« Services publics ou barbarie », la suite

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Titre d'un dossier Services publics ou barbarie

L’appel à contributions lancé dans les colonnes de Respublica fin 2021 (pourquoi il faut (re)créer d’urgence les services publics pour (ré)inventer la démocratie) a donné lieu au premier trimestre 2022 à la publication de 26 articles dans une rubrique « Service Public ou barbarie » dont il convient à présent de faire un premier bilan.

Il s’agissait de partir de l’analyse concrète de l’état des services publics dans notre pays, suite à quarante ans de politique ultralibérale et de restrictions budgétaires qui ont conduit à une situation de dégradation telle qu’il devient impératif de reconstruire des services publics dans tous les secteurs. Au-delà des constats, des convergences sont apparues et quelques exemples de propositions vont être donnés, sans qu’il soit possible de reprendre la totalité des apports (on retrouvera les textes des auteurs cités, et de bien d’autres, en cliquant sur https://www.gaucherepublicaine.org/tag/services-publics-ou-barbarie).

Raisonner en fonction des métiers

Au départ, dans le prolongement d’une réflexion entamée par les promoteurs de « l’Appel des appels », étaient pointés le lien entre crise du service public et crise du travail et la nécessité de revenir à la notion de métier : « Défendre les métiers, leur sens et leurs objectifs, et c’est bien plus difficile à faire comprendre aux jeunes générations faute d’une expérience de plusieurs années dans le monde du travail. Il est de notre responsabilité de leur transmettre aux jeunes générations le goût et le plaisir du métier pour pouvoir dire non à la casse du service public par des politiques néfastes » a ainsi écrit Marie-Josée Del Volgo.

Un exemple ? Le Collectif Sécurité publique propose d’ouvrir « le grand chantier du métier de policier : « Le futur policier devra rentrer dans la police pour y exercer un métier et non pas une fonction comme c’est le cas aujourd’hui. Il faudra donc une seule école, celle du métier de policier, et non plus celle de gardiens de la paix, d’officiers ou de commissaires […] et donc un corps unique de policier. Le policier choisira au cours de sa carrière les spécialisations et formations qui l’intéressent. » Une magistrate (Évelyne Sire-Marin) note aussi : « Il faut centrer la formation sur les relations de la police à la population et sur l’éthique du métier plutôt que sur les gestes techniques. » À l’Éducation nationale également, Pierre Hayat envisage la résistance au New public management grâce à la « solidarité des métiers(1)Ceux de la santé, de l’entretien et de l’administration aux côtés des enseignants. [entendue] à partir des finalités essentielles de l’École, chaque métier ayant vocation à garantir la meilleure instruction possible ».

Le secteur médical et médico-social, plongé dans la souffrance que l’on sait, était particulièrement bien représenté dans les textes du dossier. Il s’agit, comme l’écrit Roland Gori, de permettre « aux professionnels du soin de se réapproprier le pouvoir d’organisation qui a été confisqué par la technocratie ». Il ne suffit pas de demander davantage de moyens et plus de postes ou le moratoire des fermetures d’établissements, mais, comme l’écrit Christophe Prudhomme, « une réforme complète, supprimant la tarification à l’activité à l’hôpital et la rémunération à l’acte en ville ». Pour que le secteur de la santé relève exclusivement du secteur public, la Sécurité sociale doit cesser de financer « toutes les activités privées lucratives qui représentent aujourd’hui environ 30 % de l’offre hospitalière dans les mains de grands groupes ». De plus, la Sécurité sociale doit devenir le collecteur unique des cotisations et le payeur unique des prestations(2)« La CGT utilise le terme de sécurité sociale intégrale, car le ‘100 % sécu’ est devenu un slogan utilisé y compris par Emmanuel Macron avec un contenu très différent. ».

Enrichir la démocratie

L’optique du métier n’est pas passéiste ou corporatiste, elle est politique, car elle s’inscrit dans la volonté de démocratie appliquée aux usagers comme aux personnels.
Quant aux organisations syndicales, elles ont à « porter les grandes questions posées à la société et ouvrir le chantier de débats et de propositions à partir de [leurs] propres pratiques, tisser un réseau avec d’autres sans prétention tout en apportant l’éclairage de la portée de la dimension sociale de nos métiers » (Sébastien Firpi). Mais, ai-je ajouté à propos de la fonction publique en général, « les questions du champ, de l’organisation, du fonctionnement des services comme des garanties et obligations des agents ne peuvent être laissées au face-à-face administration/ personnels avec ses représentants syndicaux. Les usagers dans leurs diverses composantes doivent y participer dans des conditions à définir. » (Voir le rôle – perdu – des assurés sociaux dans la gestion de la Sécurité sociale.)

« Une ‘‘bonne’’ administration est aussi affaire de combats politiques. Une administration qui traite à égalité tous les usagers selon les principes de laïcité, non corrompue, dont l’accès est assuré égalitairement pour tout citoyen et résident, en phase avec la société dans laquelle elle baigne ne naît pas spontanément, elle est le résultat de processus politiques qui relèvent des luttes sociales dans toutes leurs dimensions.
L’intérêt général et la mise en œuvre impartiale de la loi et des politiques publiques doivent redevenir les moteurs de l’action administrative à tous les niveaux, ce qui implique des fonctionnaires pleinement citoyens qui disposent de leur droit d’expression dans la limite du secret professionnel […] L’administration doit être en prise avec la société, les associations, la société civile en général. Avec plus de cinq millions d’agents, elle ne peut être étrangère à la société… » (Jean-Claude Boual).

Les domaines de l’école, de l’Université et de la recherche ont fait l’objet de nombreuses contributions que la formule de Pierre Ouzoulias éclaire bien : il s’agit de « substituer un service rendu ou vendu au public par une mission au service de la connaissance critique, de la nation apprenante, de l’émancipation des citoyens, du développement des sciences et des humanités et des capacités cognitives de tous à en maîtriser démocratiquement et collectivement le cours ».

Pour aller plus loin, appel à contributions complémentaires

Poursuivre le diagnostic sera nécessaire, notamment pour les services publics absents de la première vague d’articles : énergie, poste, télécom, banque, transports, petite enfance, dépendance, information et tous les services publics de réseaux en général…

Poursuivre le diagnostic sera nécessaire, notamment pour les services publics absents de la première vague d’articles : énergie, poste, télécom, banque, transports, petite enfance, dépendance, information et tous les services publics de réseaux en général… Et pour chaque service public, développer des propositions d’organisation plus précises en tenant compte de métiers et des formes de démocratie à y introduire.

Sans oublier de commencer par faire la liste des dispositions à abroger avant de reconstruire des fondamentaux… ces propositions devront être adaptées à la société d’aujourd’hui en tenant compte des technologies nouvelles (numérique, énergie, communications), des besoins nouveaux, des questions climatiques et environnementales, des réflexions sur les « communs » …

Enfin, il conviendra de tenir compte de la dimension européenne et de sa réglementation. Les services publics évoqués font partie des responsabilités des États membres dans le cadre des compétences de l’UE, mais quasiment jamais n’apparaissent les conséquences de décisions communautaires dans leur domaine (par exemple, le processus de Bologne pour les universités, les directives sur les travailleurs transfrontaliers ou détachés pour le système de santé, la directive service sur les services sociaux… en tenant compte des interprétations souvent très libérales comme pour la directive services lors des transpositions  en droit français par le gouvernement). Or cette question est particulièrement importante pour les services publics de réseaux, électricité, chemin de fer, transports publics et transports en général, poste, télécommunications, ainsi que pour tous les services sociaux dont les organisations ont été bouleversées par les directives de libéralisation. On ne peut se contenter de la dénonciation de la concurrence libre et non faussée, en ignorant les autres aspects des politiques européennes !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Ceux de la santé, de l’entretien et de l’administration aux côtés des enseignants.
2 « La CGT utilise le terme de sécurité sociale intégrale, car le ‘100 % sécu’ est devenu un slogan utilisé y compris par Emmanuel Macron avec un contenu très différent. »