« Que voulons-nous, nous socialistes ? Nous voulons créer peu à peu de vastes organisations de travailleurs qui, devenues maîtresses du capital, s’administrent elles-mêmes, dans toutes les parties du travail humain, sous le contrôle de la Nation. »
Jean JAURÈS, Socialisme et liberté
Cet ouvrage en deux tomes parus au premier semestre 2015 chez Eric Jamet éditeur (voir la boutique de ReSPUBLICA pour les commander) est écrit par deux collaborateurs du journal, Bernard Teper et Pierre Nicolas. Pour les lecteurs intéressés par nos contenus, c’est l’occasion de trouver réunies un certain nombre de propositions déjà présentes dans nos articles, pour en mieux voir la cohérence et les approfondir.
Les quatre-vingts premières pages du livre donnent une vue d’ensemble du cadre théorique dû à Marx, sans oublier la dimension stratégique due à Gramsci, et au contexte actuel de crise mondiale du capitalisme, avant de caractériser le modèle politique de la République sociale proposé à la gauche de gauche. Une République qui ne se contente pas d’être « plus sociale » mais emprunte à Jaurès « l’idée de propriété sociale des moyens de production […] point lumineux où tous les vrais révolutionnaires se rallient » et s’enracine dans l’histoire de notre pays et les aspirations déçues du siècle passé..
Cette République sociale pour le siècle présent est précisée dans ses principes fondateurs, dans ses ruptures nécessaires avec le modèle actuel, dans ses exigences indispensables à l’alternative et sa stratégie de l’évolution révolutionnaire, pensée d’abord par Marx, reprise par Jean Jaurès et que les auteurs proposent de prolonger.
Deux stratégies principales pour atteindre la République sociale sont exposées dans l’ouvrage :
– la socialisation progressive (et sans expropriation) des moyens de production d’une part, par un mécanisme d’attribution aux salariés d’actions non rémunérées ;
– une vaste réforme de la Sécurité sociale par son extension à la Sécurité économique, d’autre part, permettant la mutualisation du risque entre l’ensemble des salariés et des entreprises.
Ces deux idées phares sont détaillées dans les « bonnes feuilles » qui suivent dans ce numéro. On pourra également les retrouver sous une forme graphique dynamique, voire amusante, particulièrement appropriée à l’éducation populaire, dans deux diaporamas signalés en tête des textes. Si certains développements dans le livre sont plus techniques lorsqu’ils décomposent la valeur ajoutée, les fonds propres de l’entreprise ou le coût moyen pondéré du capital (WACC), le lecteur ne sera jamais piégé par les chiffres et il faut saluer la vigueur et la clarté du style. Tout juste peut-on regretter les allers-retours et redites auxquels oblige la division en deux tomes (également indispensables!).
Et pour vous donner plus encore l’envie de lire l’ouvrage, j’aimerais donner un aperçu de trois autres chapitres.
« Les « idéologies de substitution » à la République sociale. Diverses solutions prônées par la gauche de transformation sont passées en revue pour en démontrer le caractère illusoire ou insuffisant : le revenu universel, le salaire à vie, le partage des richesses (« faire payer les riches ») ou celui du travail (la réduction du temps de travail sans gains de productivité correspondants), l’« écologie politique » et le moralisme écologique, enfin le partage de la gouvernance dans l’entreprise (stakeholders capitalism) sans remise en cause de la propriété privée des moyens de production. L’échec de ces tentatives de transformation est patent depuis que les contradictions du capitalisme se développent.
L’inefficacité du capitalisme aujourd’hui. Ingénieur et syndicaliste CGT dans un grand groupe automobile, Pierre Nicolas dispose d’observations prises au cœur de l’appareil industriel. Il montre comment l’hypertrophie de la gouvernance s’accompagne de méthodes contre-productives (le management « par objectifs » qui privilégie l’individualisation au détriment de la coopération, le management « par le budget » qui favorise une concurrence interne inadaptée). Inefficaces mais nécessaires pour garder le contrôle sur les salariés. Loin de l’idée que c’est le niveau élevé des salaires qui handicape l’industrie française, l’auteur montre l’impact de ces modes de fonctionnement sur les coûts de production, ce qui l’autorise à considérer que la fin du mode de production capitaliste est inévitable.
La crise du syndicalisme. Si on se reporte à l’affirmation posée par la Charte d’Amiens de la nécessité de la « double besogne » à laquelle doivent s’atteler les syndicats – défense des intérêts immédiats des travailleurs et participation à la transformation de la société -, il est clair que les revendications matérielles subsistent pratiquement seules sous l’effet du « tabou de la propriété » qui s’est emparé du mouvement syndical depuis l’abandon des pulsions révolutionnaires des années 60-70. Ce qui est proposé aux syndicats pour sortir de cette crise, c’est la possibilité de renouer avec le projet jaurésien de République sociale. Un développement intéressant concerne l’ignorance dans laquelle se tiennent mutuellement les ouvriers de production et les ingénieurs des bureaux d’études, et l’appel fait à leur coopération dans des projets alternatifs innovants.
« Un GPS pour la gauche de gauche » comme le revendique la couverture de l’ouvrage ? Assurément, même si de nombreux aspects restent ouverts au débat.
Lire le chapitre Une grande réforme de la propriété : la socialisation progressive
Lire le chapitre Une grande réforme de la Sécurité sociale : son extension à la sécurité économique