Impressions venues de Tunisie, de Lybie et de France

Ou « quand le sage montre la lune, l’ignorant regarde le doigt »

Résumons la situation : tout va bien dans le meilleur des mondes. La démocratie est enfin arrivée dans les pays arabes et musulmans. Des partis démocrates-musulmans vont prendre le pouvoir face à la place des anciennes dictatures. Et les démocrates occidentaux vont rester vigilants quant à l’application des droits de l’Homme (et de la femme !).
Alain Juppé a donné le la mercredi matin sur France inter et la majorité de la droite et de la gauche se trouve sur la position Juppé.
Ouf ! Formidable, enfin le consensus. Et puis, Nicolas Sarkozy qui est intervenu jeudi soir pour nous dire que nous sommes sauvés et que la France et l’Europe vont pouvoir repartir de plus belle. Alors qu’ils n’ont rien changé à leurs fondamentaux qui sont l’origine de la triple crise.
N’est-ce une belle introduction ? Ne trouvez-vous pas cette communion touchante ?
En fait si vous regardez le doigt, vous entrez en communion. Si vous regardez la lune, il en va autrement.
Nous ne sommes d’accord que sur le point de départ : les anciennes dictatures étaient scélérates. La gauche laïque, sociale, écologique et républicaine a toujours défendu le double front dans les pays arabes et/ou musulmans à savoir la lutte contre les dictatures impérialistes et contre les intégrismes (en l’occurrence dans ces pays contre l’islamisme).
Mais nous ne participerons pas à la communion autour des médias dominants qui fonctionnent comme un clergé nous appelant à développer nos instincts grégaires.

Commençons par la Libye « délivrée » par l’Otan et la France.

L’ancien ministre de la Justice du dictateur Kadhafi, Mustafa AbdulJalil, actuel Chef du Conseil National de Transition,a pris le pouvoir avec la bénédiction des élites ordo-libérales de droite et de gauche. C’est lui qui a condamné les infirmières bulgares : comment se fait-il que les médias et les élites ordo-libérales n’en parlent pas ? C’est lui qui fit relâcher en 2009 et 2010, des centaines de membres du LIFG ( selon une note divulguée par wikileaks ), autrement dit le « Groupe Islamique Armé Libyen », lié à al-Qaida, et dont l’objectif est d’imposer la Sharia. Le chef de ce groupe terroriste islamiste, Abdulhakim Belhadj, est maintenant, d’après Wikileaks, le chef militaire de Tripoli.
Et cet honorable président adoubé par les élites ordolibérales de droite et de gauche vient de déclarer : « En tant que pays islamique, nous avons adopté la charia comme loi essentielle et toute loi qui violerait la charia est légalement nulle et non avenue », a-t-il souligné. Il a cité en exemple la loi sur le divorce et le mariage qui, sous le régime de Mouammar Kadhafi, interdisait la polygamie et autorisait le divorce, et qui ne serait désormais plus en vigueur.

Passons à la Tunisie.

Tous les médias et les élites ordolibérales ont communié en ne communiquant que sur le parti islamiste Ennahdha. Pourquoi les médias n’ont-ils pas présenté les autres partis alors que le seul parti qui a eu le droit à une couverture de presse est le parti islamiste ? Accepterait-on qu’en France, qu’il n’y ait qu’un seul parti qui ait le droit à la communication télévisuelle ?
Caroline Fourest a eu le courage de déclarer sur son blog :

« … il y a eu de vraies tentatives de fraudes dans certains bureaux de la part des militants islamistes d’Ennahdha : directeur de bureaux de vote donnant des consignes, hommes voulant entrer dans l’isoloir pour s’assurer du vote des femmes, et surtout votes achetés contre 30 dinars… Plus anecdotique, mais drôle, Rached Ghannouchi n’a pas voulu faire la queue comme tout le monde. Il a tenté de doubler et s’est fait huer aux cris de “Dégage !”… Dans d’autres bureaux, les islamistes ont obligé les hommes et les femmes à faire la queue de façon séparée… Dire qu’Ennahdha est “modéré” parce qu’il existe des salafistes très excités, c’est un peu comme expliquer que le Front national de Marine Le Pen est “de gauche” parce qu’il existe des skinheads. Le FN et Ennahdah sont bien plus redoutables pour la démocratie… Refuser de faire bloc contre  Ennahdha et leurs idées, c’est un peu comme refuser de faire front contre le FN s’il faisait plus de 40 %. Pire qu’un 21 avril. La certitude qu’ils auront la voie libre pour imposer leurs idées réactionnaires et autoritaires. »

Merci à Caroline Fourest pour sa réaction. Mais en France, la communion semble touchante. Même Marie-Christine Vergiat, députée européenne Front de Gauche déclare (dans la lignée sur ce sujet de la prise de position d’Alain Juppé) :

« … Il est souhaitable qu’une large majorité puisse se dégager autour de la nouvelle Constitution.Sans doute faut-il rappeler que la Tunisie est un pays arabo-musulman fier de son histoire et de sa culture. Nombre de partis dits modernistes et progressistes l’ont sans doute trop vite oublié et ont fait l’erreur de se diviser et de diaboliser Ennadah. En Tunisie, la religion musulmane est vécue de manière tranquille et il ne faut surtout pas confondre la très grande majorité des Tunisiens avec quelques fondamentalistes qui ont pour l’essentiel appelé au boycott de ces élections. Nous devons rester vigilants notamment vis-à-vis des engagements pris devant nous par tous ceux et toutes celles qui participeront au prochain gouvernement et tout particulièrement en ce qui concerne les droits des femmes. Aujourd’hui, nous devons d’abord respecter le choix des Tunisiens. Et, dans un an, des élections législatives et locales auront lieu. Elles seront sans doute plus faciles, car les Tunisiens auront appris de ce premier processus électoral… »

Pas un mot de soutien à la gauche laïque tunisienne. Affligeant !

« De toute mauvaise chose, il peut en sortir une bonne chose », dit l’adage chinois. Cette réaction quasi unanime de nos élites nous fixe notre ligne politique qui a pour objectif la République sociale du 21e siècle par la stratégie du double front : contre d’une part le turbocapitalisme et d’autre part contre les intégrismes et autres communautarismes. Notre travail d’éducation populaire tournée vers l’action ne fait que commencer. Nous y reviendrons.