Santé et protection sociale : quoi de nouveau durant l’été ?

Là où le gouvernement Sarkozy-Fillon faisait beaucoup de communication autour de beaucoup de mesures régressives, la stratégie médiatique du gouvernement Hollande-Ayrault est de faire beaucoup de communication pour ne pas dire grand-chose. Pourtant les urgences sont là. Et elles n’attendront pas très longtemps, car les échéances sont là : examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale le 10 octobre notamment. Comme ReSPUBLICA s’intéresse plus aux politiques gouvernementales qu’aux kilomètres de dépêches de Marisol Touraine, notre ministre, nous ne commenterons pas ses nombreuses déclarations qui ne sont que des déclarations d’attente. Sortons de la gangue du bla-bla avec une bonne nouvelle, si elle est maintenue : la réforme de la perte d’autonomie se ferait sans le recours aux  assurances privées souhaité par l’ancien trio infernal Sarkozy-Fillon-Bachelot.

Mais il y a de l’actu du côté d’un rapport parlementaire qui fait des propositions sur la branche de la Sécurité sociale des accidents du travail et des maladies professionnelles (ATMP) et de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) qui donne des pistes pour faire des économies dans les dépenses de Sécurité sociale. Et aussi de l’actu du côté de Terra Nova, désormais bien connu des lecteurs de ReSPUBLICA comme le bureau d’études des ordo-libéraux de gauche. Inutile de dire que nous n’avons là que des propositions faites à l’intérieur des politiques ordo-libérales (1)L’ordo-libéralisme est une variante du néolibéralisme mondial. Ordo provient du nom de la revue théorique de cette école de pensée. Mais cette pensée a ses spécificités par rapport au centre de gravité du néolibéralisme mondial. C’est une pensée qui a ses origines en Allemagne dans les années 30 et qui s’est développée ensuite en étant la matrice de la construction de l’Union européenne. C’est pourquoi le développement de l’Union européenne et de ses traités s’effectue de façon différente du monde anglo-saxon. Depuis que Giscard, Barre et Delors se sont convertis à l’ordo-libéralisme, c’est devenu une pensée européenne. Cette pensée, mortifère pour les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires, est caractérisée par l’acceptation par les « élites » européennes des fondamentaux de l’ordo-libéralisme allemand. Elle développe les idées suivantes : la dépolitisation totale de l’économie, la coordination économique uniquement réalisée par les prix, la généralisation de l’économie sociale de marché et de la concurrence libre et non faussée, la limitation du rôle de l’État à la définition et à la protection des règles du jeu avec interdiction d’intervenir dans l’économie réelle, la stabilité monétaire comme primat contre les intérêts des salariés, la suppression des conventions collectives, la croyance dans la non-interdépendance des pays de la zone euro, l’ethos luthérien de la nécessaire souffrance du peuple. Voilà les piliers de l’ordo-libéralisme qui va nous entraîner dans une crise longue et dramatique sur le plan social. et que cela augure mal de la suite des opérations.

Appel à la vigilance pour les ATMP

Pour comprendre la problématique des ATMP, rappelons que cette branche de la Sécu a la particularité d’être totalement financée par les cotisations patronales, mais que le montant des cotisations suit le principe du bonus-malus, le patronat paye plus s’il a plus d’ATMP et moins dans le cas contraire. Tout le monde a compris (sauf sans doute les deux honorables parlementaires) que la politique patronale est donc de ne pas déclarer les ATMP de façon excessive. Nos deux honorables parlementaires, deux sénateurs choisis par la Commission  des Affaires sociales du Sénat, faisant écho à la demande de la Mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale (Mecss), ont osé proposer que le déficit de la branche AT-MP soit supporté par les salariés. Donc, alors que le déficit de cette branche est principalement dû à la sous-déclaration patronale, c’est aux salariés de payer l’addition ! Elle n’est pas belle l’histoire ? À noter que les deux parlementaires ordo-libéraux sont issus pour l’un de l’UMP (Catherine Deroche), mais pour l’autre du PS (Jean-Pierre Godefroy) !

Le contentieux porte sur un montant estimé dans une fourchette de 1,7 milliard à 2,2 milliards d’euros (excusez du peu !) selon les estimations de la Commission des comptes de la Sécurité sociale (Ccss) et de l’Acoss, la caisse nationale des Urssaf qui collecte les cotisations de la Sécu.

Notons que sur ce dossier, la Cour des comptes a refusé de certifier les comptes de cette branche sur les exercices 2010 et 2011, car elle a estimé disposer « d’une assurance insuffisante sur l’exactitude et l’exhaustivité des cotisations AT-MP, qui représentent les trois quarts des produits de la branche ». La Cour relevait aussi l’absence de provisionnement en cas de contentieux.

Les deux honorables parlementaires ont en réalité fait trois propositions alternatives, soit augmenter les cotisations payées par l’entreprise, soit transférer la dette à la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) – ce qui revient à faire payer les salariés en lieu et place du patronat -, soit un mixte des deux propositions. Il va de soi que la démarche de transférer cette dette à la CADES pour dédouaner le patronat et substituer les salariés au patronat est un scandale majeur.

Comment faire comprendre cela à un député socialiste, voilà la question !

Un rapport ordo-libéral de l’IGAS

C’est au tour de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) de publier un rapport sur les pistes d’économies possibles à la Sécu. Rappelons les chiffres. Les dépenses de santé représentant 11,8 % du PIB soit plus de 230 milliards d’euros. La prise en charge de l’Assurance-maladie est représentée par l’Objectif national de dépenses d’assurance‐maladie (Ondam), pour un montant de 167,1 milliards en 2011, réparti principalement entre dépenses de soins de ville (46,3 % de l’Ondam), dépenses hospitalières (43,6 %) et dépenses médico‐sociales (9,5 %). Mais comme l’Ondam augmente plus vite que le PIB (3 % contre 1,7 %) et qu’il y a un déficit de 8,6 milliards d’euros de l’Assurance-maladie en 2011, nos inspecteurs ordo-libéraux de l’IGAS n’ont qu’une proposition à faire : diminuer les dépenses.
À aucun moment, il leur est venu à l’idée de proposer d’augmenter les cotisations comme cela s’est fait dans la période dite des « trente glorieuses ». À aucun moment, il ne leur est venu à l’idée d’incorporer la prévention dans le système en transformant la logique de soins en logique de santé, sachant que les maladies chroniques menacent davantage que les maladies infectieuses comme au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. À aucun moment, il ne leur est venu l’idée de penser un nouveau système de protection sociale solidaire. Car s’ils évoquaient ces trois pistes, cela permettrait de faire des économies pour une meilleure santé globale. Non, nous avons affaire à des financiers ordo-libéraux qui proposent de continuer à pratiquer des coupes sombres renforçant la médecine à plusieurs vitesses et les inégalités sociales de santé sans amélioration du système lui-même. Donc, ils proposent de faire 2, 8 milliards d’économies par an.

Mais tout est contradictoire dans ce rapport. Il critique la montée des transports sanitaires au moment où les Agences régionales de santé (ARS) ferment les hôpitaux et maternités de proximité. Et ils s’étonnent de l’augmentation des transports sanitaires !

Il suggère le développement de l’hospitalisation de jour, de la chirurgicale ambulatoire, des soins à domicile, alors que la désertification médicale, l’affaissement du nombre des professionnels médicaux et paramédicaux à l’hôpital empêche ce développement. Quant au vœu pieux de recentrer « l’hôpital sur son cœur de métier, qui est la prise en charge des pathologies lourdes nécessitant des équipes spécialisées », le rapport fait comme si cela était compatible avec l’évolution des politiques ordo-libérales depuis 30 ans. Si cette formule s’applique à l’intérieur d’un nouveau système (voir les propositions dans le livre « Contre les prédateurs de la santé » paru dans la collection Osez la République sociale !), cela peut s’entendre. Si elle s’applique à l’intérieur de la politique ordo-libérale à l’oeuvre depuis plus de 30 ans, cela aura la conséquence de baisser la qualité globale des soins, car hors l’hôpital, la désertification médicale, les fermetures des structures de proximité font leur œuvre malsaine.

Le rapport propose aussi de continuer, entre autres mesures, les déremboursements, y comrpis dans l’optique de supprimer les remboursements à 100 % des affections longue durée (ALD) et d’augmenter le plafond de la franchise d’un euro sur les consultations chez les médecins, ce qui va désavantager les plus malades ! Les assurés sociaux n’ont qu’à être en bonne santé ! Même Marisol Touraine a du réagir : « ce rapport évoque des pistes de déremboursement ou d’accroissement des franchises médicales que je n’approuve pas, car elles porteraient atteinte au niveau de protection des assurés sociaux ». Mais elle n’a toujours pas dit ce qu’elle ferait !

Terra Nova a encore frappé

Le « think tank » ordo-libéral de gauche Terra Nova, lié au PS, a encore fait des siennes. Il a fait des propositions visant à réformer le système de santé. Pas en alliant le principe de solidarité et l’amélioration du système (voir le livre noté supra), mais en le rendant plus perméable aux politiques ordo-libérales.

Il propose purement et simplement d’instituer « l’État de santé » par une étatisation encore plus grande du système de santé allant à l’encontre des propositions du Conseil national de la résistance (CNR) qui jugeait que la Sécurité sociale était trop importante pour la laisser gérer par le privé ou par l’État. Les honorables visionnaires de l’ordo-libéralisme en matière de santé et de protection sociale proposent même de continuer à transférer des pans entiers de l’administration sanitaire de l’Assurance-maladie vers l’État ! À ce stade, nos honorables réformateurs proposent le transfert de l’administration du secteur de la médecine ambulatoire. Par ailleurs, ils proposent le renforcement des ARS en transférant dans ce système césariste antidémocratique le soin d’administrer la médecine ambulatoire. Bien évidemment, ils proposent d’accentuer la régionalisation de la santé.

Terra Nova suggère de renforcer les compétences ministérielles en mettant au pas l’ensemble des agences jugées trop indépendantes en continuant à copier le plus mauvais système de santé du monde occidental, celui des États-Unis. Il s’agirait de créer une «  Food and Drug Administration » (FDA étasunienne) à la française en regroupant toutes les agences comme la Haute autorité de santé (HAS),  l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM, ex-Afssaps), l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), etc. En fait, Terra Nova avalise le passage des DRG étasuniennes à la tarification à l’activité (T2A) française, mais souhaite continuer l’américanisation de la santé en France. Simplement, il propose de moduler la T2A par « groupes homogènes d’établissement ». Etde remplacer le comité de pilotage des ARS par une Agence nationale de santé (ANS).

Les honorables réformateurs proposent de créer une « autorité de régulation de l’assurance complémentaire santé » qui devrait « non seulement s’assurer de la solvabilité des assurances complémentaires (…), mais devrait aussi disposer de compétences techniques spécifiques au secteur de la santé ».

Ils proposent la fusion des services d’inspection du travail et de santé au travail dans une « agence exécutive de santé au travail ». Bien évidemment, il s’ensuit la définition d’un « panier de soins » remboursables afin d’augmenter la part du reste à charge des assurés sociaux. Et une  utilisation accrue des médecins ambulatoires à la place des médecins hospitaliers.

Mais comme on n’est pas « bégueule », relevons la seule proposition que nous avons jugé constructive à savoir de développer les paiements à la pathologie pour remplacer la T2A et le paiement à l’acte. C’est maigre.

En fait, tout s’éclaire ! Les ordo-libéraux de gauche veulent continuer la casse du système de santé et de protection sociale. Donc rien de plus urgent que de multiplier les conférences publiques et stages de formation au sein du mouvement social et de la gauche de gauche pour armer les responsables, militants et autres citoyens éclairés afin de combattre l’ordo-libéralisme dans le secteur de la santé comme partout ailleurs.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 L’ordo-libéralisme est une variante du néolibéralisme mondial. Ordo provient du nom de la revue théorique de cette école de pensée. Mais cette pensée a ses spécificités par rapport au centre de gravité du néolibéralisme mondial. C’est une pensée qui a ses origines en Allemagne dans les années 30 et qui s’est développée ensuite en étant la matrice de la construction de l’Union européenne. C’est pourquoi le développement de l’Union européenne et de ses traités s’effectue de façon différente du monde anglo-saxon. Depuis que Giscard, Barre et Delors se sont convertis à l’ordo-libéralisme, c’est devenu une pensée européenne. Cette pensée, mortifère pour les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires, est caractérisée par l’acceptation par les « élites » européennes des fondamentaux de l’ordo-libéralisme allemand. Elle développe les idées suivantes : la dépolitisation totale de l’économie, la coordination économique uniquement réalisée par les prix, la généralisation de l’économie sociale de marché et de la concurrence libre et non faussée, la limitation du rôle de l’État à la définition et à la protection des règles du jeu avec interdiction d’intervenir dans l’économie réelle, la stabilité monétaire comme primat contre les intérêts des salariés, la suppression des conventions collectives, la croyance dans la non-interdépendance des pays de la zone euro, l’ethos luthérien de la nécessaire souffrance du peuple. Voilà les piliers de l’ordo-libéralisme qui va nous entraîner dans une crise longue et dramatique sur le plan social.