crise scolaire qui en découle.