Vers la démocratisation de l’entreprise ?

Constatant la situation actuelle, peut on espérer que la démocratie s’introduise dans l’entreprise ou faut il transformer sa nature même? Plusieurs réformes, préservant les  structures existantes, sont  en phase de réalisation:  Responsabilité Sociale des Entreprises, dialogue social, codécision à l’allemande.. Mais si on juge vraiment indispensable  procéder à des mutations plus profondes de l’entreprise, on  créera des coopératives ou on utilisera  l’appropriation publique. L’étude de ces expériences a fait l’objet de plusieurs rencontres (1)Rencontre Alter Eco (26/09/12), Sémin. Cournot (17/10/12, 15/11/12,21/02/13) ), Colloque Avise (29/11/12) Conférence .Ires (24/01/13), Rencontre LDH ( 31/01/13),  Labo ESS ( 07 /02/13), Forum Adapes (20/02/13) .

SITUATION SOCIALE EN 2013

Elle se caractérise par le chômage (qui culmine en France à plus de 10% déclarés), et par  une régression des salaires dans le revenu national (2)La part relative du travail dans  la valeur ajoutée se calcule par l’évolution du rapport de la masse salariale et de la productivité du travail  (concept contestable, hérité de la période fordiste d’après guerre, à laquelle il faudrait trouver un substitut). Quand la masse salariale progresse plus vite que la productivité du travail, ce sont les salaires qui augmentent en valeur relative .Ce fut le cas entre 1960 et 1982, mais dans la 20 années suivantes, la tendance a été inversée. Cependant , depuis les crises récentes, la productivité  du travail (ainsi que la marge des entreprises…mais pas les profits des actionnaire)  a diminué, de même que la masse salariale, mais celle-ci moins fortement que la productivité du travail, ce qui fait dire qu’au cours de cette période , la part des salaires a progressé (cf. Mr Cotis),  la part relative du salaire diminuant lorsque le salaire croit moins vite que la productivité du travail. Depuis 1982, la masse des salaires a lentement régressé par rapport à la productivité. De plus, si on examine les salaires par tranche, et non plus globalement, on voit qu’il y a forte diminution de leur homogénéité, ceux qui  sont les plus  élevés croissant beaucoup plus vite  que les autres (+ 6% par an, pour le décile supérieur et +0,7 seulement pour le salaire moyen) : la consommation ne croit plus. Quant aux conditions de travail, celles-ci se sont matériellement généralement améliorées, mais les conditions psychologiques s’y sont détériorées, à cause des méthodes de gestion qui se sont déshumanisées avec une gouvernance de plus en plus impersonnelle et mondialisée.

REFORME DE L’ENTREPRISE ACTUELLE.

La Responsabilité Sociale de l’Entreprise ambitionne de redonner un sens à la création de richesses. C’est une stratégie de collaboration pour le bien-être matériel et moral des salariés avec lesquels on accepte une saine confrontation qui crée avec eux une entité commune, utilisant les changements techniques  et se lançant  dans la recherche de la performance. On en mesure le degré de réussite grâce à des indicateurs spécifiques. Il faut d’ailleurs  étendre  la RSE à  la lutte contre la misère, contre la discrimination à l’embauche et en faveur de l’écologie. Les pouvoirs publics doivent favoriser la RSE et l’encadrer pour vérifier que les firmes ne font pas  preuve de pure communication et qu’elles ont  accordé leurs actions à leurs intentions déclarées (3)En France, les grandes firmes doivent faire un rapport annuel décrivant la situation. L’UE avait l’ambition de rendre obligatoires certaines règles, mais elle a reculé devant l’hostilité de certaines entreprises . Cela doit se refléter, entre autres, lors de la signature de marchés publics, dans leur comportement (ainsi que celui de leurs filiales) avec leur sous-traitance et leur clients.et dans le respect des règles de droit. On peut même songer à des sanctions  (que rejette violement. le secteur privé).  L’encadrement des firmes multinationales est encore plus difficile, aucune instance mondiale n’ayant actuellement ce pouvoir. Il  faudrait, par exemple, que l’OMC, seul organe mondial ayant la possibilité de sanctions, puisse faire respecter les règles environnementales et sociales ainsi qu’interdire les rapports avec les paradis fiscaux.

Le dialogue social (qui fait partie des composantes de la RSE)  était déficient en France ces dernières années, mais il a repris depuis peu. Il institue un véritable débat entre patrons et syndicats, ces derniers étant ainsi valorisés, d’autant plus que les conclusions actées de ces discussions doivent être transcrites en lois par le Parlement: c’est donc conférer  aux partenaires sociaux quasiment un rôle de législateurs. Ainsi la négociation ouverte ces derniers mois et sanctionnée par l’accord du 11/01/13 doit donc être transformée en loi: Quelles leçons tirer de cette expérience ? D’abord semble aberrant le fait que, sur 5 syndicats dits «représentatifs», il suffit que 3 d’entre eux signent l’accord pour qu’il soit valable, quelle que soit la représentativité électorale de chacun. D’ailleurs cette règle est en cours de révision, prouvant son absurdité, mais l’accord du 11/01/13 aura quand même valeur de loi… Sur le fond, les avis sur cet accord sont partagés, les uns estimant que le compromis consistant à déréguler les procédures de licenciement, à la demande du patronat, est largement compensé, par l’acceptation de «droits nouveaux» (4)La Cfdt, notamment, est sensible à ce qu’elle estime « ces droits nouveaux » comme  une valorisation indispensable de la base, au détriment  des niveaux supérieurs accordés aux salariés.  Les autres pensent,  au contraire, que «les droits nouveaux» sont insuffisants,  mais surtout que la loi et le juge civil doivent rester les gardiens de la légalité républicaine. En fait, cette expérience prouve que le dialogue social n’est constructif  que lorsque les syndicats sont forts et unis. Mais on a pu également constater que, lorsque les partenaires sont de force égale (comme lors du dialogue social tenté naguère au niveau européen),  l’expérience a échoué, du fait que l’accord ne pouvait se faire que sur des sujets très mineurs !

La codétermination à l’allemande (5)Ne pas confondre codétermination avec cogestion (où les syndicats participent même à l’exécution des décision) et surtout avec autogestion (où les représentants des  travailleurs, seuls, décident et exécutent) est la forme la plus aboutie de la codécision. C’est un moyen d’assurer une collaboration entre patrons et salariés, reposant sur un consensus et une stabilité des institutions, une volonté de construire ensemble un projet.  Il  faut des syndicats constituant une force suffisante, face à un patronat lui aussi homogène, afin de décider, y compris de la stratégie de l’entreprise, dans le cadre d’une vision nationale. Cela exige une formation très poussée de tous les salariés et une transparence de l’information. La conception que l’on a de l’entreprise est à l’origine de la codécision, les Allemands la considérant comme une institution durable, et non comme un  lieu où l’on signe  simplement un contrat de travail. De plus, ils ont un sens prononcé de leur unité, ce qui favorise l’acceptabilité des projets (entrainant, pour une grande part, les succès économiques de leur pays). Il y accord entre patronat (réduisant le rôle des actionnaires) et syndicats : l’un fait en sorte que les exportations industrielles permettent de maintenir la croissance et l’emploi, l’autre accepte des concessions au plan  social (stagnation des salaires pour les agents à temps partiels, les intérimaires et les agents du  tertiaire) au profit de l’industrie (6)Cette forme de codétermination a été créé par des lois de 1951 et  de 1976,entrainant une participation égale des travailleurs (filtrés par les syndicats) dans les CA (ou les conseils de surveillance) de toutes les firmes à partir de 2000 salariés, avec représentation égal à celle des patrons dans les organes de décision . Cependant l’accord ne se réalise pas toujours et  des grèves éclatent parfois. Les discussions sont souvent trop longues, entrainant des retards dans les décisions. Enfin  l’Allemagne elle-même  échappe de moins en moins à la mondialisation et à la mobilité des capitaux. Et surtout la codétermination  à l’allemande est difficilement  exportable : un pays, comme la France, ne remplit pas  les conditions nécessaires pour son adoption;  les syndicats y sont faibles, il y a moins le sens de l’intérêt général (l’industrie et les exportations  étant à la dérive, à l’indifférence générale), ni le même respect de l’entreprise. De plus, l’Allemagne s’est créé son avantage industriel, en grande partie, au détriment de ses partenaires européens, engageant une course au moins disant fiscal et social, contraire au but affiché de réduire les écarts économiques, qui nuisent à la cohésion de l’Union Européenne.

SOLUTIONS TOUCHANT A LA NATURE DE L’ENTREPRISE :

La coopérative est d’un statut différent de la firme privée. Chacun y dispose d’une seule voix, quelque soit son apport financier. Les coopérateurs ont comme objectif, non pas de profiter personnellement des bénéfices, mais de poursuivre un projet, et pour cela, d’augmenter les réserves impartageables de l’entreprise (non pas pour l’étendre indéfiniment, mais  pour en assurer la viabilité), donc pour défendre l’emploi, le bien-être sur le territoire et la solidarité. Ce doit être le fait de militants dont le revenu est limité par les statuts  La gestion de la coopérative doit être transparente pour tous,  chacun devant être informés (salariés et  clients). La démocratie interne doit régner, l’équilibre entre assemblée générale, comité de gestion et direction générale étant  respecté. Elle est créée ex nihilo ou par la reprise d’une firme privée par ses salariés. Mais la difficulté est dans son financement. Outre les subventions reçues des autorités françaises ou européennes (7)L’UE s’intéresse aux coopératives et prépare une directive en leur faveur ; d’ores et déjà, elle les fait bénéficier des Fonds structurels (Fonds social ou Feder) quand  elle estime que leurs actions défendent l’emploi,  la cohésion entre territoires ou luttent contre la misère. Quant à l’aide française, elle s’est déjà manifestée par un apport prévu de 500000 Millions d’euros provenant de la Banque  Publique d’Investissement , on prépare une loi favorisant la reprise de firmes en difficulté,  par un droit de préférence ou (et) en permettant au capital privé de  s’y introduire à condition que les coopérateurs deviennent majoritaires au bout d’un certain temps. En plus de ces obstacles financiers, il faut compter sur les déviations humaines des coopérateurs qui peuvent être tentés  par l’appât du gain ou l’appétit de pouvoir et qui risquent de gérer comme une firme privée (8)Cf Caisses d’Epargne, Crédit Agricole, Natixis, cités par Ph.Frémeaux dans «la Nouvelle Alternative ? ». C’est pourquoi des contre-pouvoirs et le contrôle public sont utiles, comme partout ailleurs. Les coopératives de production en France sont assez rares (elles n’y sont qu’environ 2000, surtout concentrées, en dehors de l’agriculture, dans les services et la construction, l’industrie ne comptant que pour 15%). Cependant on espère développer à l’avenir ce secteur (comme dans certains pays comme l’Espagne et l’Italie), car on estime que sa stabilité est nécessaire pour lutter contre la crise actuelle: c’est un problème d’orientation politique, à précéder de plus d’information et d’éducation,  débouchant sur la création de banques et d’assurance solidaires et la collaboration avec les banques publiques (CDC, BPI).

L’appropriation publique peut aussi être présentée comme alternative (malgré les préjugés idéologiques de ceux qui l’estiment «ringarde») : en 1981,  on avait nationalisé pour éviter le rachat des grandes entreprises françaises par des groupes étrangers et l’on avait réussi….  jusqu’au retour à la  privatisation Maintenant le problème est surtout de savoir  si on peut, comme plusieurs pays l’ont fait,  éviter par ce moyen des liquidations de firmes entrainant des plans sociaux et du chômage. Donc, il faut d’abord se renseigner, par enquêtes pluralistes,  pour savoir si ces firmes peuvent avoir des débouchés solides et quels seront les moyens à utiliser pour les sauver. Mais le manque de capitaux  publics  risque cruellement d’être un obstacle. De plus, s’il s’agit de nationaliser des firmes à capitaux étrangers, on risque des difficultés diplomatiques et des rétorsions économiques ; la nationalisation doit être un dernier  recours, certes à ne pas négliger,  avec l’espoir de trouver plus tard un éventuel repreneur. C’est un problème économique (à conséquences humaines), à traiter, hors de tout préjugé.

Chacune des options décrites n’est pas  parfaite : les unes  risquent d’être inefficaces  pour promouvoir un vrai changement, les autres sont peu adaptables au contexte hors frontières, les troisièmes ont des difficultés à rassembler les capitaux nécessaires. Pour chaque  cas, il faut faire  des choix spécifiques, appliqués au niveau le plus proche du territoire intéressé, et sans a priori idéologique.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Rencontre Alter Eco (26/09/12), Sémin. Cournot (17/10/12, 15/11/12,21/02/13) ), Colloque Avise (29/11/12) Conférence .Ires (24/01/13), Rencontre LDH ( 31/01/13),  Labo ESS ( 07 /02/13), Forum Adapes (20/02/13)
2 La part relative du travail dans  la valeur ajoutée se calcule par l’évolution du rapport de la masse salariale et de la productivité du travail  (concept contestable, hérité de la période fordiste d’après guerre, à laquelle il faudrait trouver un substitut). Quand la masse salariale progresse plus vite que la productivité du travail, ce sont les salaires qui augmentent en valeur relative .Ce fut le cas entre 1960 et 1982, mais dans la 20 années suivantes, la tendance a été inversée. Cependant , depuis les crises récentes, la productivité  du travail (ainsi que la marge des entreprises…mais pas les profits des actionnaire)  a diminué, de même que la masse salariale, mais celle-ci moins fortement que la productivité du travail, ce qui fait dire qu’au cours de cette période , la part des salaires a progressé (cf. Mr Cotis
3 En France, les grandes firmes doivent faire un rapport annuel décrivant la situation. L’UE avait l’ambition de rendre obligatoires certaines règles, mais elle a reculé devant l’hostilité de certaines entreprises
4 La Cfdt, notamment, est sensible à ce qu’elle estime « ces droits nouveaux » comme  une valorisation indispensable de la base, au détriment  des niveaux supérieurs
5 Ne pas confondre codétermination avec cogestion (où les syndicats participent même à l’exécution des décision) et surtout avec autogestion (où les représentants des  travailleurs, seuls, décident et exécutent)
6 Cette forme de codétermination a été créé par des lois de 1951 et  de 1976,entrainant une participation égale des travailleurs (filtrés par les syndicats) dans les CA (ou les conseils de surveillance) de toutes les firmes à partir de 2000 salariés, avec représentation égal à celle des patrons dans les organes de décision
7 L’UE s’intéresse aux coopératives et prépare une directive en leur faveur ; d’ores et déjà, elle les fait bénéficier des Fonds structurels (Fonds social ou Feder) quand  elle estime que leurs actions défendent l’emploi,  la cohésion entre territoires ou luttent contre la misère. Quant à l’aide française, elle s’est déjà manifestée par un apport prévu de 500000 Millions d’euros provenant de la Banque  Publique d’Investissement
8 Cf Caisses d’Epargne, Crédit Agricole, Natixis, cités par Ph.Frémeaux dans «la Nouvelle Alternative ? »