Rallumer tous les soleils, Jean Jaurès Textes choisis par Jean-Pierre Rioux

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Cet ouvrage représente une somme conséquente qui, pour être digeste, nécessite plusieurs parties. C’est indispensable, car je me propose modestement d’associer la pensée de Jean Jaurès aux problématiques sociales, économiques, démocratiques actuelles.

Ces parties prendront les titres suivants :

  • Première partie : L’école publique et laïque ou l’école du peuple dans son entier ;
  • Deuxième partie : Les mouvements sociaux ;
  • Troisième partie : Le socialisme français ;
  • Quatrième partie : La patrie, l’internationalisme, la paix et la guerre.

Cet ouvrage commis par l’historien Jean-Pierre Rioux est une sorte d’anthologie « partielle » des discours et écrits de Jean Jaurès. Bien que cette expression jauressienne (« Rallumer les soleils ») fasse référence à une période de relation conflictuelle entre l’Église catholique et la République, bien que cette expression soit un tant soit peu une allusion religieuse, l’ouvrage montre bien la position du socialiste Jean Jaurès en faveur de la République laïque, sociale et démocratique(1)Il est utile de préciser que les mots « socialisme », « communisme » et « collectivisme », galvaudés et dévoyés par la vulgate pseudo marxisante des expériences mortifères du stalinisme et du pseudo-socialisme dit réel d’avant la chute du Mur de Berlin en 1989, ont une tout autre signification dans la plupart des discours et écrits des acteurs de l’époque, c’est-à-dire d’avant la Révolution bolchévique.. Il se prononce clairement pour une « Société nouvelle » dans laquelle le travail s’affranchit du salariat.

Première partie : l’école publique et laïque ou l’école du peuple dans son entier

École communale

Jean Jaurès tient à l’école communale conférant une certaine autonomie à la commune. Afin d’éviter le double écueil d’une part de l’insouciance possible des responsables communaux et d’autre part l’arrogante tutelle de l’État, il préconise d’accorder « à la commune la faculté d’avoir des écoles fondées, entretenues, dirigées par elle seule ». Il estime ainsi que « la commune parce qu’elle tient son autorité de l’État n’aurait pas le droit d’aller contre le principe dominant de l’enseignement public », à savoir la laïcité. Jean Jaurès, fait-il preuve de naïveté en pensant que les responsables communaux parce que dirigeant l’école communale seraient par « nature » acquis au principe de laïcité ?

Déjà, dans les débats parlementaires, certains conservateurs cléricaux proposent de confier aux Conseils communaux la nomination des enseignants. Ce à quoi, Jean Jaurès rétorque à juste raison que ce serait « une erreur, car l’école ne continue pas la vie de famille, elle inaugure et prépare la vie des sociétés. » Il ose un pari audacieux : « le jour où les programmes seraient contrôlés par l’expérience même des enfants du peuple, que le jour où les travailleurs pourraient dire ce qui les a le plus soutenus dans les combats de la vie, nous aurions des programmes plus adaptés aux exigences, aux nécessités de la vie quotidienne. » Ce pari est d’autant plus osé que, d’expérience nous constatons que la tutelle des parents, des familles, est aussi dangereuse, voire plus pernicieuse que celle de l’État. Il suffit de voir en face la réalité du conditionnement que peuvent représenter certaines familles, certains quartiers, conditionnement qui empêche ou contrarie la mission de l’école publique de sortir de l’état de dépendance les jeunes gens qu’elle accueille, de les sortir de l’état d’ignorance.

Ainsi, nous ne pouvons qu’être dubitatifs quand Jean Jaurès exprime cette idée de « proportionner l’enseignement communal à l’état des esprits et de la conscience populaire. » Quid de l’intégrisme qui sévit dans certains quartiers, dans certaines familles ?

Nous ne pouvons qu’approuver Jean Jaurès lorsqu’il précise que « l’enseignement public ne doit faire appel qu’à la raison, et toute doctrine qui ne se réclame pas de la seule raison s’exclut d’elle-même de l’enseignement primaire. Nous avons chassé Dieu de l’école… mais c’est votre Dieu (s’adressant aux cléricaux) qui ne se plaît pas dans l’ombre des cathédrales. » Dans les écoles publiques, ajoute-t-il, il est un principe, un devoir absolu : « ne pas introduire dans l’école nos agressions personnelles qui peuvent être offensantes et souvent inutiles, ne pas ajouter aux agressions constantes. »

Ces principes sont à la base de la loi de 2004 d’interdire aux écoliers, collégiens et lycéens d’arborer tout signe religieux ostentatoire afin d’éviter l’introduction dans les établissements scolaires et dans le temps scolaire les controverses injonctives de la société, afin d’éviter les tentatives de conversions religieuses qui contrarieraient la sérénité nécessaire aux apprentissages, à l’acquisition d’une culture à la fois universelle et critique, à la mise à distance à soi d’une société T à un temps T.

À l’adresse des enseignants

Jean Jaurès s’adresse, du haut de la tribune parlementaire, ainsi aux enseignants :

Vous tenez entre vos mains l’intelligence et l’âme des enfants, vous êtes responsable de la patrie. Les enfants n’auront pas seulement à écrire et déchiffrer une lettre, à lire une enseigne au coin d’une rue, à faire une addition et une multiplication. Ils sont Français et doivent connaître la France, sa géographie et son histoire. Ils seront citoyens et doivent savoir ce qu’est une démocratie libre, quels droits leur confère, quels devoirs leur impose la souveraineté de la nation. Ils seront hommes et il faut qu’ils aient une idée de l’homme, il faut qu’ils sachent quelle est la racine de toutes nos misères : l’égoïsme aux formes multiples ; quel est le principe de notre grandeur : la fierté unie à la tendresse, qu’ils puissent se représenter l’espèce humaine domptant peu à peu les brutalités de la nature et les brutalités de l’instant, qu’ils démêlent les éléments principaux de cette œuvre extraordinaire qui s’appelle la civilisation. 

Journal officiel du 2 décembre 1898.

Par ces propos, il assigne aux enseignants une mission républicaine à la fois essentielle et immense. Il n’est pas assuré que les ministres actuels de l’Éducation nationale aient cette pensée en tête eux qui préfèrent que les élèves soient avant l’éducation à la liberté, avant l’acquisition d’une culture universelle, avant le développement d’une pensée rationnelle et scientifique, soient surtout et avant tout employables immédiatement dans le monde du travail. En ajout à la pensée de Jean Jaurès, il serait bon de faire prendre conscience aux élèves de l’équilibre entre droits et devoirs, de leur faire prendre conscience que des droits sans devoirs sont tyrannies des individus sur la société, des devoirs sans droits tyrannies de la société sur les individus.

Droits des enfants du peuple

Pour Jean Jaurès, « les enfants du peuple ont droit aussi à un enseignement qui soit aussi plein et aussi complet à sa manière que celui qui est donné aux enfants de la bourgeoisie :

  • Saisir rapidement les grands traits du mécanisme politique et administratif,
  • Acquérir ce minimum de clarté nécessaire (à une démocratie authentique),
  • Agir contre les ténèbres de l’ignorance.

La passion de l’égalité et le goût de la liberté (pour écarter toute tentation de se soumettre à un homme providentiel, un guide, un dictateur) sont les plus difficiles à acquérir. Il est donc essentiel de « donner aux enfants du peuple, par un exercice suffisamment élevé de la faculté de penser, le sentiment de la valeur de l’homme et, donc, du prix de la liberté. ».

Il donne également une vocation sociale indirecte et de fait à l’école publique en affirmant que : « l’instruction, à la fois professionnelle et libérale (donc humaine et non dogmatique, développement de l’esprit, égalité intellectuelle), rendra plus flagrantes et plus intenables les inégalités sociales. »

Organisation de l’enseignement façon Guizot versus façon IIIe République

Il critique la vision de Guizot quant à l’organisation de l’enseignement primaire. Celle-ci relevait plus de sa foi protestante que de la foi démocratique. Son objectif était que tout homme pût lire la Bible. Donner au peuple les premiers éléments n’était pas pour préparer une éducation plus haute qui aurait servi de prétexte (préparer) à l’irruption des masses (dans la politique, dans la délibération collective). Il lui reproche de viser un objectif pour aussitôt en fermer toutes les potentialités émancipatrices :

  • Éveiller le libre examen pour le rendormir aussitôt ;
  • Libéralisme autoritaire pour ouvrir les voies de l’avenir du peuple pour les refermer d’un geste hautain : « Il n’y a pas de jour pour le suffrage universel. » « Si l’on veut donner le suffrage universel à tous les hommes pourquoi ne pas le donner à toutes les créatures vivantes ? » Cela implique, selon Jean Jaurès, que le peuple est assimilé à des créatures animales, à des bêtes.

Il reproche l’esprit régnant parmi les universitaires qu’il estime être une corporation un peu fermée se régalant de liberté dans Cicéron ou dans Tacite, mais prenant volontiers pour un fracas indistinct, grossier le tumulte des revendications populaires.

Sous la 3e République, si elle était conséquente, le fonctionnaire depuis le préfet jusqu’à l’instituteur n’est que le serviteur de la souveraineté nationale, il n’est pas à la solde d’une dynastie, d’une famille, d’un homme, mais de la France libre et maîtresse de soi. Il ne doit pas servir des intérêts de classe, mais les intérêts de la nation tout entière. Comme fonctionnaire et comme enseignant, il ne relève que de la nation, comme homme, il ne relève que de sa conscience.

La liberté étant en fait garantie à tous et les fonctionnaires n’intervenant plus pour la fausser avec la force de leur fonction, ils ne seraient plus suspectés et menacés par les partis adverses, car ils ne seraient plus utilisés par le pouvoir et ne pèseraient plus sur le pays.

Si la République existait de fait comme de nom, si la souveraineté nationale était effective, le fonctionnaire ne serait plus ni oppresseur ni opprimé. Comme chacun peut le constater, cela fait écho à l’usage actuel des forces de l’ordre par le pouvoir macronien qui les détourne de leur mission au service de tous et de toutes pour préserver l’ordre économique au service de la classe des grands possédants, des actionnaires et des banques.

L’État laïque enseignant (J.O. 04 mars 1904)

Tout en rappelant que dans une démocratie républicaine le christianisme, nous pourrions rajouter aujourd’hui toutes les autres croyances, a droit à l’absolue liberté, il affirme la nécessité de poursuivre l’œuvre scolaire de gratuité, d’obligation, de laïcité des programmes, du personnel de l’enseignement public. Pour cela, la loi sur la suppression de l’enseignement congrégationniste est vitale pour la liberté en préservant l’esprit des enfants de leur emprise dogmatique. Dans la même veine, l’abolition de la loi Falloux est indispensable, car elle avait pour objectif et effet de livrer les écoles à l’influence de l’Église et des congrégations. Chacun peut constater que cette abolition doit se réaliser encore dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

Il rappelle que ces principes avaient déjà été mis en œuvre sous la Révolution qui proclamait la liberté de l’enseignement pour les individus sans abandonner le droit social, le droit supérieur de l’État laïque et démocratique. Il précisait en outre qu’elle avait supprimé, déraciné toutes les congrégations par les décrets de la Constituante (1789) et qu’elle avait proclamé l’incompatibilité absolue du principe de sujétion avec le principe vital de la liberté individuelle.

Il applaudit aux réalisations de la IIIe République qui avait créé des milliers d’écoles, permis d’élever des millions d’enfants dans l’esprit des Lumières, de la morale naturelle, de la science et de la raison, qui avait libéré les universités de la soumission à la discipline qui ne devait plus être la serve d’aucune contrainte, d’aucune formule de dogme, d’aucune formule de tyrannie, mais qui devaient développer en pleine liberté, l’action de la pensée et de la science.

La liberté républicaine est la grande et universelle éducatrice. Cette éducation par la liberté est insuffisante et doit être soutenue par l’éducation de tous par l’école, par l’école de la nation et de la raison, par l’école civile et laïque.

Il rappelle les propos de Royer-Collard : « La démocratie n’est autre chose que l’égalité des droits. » Il ajoute qu’il n’y a pas égalité des droits si l’attachement de tel ou tel citoyen à telle ou telle croyance, à telle ou telle religion est pour lui cause de privilège ou une cause de disgrâce.

Si la démocratie dirige sans aucune intervention dogmatique et surnaturelle par les seules lumières de la conscience et de la science, si elle n’attend le progrès que du progrès de la conscience et de la science…, Jean Jaurès estime être en droit de dire que la démocratie est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, dans sa morale comme dans son économie. Il ajoute qu’il a le droit de répéter que démocratie et laïcité sont identiques.

Il en conclut qu’il faut faire pénétrer la laïcité dans l’éducation.

Ce principe universel doit être assorti de la liberté pour les citoyens de compléter par un enseignement religieux et des pratiques religieuses l’éducation laïque et sociale de l’école de la nation. Il faudrait préciser en dehors des établissements scolaires et du temps scolaire.

Qu’en retenir ? Tout !

Ces extraits représentent une base solide pour imaginer un grand service public, gratuit et laïque d’éducation et d’instruction de qualité pour tous les jeunes gens, filles et garçons, se trouvant sur le territoire de la République. L’école publique doit respecter à la fois la liberté de conscience des élèves et la sphère privée dans le cadre d’une éducation à la liberté qui elle-même repose sur l’acquisition d’une forte culture à la fois universelle et critique et de connaissances. Par cet universalisme, l’école devient de fait émancipatrice en ce sens qu’elle se fixe comme objectif de sortir tous les jeunes qu’elle accueille de l’état de dépendance que pourrait constituer le conditionnement familial, du moins dans certaines familles, de l’état de dépendance que pourrait constituer l’environnement proche dans certains quartiers, notamment à l’égard des femmes et des jeunes filles et d’une manière générale de l’état d’ignorance. De ce fait, l’école veillera à ne pas assigner les élèves dans des résidences spirituelles supposées être celles de leur famille.

Ainsi, l’école ne doit pas conformer les élèves à des dogmes religieux ou non, ne doit pas être au service de pratiques immédiates, de pratiques sociales directement issues du capitalisme ou de tout autre système, mais doit former des esprits libres de leurs choix éthiques ou spirituels. L’école se doit non pas de contredire les appartenances religieuses, philosophiques ou culturelles, mais dégager des repères communs, des références partagées. Pour autant, elle ne doit pas se replier sur un relativisme qui mettrait tout sur le même plan : la pensée magique et la pensée scientifique, les mythes et le discours argumenté, la pensée thaumaturgique et la pensée rationnelle… La libre disposition de son corps, l’intégrité physique et morale, la possibilité de se cultiver, la liberté de penser et de choisir ne saurait être relativisées au prétexte que certaines organisations sociales, notamment certaines mouvances religieuses intégristes, ne les auraient pas intégrées.

Un projet de gauche et républicain ne peut s’abstenir d’exiger le retrait de toutes les mesures favorables aux écoles privées confessionnelles des lois Debré de 1958 à nos jours. La laïcité suppose que la puissance publique réserve ses dépenses de fonctionnement et d’investissement aux seuls biens communs dont l’éducation fait partie donc à l’école publique.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Il est utile de préciser que les mots « socialisme », « communisme » et « collectivisme », galvaudés et dévoyés par la vulgate pseudo marxisante des expériences mortifères du stalinisme et du pseudo-socialisme dit réel d’avant la chute du Mur de Berlin en 1989, ont une tout autre signification dans la plupart des discours et écrits des acteurs de l’époque, c’est-à-dire d’avant la Révolution bolchévique.