Sommet de l’UE : l’Allemagne n’a pas payé !

Comme prévu (cf. « L’Allemagne ne paiera pas … »), lors du sommet de ce 8 février sur le budget 2014-2020 de l’UE, Merkel, avec l’appui de Cameron, a imposé l’austérité budgétaire dans toute l’UE : le budget est réduit à 908 mds (en crédits de paiement), soit en baisse de 3,7 % par rapport au précédent, 2007-2013. Hollande peut bien faire valoir que c’est un « bon compromis », acceptable principalement parce qu’il préserve la PAC, les « keynésiens » ont perdu. On peut être atterrés du choix européen de généraliser l’austérité, mais les lois du capitalisme ne laissaient pas d’autre issue. En UE, la stimulation de la croissance n’est pas praticable, ni par la relance ni par la politique industrielle, telle du type Lisbonne 2000.

L’alliance objective GB-Allemagne repose sur la dynamique actuelle du capitalisme « européen » en crise. En économie industrielle, quand les gains de productivité sont là, un euro investi est un euro gagné (Keynes = Kalecki : « les ménages dépensent ce qu’ils gagnent, les entreprises gagnent ce qu’elles dépensent »), parce qu’il est plus que remboursé par la richesse qu’il permet de produire au-delà de celle que la dépense initiale a détruite. Or l’économie allemande est principalement industrielle et exporte une large part de sa production industrielle en eurozone, donc peu lui importe la valeur de l’euro. En effet, la compétitivité allemande combine, une compétitivité-prix malgré un coût horaire national certes au moins égal au français, mais compensé par son hinterland de l’Est, qui lui apporte entre le tiers et la moitié de ses exportations (y compris agricoles) en sous-traitance à bas salaires (alors que Maroc et Tunisie hors UE n’offrent pas la même souplesse à la France), et compétitivité-hors prix due à une heureuse une spécialisation internationale.

L’Allemagne est donc à l’aise avec un euro fort, qui lui permet de plus d’acheter pas cher hors zone (énergie, etc.), et elle a intérêt à l’austérité salariale pour contrer une éventuelle inflation. Par contre, quand la « richesse » d’une économie, telle celle de la Grande-Bretagne, repose sur la finance, via commissions, plus-values, etc., toute livre économisée est une livre gagnée, car la dépense en services est pure dépense, destructrice de vraie richesse. Les images télé de l’après-sommet étaient celles d’un Cameron rayonnant : le Premier britannique avait obtenu ce qu’il voulait, une réduction du budget et la reconduction du rabais jadis obtenu par Thatcher (remember son célèbre  « I want my money back »).

L’Allemagne n’a aucune raison d’accepter de payer pour les autres, sa seule contrainte étant que sa rigueur ne fasse pas imploser l’euro. La limite est donc l’acceptation par les peuples des sacrifices demandés et la capacité des gouvernants de se découpler des dits peuples pour faire valoir leur propre intérêt d’élites euro-bureaucratiques. Dans tous les domaines, le plus fort joue la concurrence, tandis que le faible est mieux dans la régulation, mais il a rarement le loisir d’en décider. Dans les relations économiques internationales, les pays faibles, keynésiens par pragmatisme plus que par conviction, peuvent toujours en appeler à la solidarité et à la relance, ce n’est pas réaliste et cela ne peut rester qu’inopérant. Le président Hollande a regretté, avec d’autres, que les intérêts nationaux puissent l’emporter sur l’intérêt européen, rappelons que le capitalisme ne peut fonctionner sans État, et que l’on ne sait pas concevoir l’État sans nation. Chaque pays ne peut que défendre ses propres intérêts.

Ainsi de l’Allemagne dont l’économie n’est pas si durablement florissante qu’il peut y paraître, et il y a des tensions politiques et sociales au sein même du pays, qui pourraient faire espérer plus de souplesse. Car les intérêts du pays ne se réduisent pas à ceux de l’industrie, que les banques ont certes intérêt à financer, mais elles sont aussi engagées dans des activités pour l’essentiel purement financières, prêts à l’étranger (Grèce, Espagne, Portugal), etc., et leur intérêt peut diverger. Car, s’il faut les sauver, donc sauver la Grèce, ne serait-ce que pour sauver l’industrie, cela coûte au pays, au contribuable.

L’austérité est donc prise entre l’impératif de rigueur et celui de la cohésion sociale. L’Allemagne a confirmé lors du dernier sommet sa volonté de rester sur le fil de l’austérité, du moins pour l’instant, en lâchant le minimum sur la solidarité (la PAC, par exemple), comme lors du sommet du 26 novembre. Au Bundestag, l’opposition a manifesté son désaccord sur ce choix, le FMI lui-même a dit le sien, et cela a donné à ceux qui voulaient y croire l’espoir d’un changement de cap, mais Schaeuble avait bien précisé, dès janvier, après avoir rencontré le chef de l’opposition grecque, que la Grèce n’a pas d’alternative à l’austérité.

Il reste une inconnue, la détermination du parlement européen, qui a bien fait savoir qu’il n’accepterait pas le budget « en l’état ». Cette rébellion contre la dépossession des ses prérogatives démocratiques par la bureaucratie européiste sera-t-elle plus qu’un simple mouvement d’humeur ? On peut en douter, car ce serait réitérer l’ancien slogan « l’Allemagne paiera », ce qu’elle ne fit point même vaincue. Ceux qui croient à la possibilité d’une UE non austéritaire font penser à R. Owen, ce socialiste utopique du XIXe siècle qui avait conçu un modèle social alternatif au modèle bourgeois et qui, pour l’expérimenter, avait sollicité le soutien de l’évêque ! Ce qui fit dire au grand historien britannique E. J. Thompson que dans le cerveau d’Owen, la case « idées politiques » était restée vide.