Préface du futur

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Titre d'un dossier Services publics ou barbarie

Bien qu’on ne puisse pas « faire bouillir les marmites de l’avenir », il y a des moments où il faut tenter une piste. Nous sommes à l’un de ces moments. Un appel à contributions signé par Roland Gori, Frédéric Pierru et Bernard Teper intitulé : « Pourquoi il faut (re)créer d’urgence les services publics pour (ré)inventer la démocratie » a permis déjà à plusieurs dizaines de textes d’alimenter la rubrique « Services publics ou barbarie » de notre média. Nous remercions les lecteurs de ReSPUBLICA et les membres de l’Appel des appels pour leur importante contribution. Ce ne sont que les prémisses du travail nécessaire pour retrouver le chemin de l’émancipation.

Ce que l’appel à contributions avait suggéré a été confirmé par les quelque vingt-cinq textes de publiés sous la rubrique « Services publics ou barbarie ». L’intérêt de ces textes est qu’ils montrent en partant des réalités des différents métiers présents dans les services publics que tous ont été impactés par de nouvelles pratiques, pratiques issues de causes endogènes au modèle politique qui s’est constitué petit à petit, sous l’impulsion du mouvement réformateur néolibéral d’une part mais aussi des politiques ordolibérales issues quant à elle du type de construction de l’actuelle Union européenne. Suivant les métiers, l’impact déterminant est ou l’un ou l’autre. Nous savons par ailleurs que ces politiques ont été créées pour contrer les effets immédiats de la crise du capitalisme lui-même.

Ces textes montrent aussi la perte de sens pour les travailleurs des services publics de leurs métiers respectifs et même dans certains cas une souffrance au travail. Cela corrobore aussi l’appel à contributions, à savoir que l’amplification de l’introduction du taylorisme et du fordisme à l’intérieur des services publics – après avoir été pratiqués dans l’industrie – crée une colère et des souffrances grandissantes, tant chez les usagers que chez les personnels des services publics. C’est une confirmation de la nécessité de pratiquer une bifurcation.

Malgré l’augmentation des richesses produites, s’agglomèrent augmentation forte des inégalités sociales de toutes natures pour les assurés sociaux et leurs familles, diminution de l’accès aux services publics, désertification des services publics, perte de sens du travail dans les différents métiers des services publics, difficultés pour recruter dans tous les services publics, difficulté à conserver les personnels qui fuient des conditions de travail impossibles, baisse du pouvoir d’achat de la grande majorité des salariés des services publics, dégradation des services publics dans tous leurs principes d’égalité, de mutabilité et de continuité, etc.

Cela fait déjà beaucoup ! De plus, nous voyons se développer des actions populaires locales (contre les fermetures de services voire d’hôpitaux, contre le processus de suppression massives des postes, etc.) et nationales (par exemple, le mouvement des gilets jaunes) qui montrent que les assurés sociaux sont de plus en plus investis dans la lutte contre les reculs des conquis sociaux.

Alors pourquoi donc la bifurcation semble-t-elle impossible à obtenir ? Et si nous regardions plus sérieusement ce que nous disent les études sociologiques des élections politiques et les résultats des élections professionnelles du mouvement syndical revendicatif ! La classe populaire ouvrière et employée, qui représente 45 % de la population active française, a voté à plus de 75 % des votants pour la gauche en 1981. Aujourd’hui, cela représente moins de 30 % ! Le mouvement syndical revendicatif baisse régulièrement à chaque élection professionnelle alors qu’il conteste la ligne suivie par le gouvernement.

Nous faisons l’hypothèse dans cette « Préface du futur « que c’est parce les lignes stratégiques suivies laissent croire que l’objectif est de revenir aux mesures des années 1944-46, ou encore de croire que la bifurcation est possible dans le cadre du modèle politique actuel ou que la lutte défensive promue par diverses organisations politiques et syndicales n’est que du corporatisme strict.

Priorité 1 : passer par une vision holistique

Nous pensons que nous devons alors travailler une autre hypothèse. Celle qu’il y a un lien direct entre le modèle politique et l’objet réel des services publics. Et si nous devons regarder les années 1944-46, ce n’est surtout pas pour faire ce qui a été fait car le monde a profondément changé mais pour comprendre que le contenu du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) publié le 15 mars 1944 n’est que la conséquence de la République sociale en tant que nouveau modèle politique promu par le CNR. Dans cette hypothèse, la renaissance des services publics ne pourrait donc advenir que si et seulement si, nous la pensions collectivement comme une conséquence d’un nouveau modèle politique à créer. Si cette hypothèse est juste, il faudra donc que le soutien populaire au nouveau modèle politique et donc in fine à ses services publics soit équivalent à ce qu’il fut dans les années 1945-46.

Cette hypothèse sera bien sûr à vérifier dans ce futur. En tout cas, les nationalisations par le haut des années 1981-82 ont montré qu’elles ont été produites par un nouveau management public souvent détestable (les travaux de Yohann Chapoutot ont montré que pour conquérir un espace immense avec des ressources limitées, le nazisme a déjà eu recours à cette détestable rationalité managériale).

Priorité 2 : mettre enfin de la démocratie dans les services publics

La deuxième hypothèse que nous proposons est que ce nouveau modèle politique et donc les nouveaux services publics à construire ne seront possibles que si la démocratie est refondée au sein d’une République sociale comme nouveau modèle politique et qu’elle ne s’arrête pas à la porte des nouveaux services publics. Nous pensons que nous devons revenir au débat sur la démocratie qui a eu lieu au sein de la Révolution française, à savoir d’un côté la thèse du gouvernement représentatif de l’abbé Sieyès pour éviter la démocratie, et de l’autre la démocratie aux conditions de Condorcet, à savoir que toutes les propositions doivent être portés à la connaissance de tous et toutes, qu’un débat raisonné doit avoir lieu entre ces propositions, qu’un suffrage universel sans grève du vote ait lieu, que les citoyens et les travailleurs doivent rester maîtres du jeu via ce que nous pourrions appeler aujourd’hui le référendum d’initiative populaire et le référendum révocatoire.
Force est de constater aujourd’hui est que ce que certains appellent démocratie n’est que le modèle du gouvernement représentatif qui dans l’esprit de Sieyès était le moyen d’éviter la démocratie car, disait-il, « la France ne saurait être démocratique » ! Et qu’on arrête de nous faire croire que la démocratie au sein des services publics se résume à la participation de quelques responsables syndicaux en bout de table des conseils d’administration !

Priorité 3 : produire pour chaque métier une alternative au fordisme et au taylorisme

La troisième hypothèse que nous proposons de développer est de poser une « révolution des métiers des services publics » en partant des travaux de Bruno Trentin et d’Alain Supiot, afin de rompre avec le taylorisme et le fordisme défendus au XXe siècle tant par les communistes bolcheviks que par les tenants du capitalisme lui-même ! Cela demande de travailler cela métier par métier et d’analyser sociologiquement, pour chacun, les conflits d’intérêts qu’il faudra traiter.

Nous suggérons de travailler sur ces trois hypothèses dans une nouvelle séquence que nous proposons à tous ceux et à toutes celles qui voudraient se joindre à nous, individuellement ou collectivement, avec les acteurs du mouvement social et politique qui le souhaiteront.