Les slogans principaux très parlants étaient « Frotter, frotter, il faut payer ! », « Femmes de chambre en colère, y en a marre de la galère » ou encore « Sous-traitance maltraitance ». Cette série(1)Frotter frotter : le long combat des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles adapté en série par la réalisatrice Marion Vernoux. explore tous les aspects sociaux et psychologiques de ce combat. Les relations sociales entre les patrons et les employées sont clairement présentées, sinon analysées. La sous-traitance est un système qui permet de contourner le droit du travail et de ne pas appliquer les conventions du secteur hôtelier. Le responsable de l’hôtel met la pression sur l’entreprise de nettoyages qui met, à son tour, la pression sur les employés pour que les chambres soient prêtes. Les femmes de ménage malades ne sont pas remplacées, reportant la charge sur les autres. Ces dernières doivent aligner 10 heures par jour et les heures supplémentaires ne sont pas réglées. C’est le burn out assuré. Le patron affirme qu’il a des charges et qu’il ne peut payer les heures supplémentaires. Celle qui peut passer pour la porte-parole rétorque qu’elles ont également des loyers, la nourriture des enfants, les frais de scolarité à assumer.
Seule solution pour les femmes de ménage : la grève
Novices en la matière, elles prennent contact avec un syndicat(2)Dans la réalité, elles sont accompagnées par le syndicat CGT-HPE (hôtels de prestige et économiques). qui les aide financièrement – mais très peu par manque de moyens –, et sur le plan logistique. Une avocate, par empathie avec leur sort, tente de les aider.
Incommodés par le mouvement, le bruit des casserolades et tambours, des gens du voisinage font ou essaient de faire signer une pétition contre le mouvement. Cela n’a pas l’air de prendre.
Les menaces du responsable de l’hôtel et du patron de la sous-traitance ne font pas plier les grévistes.
Devant les difficultés financières, les conjoints, solidaires au début, commencent à s’inquiéter pour le budget de leur ménage. Le patriarcat, à savoir la double besogne des femmes avec le travail et le ménage, ne facilite pas les choses.
Solidarité universelle
Une soirée dans une boîte lesbienne est organisée pour alimenter la caisse de grève. Les gérants de cette boîte estiment que le combat des femmes de ménage et celui des groupes LGBT se rejoignent. C’est l’illustration que le combat pour plus de justice sociale est universel et ne doit pas être confiné dans l’entre-soi de l’identitarisme, du communautarisme. À cela s’ajoute une autre dimension, celles de la lutte féministe et antiraciste du fait que la plupart des personnes concernées sont issues d’Afrique de l’Ouest et du Maghreb. Comme certaines n’ont pas de titre de séjour, cela rejoint la lutte des sans-papiers qui sont surexploités(3)Lien : https://podcast.ausha.co/reseau-education-populaire/en-quete-d-interet-general-3-la-lutte-des-sans-papiers. du fait d’une situation précaire du point de vue administratif.
Revendications
Les femmes de ménage exigent des droits conformes aux conventions du secteur, droits qui sont bafoués par le sous-traitant :
- réduction de la cadence de trois chambres et demie par heure (c’est-à-dire une chambre en 17 minutes) à trois chambres par heure ;
- versement par STN d’une indemnité nourriture de 7,24 euros par jour ;
- obtention d’une tenue correcte et adéquate payée par le sous-traitant ;
- installation d’une pointeuse électronique pour obtenir le décompte précis de leurs heures ;
- intégration au groupe Accor.
Bilan prometteur
Ce mouvement fait partie de ceux qui ont abouti à la satisfaction des revendications avec le soutien de la CGT-HPE, d’élus de LFI et communistes, de militantes féministes et de la profession. Il a été le plus long de l’histoire de l’hôtellerie, soit vingt-deux mois, et a constitué le révélateur d’un capitalisme prédateur, des « eaux glaciales du calcul égoïste » de ce capitalisme. Il a mis en lumière le personnel invisibilisé, y compris pour les clients. Il a montré par l’action que le capitalisme repose en grande partie et de plus en plus sur une division du travail qui contourne les droits du travail, sur le recours massif à la sous-traitance dans les entreprises de services. Cette action réussie fera jurisprudence, du moins il faut agir pour cela.
Après avoir vu cette série, nous, qui parfois sommes des clients des hôtels, ne regarderons plus de la même manière le personnel de service et ferons preuve d’empathie et de solidarité au travers d’actes de soutien, mais aussi dans le comportement lorsque, comme cela se voit dans la série, des familles laissent la chambre dans un état pitoyable telle une porcherie et qui osent se plaindre.
La conscientisation des classes populaires s’agissant de la condition d’exploitée passe par la réflexion collective couplée aux actions revendicatives selon un mode fédératif qui n’isole pas dans l’entre-soi.
Notes de bas de page
↑1 | Frotter frotter : le long combat des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles adapté en série par la réalisatrice Marion Vernoux. |
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↑2 | Dans la réalité, elles sont accompagnées par le syndicat CGT-HPE (hôtels de prestige et économiques). |
↑3 | Lien : https://podcast.ausha.co/reseau-education-populaire/en-quete-d-interet-general-3-la-lutte-des-sans-papiers. |