Les dérives de la pseudo-histoire – 3 Pourquoi dériver ? — Partie 2

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Simon Vouet - Allégorie de l’Histoire (?)

Notre précédent article a pu vous montrer à quel point la pseudo-histoire amenait des individus à une malhonnêteté intellectuelle fortement motivée par le profit.

Nous vous proposons d’aborder maintenant les autres motivations des pseudo-historiens : celui du terrain idéologique. Il en émane des odeurs parfois nauséabondes. Mais surtout nous allons voir que la pseudo-histoire est poreuse et amène les pseudo-historiens sur d’autres terrains, avec la confusion que cela peut apporter pour qui ne connaît pas cette dernière.

La dérive idéologique et sectaire

L’on pourrait s’étonner de voir un journal comme Marianne désigner par le terme de « gourou » le pseudo-historien tristement célèbre du moment : Jacques Grimault(1)Voir : https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/exorcisme-medecine-illegale-derives-sectaires-enquete-sur-jacques-grimault-le-gourou-des-pyramides.

[…] Une dizaine de repentis, tous au départ fascinés par « LRDP » [ndla. La Révélation Des Pyramides], sortent du silence et témoignent aujourd’hui auprès de Marianne. Certains dénoncent une « secte », des abus de faiblesse, des escroqueries et un exercice illégal de la médecine. Questionné, le ministère de l’Intérieur reconnaît lui-même « des inquiétudes sur l’influence grandissante de l’aura de Jacques Grimault, auprès de personnes qui le perçoivent comme un génie non reconnu ». Depuis cinq ans, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) a reçu une vingtaine de signalements sur ses activités. « Des services compétents ont été saisis », se borne-t-on à dire Place Beauvau.

Paul Conge dans Marianne, le 13 décembre 2020.

Précisons le vocabulaire de Marianne qui met des guillemets au mot « secte ». Ce mot désigne un groupe constitué et isolé. L’expression dérive sectaire(2)Cf. https://www.miviludes.interieur.gouv.fr/quest-ce-quune-d%C3%A9rive-sectaire aurait été plus adaptée dans le cas de Jacques Grimault, ici appuyée par des notions telles que l’abus de faiblesse, l’exercice illégal de la médecine et l’escroquerie. On remarque aussi que la pseudo-histoire n’est pas évoquée par Marianne.
Il faut comprendre ici que la pseudo-histoire n’est jamais qu’un élément du discours dérivant : elle n’est pas en tant que telle une dérive sectaire puisqu’un dérivant ne verse pas nécessairement dans la pseudo-histoire. En revanche, elle fournit un narratif jouant sur l’imaginaire et les consciences grâce à son effet de dévoilement(3)Cf. notre précédent article : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-culture/les-derives-de-la-pseudo-histoire-2/7433278?amp=1.

Dès lors, le glissement de la dérive sectaire vers la pseudo-histoire s’explique, voire elle rejoint aussi la dérive mercantile évoquée dans notre précédent article s’il y avait nécessité, la pseudo-histoire faisant alors également partie du narratif des ventes.
Concluons alors que lorsqu’il n’est pas un vénal journaliste de la BBC comme Andrew Gough ou Jerry Glover (Cf. les avions Quimbaya évoqués dans l’article précédent), le profil psychologique du pseudo-historien semble être celui d’un croyant, qu’il soit seul ou entouré d’un groupe d’individus dont il sera alors le maître-à-ne-plus-penser, mais pour qui la pseudo-histoire n’est pas une fin en elle-même, seulement un moyen.

Le rôle des influenceurs en pseudo-histoire : des relais toxiques

Laissons de côté la dérive sectaire, pour nous intéresser au terrain occupé par les pseudo-historiens : les réseaux sociaux. Car s’ils sont l’un des principaux circuits de diffusion des idées fallacieuses et de personnages douteux, le problème réside davantage dans le fait que ces idées sont relayées par d’autres qui eux, se moquent du contenu pour ne voir qu’un potentiel d’audience — donc de la rentabilité.
La désinformation du public est donc un réel problème et l’exemple ci-après montre une conséquence du cas mentionné précédemment. Le youtubeur Squeezie fit la promotion de La Révélation des Pyramides (LRDP) de Jacques Grimault auprès de ses 17 millions d’abonnés ; cette vidéo(4)Cf. https://youtu.be/-8Q2OojFPK0 a atteint plus de 10 millions de vues.

Squeezie faisant la promotion de La Révélation des Pyramides plus de 10 millions de vues en 2018.

Il n’est pas un pseudo-historien bien évidemment, mais il participe au phénomène, d’une part en relayant une désinformation vers le public, d’autre part en en retirant un gain financier. Sentant qu’il avait franchi une ligne rouge, Squeezie a publié par la suite un correctif pour justifier sa démarche… mais le mal était déjà fait. Un total manque de responsabilité et la preuve aussi que n’importe qui peut diffuser n’importe quoi sans vérification et sans se rendre compte de l’étendue des dégâts qu’il occasionne.

Malgré l’article de Marianne publié en 2020 relatant le contexte judiciaire entourant Jacques Grimault, Squeezie laisse sa vidéo en ligne. Il la retire finalement début 2023 sans aucun mot d’explication après presque cinq ans de diffusion. Un retrait qui lui vaut une séquence dans l’émission de télévision de Télématin sur France 2 le 24 février 2023(5)Cf. https://www.youtube.com/watch?v=uka-m6lgetE.

Nous laissons le lecteur se faire une opinion avec cette double question : combien a gagné Squeezie en publiant cette désinformation ? Et combien aura gagné Jacques Grimault ? Il serait intéressant d’en avoir les montants… tout autant que de savoir ce qui a motivé le retrait de cette vidéo du youtubeur !

Ainsi les réseaux sociaux réclament l’immédiateté du buzz et avec elle, les dégâts que le manque de recul induit : un influenceur n’est pas un journaliste d’investigation, mais les propos qu’il tient sont mis sur le même pied d’égalité. Sans l’outil de l’esprit critique, le public suit puisqu’il est réduit au concept de « follower » et non de « lecteur » et qu’il n’a plus le temps ni les moyens du recul.
Ainsi, de la dérive commerciale et à la dérive sectaire, la pseudo-histoire est un vaste terrain et il se trouve sur Internet.

De la dérive identitaire vers le racisme

La pseudo-histoire peut aussi sortir de ce cadre et devenir le point de départ de dérives identitaires — ce qui ne la rend pas pour autant incompatible avec les autres formes de dérives que nous venons de voir, bien au contraire. Mais là encore, il nous faut détecter une limite : la pseudo-histoire reste encore un outil du discours. Et tous les identitaires ne versent pas dans la pseudo-histoire.

L’exemple que nous mettons en avant ici répond au pseudonyme d’Oleg de Normandie. Ancien affilié de Jacques Grimault, il est un suprémaciste blanc qui surfe sur les thèses raciales des origines « hyperboréennes » et vikings de toutes les civilisations.

À l’aide de ses deux chaînes YouTube « Pagan TV » et son site internet (www.esprit-wiking.fr), il diffuse un discours clairement raciste — il parle du mélange des ADN — et nous explique que l’Histoire est falsifiée par les religions monothéistes et que lui a pour mission de rétablir l’Histoire authentique et réinformer les peuples afin que les occidentaux puissent lutter contre « le Nouvel Ordre Mondial ».

[…] Les Français ont complètement oublié leur polarité et leurs racines, bientôt ils auront disparu dans le grand mélange des cultures et des ADN. Tous ? Non une fraction résiste encore à l’orientalisme, c’est la tribu des Norse crédibles.

L’Europe submergée par les populations et cultures étrangères est victime de son succès, il faut bien le dire : Les européens c’est les patrons du Monde. […] Le Nord a des vertus ignorées par les gauchistes et les patriotes souffrant de baboucholâtrie […]

Face à la recrudescence des Mohamed et des Mamadou dans la cour de récré, on a vu l’arrivé des Brandon et des Justin : le résultat est catastrophique, la non-masculinité que portent en eux ces prénoms menace la race européenne d’extinction. 

On vous a dit que les ricains s’étaient ramollis ! Pour que la blonde soit attirée il lui faut un vrai mâle, un qui assume son identité! C’est pourquoi un Abdel en France sera toujours plus attirant qu’un Brandon! Par contre quand Björn, 10 ans et blanc comme un linge, débarque dans une cour métissée de la région pharisienne, là il se passe quelque chose ! C’est comme un Viking qui débarque au Maghreb après avoir rasé une mosquée en Espagne : Il assume ! et les filles sont à ses pieds. 

Extrait de l’article « Norse Credible »(6)Cf. https://esprit-viking.com/la-norse-credibilite/ (hors ligne depuis fin 2022). par Oleg de Normandie — mis hors ligne fin 2022.

Ces mots ne souffrent d’aucune ambiguïté quant à son idéologie européo-centrée et suprémaciste. Ses objectifs non plus, et il suffit de visiter sa boutique en ligne pour voir que les t-shirts aux symboles runiques et vikings sont là pour emplir ses poches : l’objectif secondaire ou principal ?
Nous pouvons difficilement en rire, surtout lorsque nous commençons à évaluer son niveau d’audience, comme cette cagnotte en ligne sur le site HelloAsso(7) Cf. https://www.helloasso.com/associations/pagans-libres-paiens/collectes/les-films-de-divulgation-qui-changent-la-donne-d-oleg-de-normandiece monsieur récolte 26 000 euros dans le but de produire un film de sa propagande. Il a ainsi trouvé 477 donateurs en 2021.
Enfin, nous pouvons aussi avoir un aperçu de son audience puisque ses deux WebTV chez YouTube totalisent 2 086 985 vues et 9 408 990 vues au 5 février… 11,5 millions de vues entre 2015 et 2022.

Extrait de la page d’accueil de la chaîne Pagan TV 2 – L’esprit Viking le 05/02/2023.

Une page d’accueil qui interroge aussi sur le rapport d’Oleg de Normandie à l’antisémitisme…
Quid de la responsabilité pénale des hébergeurs ? Les moyens d’action sont limités en France puisque ces sociétés sont ailleurs que sur notre territoire (YouTube est une société de Google Inc.) et s’estiment non responsables des contenus à la différence de la presse.

Pour conclure, nous notons qu’il y a une porosité chez quelques pseudo-historiens, qui franchissent parfois des passerelles vers d’autres phénomènes de société. Définir la pseudo-histoire n’est donc pas aussi simple qu’il y paraît. Nous aborderons dans l’article suivant le prolongement sur le terrain de cet extrémisme qui découle logiquement de la dérive identitaire : celui de la politique. Et nous verrons alors que nous quitterons la pseudo-histoire pour entrer dans l’instrumentalisation de l’Histoire.
Quoi qu’il en soit, nous sommes déjà très loin de l’enseignement de l’Histoire et de la recherche de nos scientifiques.