La transition énergétique en manque de scénario Un apport aux débats

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Face aux propositions de transition énergétique des principaux acteurs sociaux et politiques, nous cherchons à développer une analyse holistique, pour tenir compte d’une part de toutes les interactions dialectiques des composantes du système global que l’on souhaite analyser et d’autre part de toutes les modifications diachroniques que l’on envisage pour l’avenir.

Alors, nous sommes de ceux qui développent des analyses critiques sur toutes les sources d’énergie sans exceptions, même si nous souhaitons autant que faire se peut privilégier les énergies dites renouvelables.
Nous sommes de ceux qui, instruits des principes de la thermodynamique et notamment de son premier principe, estiment que la création d’énergie en système fermé est impossible.
Nous exprimons aussi l’idée qu’il y aura toujours diverses façons d’utiliser de l’énergie et donc qu’il n’y a pas que la forme électrique.
Enfin, prôner la neutralité carbone ne signifie pas ne plus utiliser d’énergie carbonée, mais ne pas rejeter plus de carbone dans l’atmosphère que ce que l’écosystème Terre peut absorber.

Il s’agit donc – dans le souci de globalité précisé ci-dessus – d’analyser le réel scientifique de chacune des sources possibles, de définir des priorités, un calendrier prévisionnel, de définir un programme de recherche scientifique ambitieux et efficient.

L’oubli des dimensions planétaire et sociale

Nous ne cachons pas que nous privilégions la transition énergétique liée à l’urgence climatique car nous sommes sensibles aux travaux scientifiques du GIEC. Mais là, une précision s’impose : sur ce sujet plus que dans toute autre, la solution est planétaire. Et malgré l’enthousiasme forcée des médias dominants pour les COP, force est de constater qu’en dehors de quelques pays qui se comptent sur les doigts d’une seule main, tous les pays ont trahi leur signature de l’accord de Paris dit COP 21. Et en particulier les pays les plus émetteurs des gaz à effet de serre.
Le piteux résultat de la COP 26 de Glasgow pose la question du « Que faire ? » car il y a urgence. Militer pour la baisse des émissions des gaz à effet de serre dans un seul pays n’a pas de sens car il n’y a pas d’équipes douanières capables d’empêcher ces gaz d’envahir toute l’atmosphère terrestre. Par ailleurs, pour tout pays, ne pas tenir compte des inégalités sociales est une impasse.
Par exemple, 47,6 % des émissions des gaz à effet de serre sont de la responsabilité des 10 % les plus riches. Alors, on commence par quoi, par brider les plus pauvres car ils sont les plus nombreux ? Et montrer notre mécontentement s’ils résistent !
Osera-t-on toucher le caractère anti-écologique de l’utilisation débridée de l’électronique et des réseaux sociaux quand on aura eu le courage de dire leur participation au réchauffement climatique ?
Peut-on concevoir une seule seconde que les pays actuellement sous-développés acceptent de se suicider pour permettre à la grande bourgeoisie des villes-centres des pays développés d’avoir un avenir radieux ?

Peut-on concevoir une seule seconde que les pays actuellement sous-développés acceptent de se suicider pour permettre à la grande bourgeoisie des villes-centres des pays développés d’avoir un avenir radieux ?

Tout cela pour dire que, pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique et que les pays les plus pauvres et les pays sous-développés puissent conduire leur développement économique et industriel tout en luttant contre les gaz à effet de serre, il est indispensable d’organiser une redistribution énergétique et financière à l’échelle planétaire. La transition énergétique est à ce prix. Pourtant aucun parti politique, aucun syndicat, aucune association, aucun collectif n’a incorporé cette nécessité d’une redistribution massive à l’échelle mondiale. Manque d’internationalisme sans doute ou mépris de classe ? au choix ou les deux…

La question des énergies fossiles

Mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles par les États, les entreprises et les citoyens et leurs familles est assurément prioritaire. Alors acceptons-nous, entre autres, que l’Allemagne et la Pologne aient relancé l’utilisation du charbon ? 

Le cas allemand

L’Allemagne, qui a décidé d’abandonner d’abord le nucléaire et non les énergies fossiles, avait encore 46 % d’électricité fossile en 2020, 6 fois plus que la France ! Et en même temps que ses investissements en éolien et photovoltaïque, ce pays a augmenté de 50 % ses capacités en centrales au gaz ! Le gâchis de capital – et donc de béton et d’acier – que représente cette transition allemande conduit à une faible efficacité de l’électricité allemande qui ne produit que 2 TWh par GW installé quand la France en émet plus de 3,3 ! C’est une des raisons qui font que l’Allemagne tire le prix de l’électricité vers le haut !
Car il faut bien répéter que le développement des éoliennes nécessite de les coupler avec des centrales à gaz ou à charbon pour pallier l’intermittence. Dommage, mais c’est indispensable puisque le stockage donne aujourd’hui des résultats médiocres.

Et la France

Si la France baisse ses émissions carbonées dans ses productions sur le territoire national (principalement à cause d’une désindustrialisation qui plombe l’économie), son impact carbone est en forte hausse à cause des importations ! Comme nous l’avons montré, si une voiture électrique n’émet pas de gaz à effet de serre, sa construction en émet plus que celle des voitures thermiques. Sans compter le problème des métaux rares…

Le scénario négaWatt

Un candidat à la présidence de la République a annoncé qu’il souhaitait la suppression du fossile et du nucléaire en 2030. Puis rétropédalage et son organisation déclare qu’elle suit les préconisations de l’association négaWatt avec objectif 2050. C’est déjà mieux !

Nous avons demandé à négaWatt les hypothèses de base des scénarios négaWatt et négaMat. Il nous a été répondu que le rapport détaillé ne sortira qu’au début 2022. Pour l’instant, nous avons donc les résultats de l’étude mais pas les hypothèses de base(1)Alors que la crédibilité d’une étude est en grande partie due aux hypothèses de base. Par exemple, le Conseil d’orientation des retraites (COR) vient de faire un colloque contradictoire uniquement sur ses hypothèses de base (productivité, temps de travail, taux de chômage, taux de croissance, etc.), sujet sur lequel nous reviendrons dans un article ultérieur.. Nous sommes donc contraints de débattre sur des hypothèses que nous ne connaissons pas encore…

Nous sommes donc contraints de débattre sur des hypothèses que nous ne connaissons pas encore…

Source : https://negawatt.org/scenario-2022/secteurs/negawatt

Ainsi, si on se base sur des scénarios plus anciens, les hypothèses de base de négaWatt comportaient l’augmentation du nombre de personnes par logement. Pourtant pas un membre du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) n’oserait remettre en question le droit de se séparer et de divorcer, cause principale de la décohabitation dans les logements. Et aucune politique de bloc populaire de type République sociale ne pourrait faire l’impasse sur la construction de nouveaux logements sociaux d’ici 2050 ! Si le stock de logements reste au niveau du stock de 2018, est-soutenable (2 millions de demandes de logements sociaux) ?

Prendre en compte la réindustrialisation

Le principal gisement de la baisse énergétique du système négaWatt est la « sobriété ». Nous partageons avec ce scénario la possibilité de baisser fortement la consommation d’énergie par une rénovation thermique des bâtiments. Mais ce scénario ne semble pas tenir compte de la nécessaire réindustrialisation sous transition énergétique, si nous voulons aussi un avenir qui tienne compte de la question sociale(2)Nous reviendrons ultérieurement dans nos colonnes sur cette exigence indispensable. Voir nos deux tomes sur la République sociale disponibles dans la librairie militante de ReSPUBLICA.

Or on ne peut pas concevoir une réindustrialisation sans augmentation de l’énergie nécessaire.

Or on ne peut pas concevoir une réindustrialisation sans augmentation de l’énergie nécessaire. Car pour aller vers plus de sobriété énergétique, il faut commencer par augmenter la consommation énergétique liée à la réindustrialisation, puis dans un deuxième temps remplacer certaines importations très carbonées. Cette réorganisation implique une double temporalité : la réindustrialisation avant la baisse des importations carbonées.

Nous mettons en doute l’hypothèse que les innovations puissent obligatoirement résoudre, dans les délais voulus, les problèmes d’intermittence et de stabilité d’un système d’énergie électrique 100 % renouvelable. Cela demande d’abord un effort important de la recherche-développement. Rappelons que la R&D est de 2,2 % du PIB en France pour 3 % en Allemagne, soit un écart de 20 milliards par an. Et que la recherche augmente la probabilité de trouver des solutions mais ne peut l’assurer à date fixe. Difficile donc de fixer des dates précises pour le biogaz, l’hydrogène, les batteries à haut rendement, etc.

Nous attendons donc les hypothèses de base du scénario pour voir si les évolutions à la baisse des productions d’acier, de ciment et autres sont compatibles avec la réindustrialisation nécessaire – si un bloc populaire de type République sociale prenait le pouvoir dans la séquence. D’autant que les temporalités peuvent différer en fonction de l’actualité.

Idem pour la consommation électrique car si on augmente fortement la production industrielle même sous transition écologique et énergétique, est-ce qu’il sera possible de baisser la consommation électrique de la réindustrialisation ? D’où la nécessité d’un pilotage constant de décarbonation favorisant les énergies renouvelables en diminuant la part du nucléaire. Le tout en acceptant la double temporalité avec priorisation d’une décarbonation qui peut être obtenue en 2050, si on emploie la bonne stratégie.

D’où la nécessité d’un pilotage constant de décarbonation favorisant les énergies renouvelables en diminuant la part du nucléaire.

 

 

Quel scénario énergétique pour une République sociale

Pour répondre aux critères de succès d’un bloc populaire – tel que défini dans un précédent article – le processus de type République sociale devra s’appuyer sur un projet économique et social incorporant l’urgente nécessité de réindustrialiser la France. Et cela de la façon la plus décarbonée possible, avec partenariats internationaux. Faute de quoi la réindustrialisation ne durera pas plus que l’espoir de gauche du début des années 80 (mai 1981-mars 1983).

Nous estimons donc que la priorité doit être donnée à la décarbonation de toute activité française, à un programme ambitieux de diminution radicale des pertes calorifiques du bâti, à un accroissement le plus fort possible des énergies renouvelables, et à fermer les centrales nucléaires de 2e génération, à diminuer autant que faire se peut les projets nucléaire de 3e génération (donc y compris les EPR) dans le mix énergétique. Tout en développant fortement la recherche scientifique sans brider la recherche pour les renouvelables et pour le nucléaire de 4e génération. Car le MIT (Massachusetts Institute of Technology) et le Commonwealth Fusion Systems viennent d’avancer sur la voie de la fusion nucléaire en produisant  un champ magnétique d’une intensité de 20 teslas (voir https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/du-frivole-a-la-presidentielle-en-passant-par-la-geopolitique/7427320).

Quel calendrier ?

Dans l’état actuel de nos connaissances, nous partageons les conclusions de Jacques Rigaudiat (https://france.attac.org/nos-publications/les-possibles/numero-29-automne-2021/dossier-l-energie-dans-la-transition-ecologique/article/trois-regards-pour-une-transition), conseiller maître à la Cour des comptes, sous réserve toujours du document négaWatt qui sera publié en 2022 :
– pour ce scénario, le calendrier de transition est impossible à soutenir,
– les hypothèses technico-physiques de négaWatt sont beaucoup trop optimistes (notamment le facteur de charge des éoliennes),
– et surtout que les importants coûts d’adaptation du réseau restent impensés et donc sous-estimés (les coûts ne peuvent se réduire aux coûts de production).

Toujours sous réserve de la publication de l’ensemble exhaustif des hypothèses de négaWatt, nous pensons plus réalistes de ne pas grouper la fin des fossiles (possible en 2050) avec la fin du nucléaire de 2e et 3e génération (qui ne peut être que plus tardive). Nous pensons préférable de partir des scénarios de l’ADEME et des études de RTE (Futurs énergétiques) qui permettent de travailler en rajoutant une forte sobriété tout en permettant la réindustrialisation de la France sous transition énergétique et écologique. Il nous paraît donc urgent de partir de ses scénarios réalistes mais qui peuvent être, de notre point de vue, améliorés dans un sens d’accélération écologique autour d’un programme plus massif de rénovation thermique du bâti, et plus rapide en énergies renouvelables.

Quelle justice écologique ?

Mais nous ne ferons pas l’économie d’un débat difficile sur la sobriété, débat évacué par l’ensemble organisé des gauches. Pour la simple raison qu’une forte sobriété ne peut se réaliser qu’après une lutte des classes intense pour obtenir la justice écologique ; c’est-à-dire que les catégories les plus aisées fassent les plus gros efforts. En plus des chiffres donnés plus haut, citons Yohan Rockström, directeur du Potsdam Institute : il a calculé qu’il faudrait que les 1 % les plus riches divisent leurs émissions de gaz à effet de serre par 30 et que les 50 % les plus pauvres de la planète pourraient multiplier les leurs par 3 !
Dit autrement, la lutte des classes intervient dans la répartition de la valeur ajoutée, elle devra intervenir aussi dans la répartition des baisses de rejet carbone. Et la question peut même devenir la suivante : le capitalisme peut-il éviter la surchauffe climatique ou faudra-t-il changer de type de formation sociale pour obtenir les résultats souhaités sur le plan écologique ? Anthropocène ou capitalocène ? Je penche pour le deuxième choix. Et vous ?

Donc les gauches doivent retravailler ce sujet si elles veulent présenter aux citoyens travailleurs un avenir populaire tenant compte du réel. Ce travail reste à faire et nous sommes disponibles pour y travailler avec d’autres.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Alors que la crédibilité d’une étude est en grande partie due aux hypothèses de base. Par exemple, le Conseil d’orientation des retraites (COR) vient de faire un colloque contradictoire uniquement sur ses hypothèses de base (productivité, temps de travail, taux de chômage, taux de croissance, etc.), sujet sur lequel nous reviendrons dans un article ultérieur.
2 Nous reviendrons ultérieurement dans nos colonnes sur cette exigence indispensable. Voir nos deux tomes sur la République sociale disponibles dans la librairie militante de ReSPUBLICA