9 juin, les élections européennes les plus importantes depuis 1979… vraiment ?

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À l’approche des élections européennes, ReSPUBLICA a décidé de publier deux points de vue émanant de la rédaction, de deux auteurs ayant déjà publié dans nos colonnes des articles au sujet de l’Union européenne. La position à adopter vis-à-vis de l’Union européenne et sa nature sont deux sujets qui suscitent depuis longtemps d’intenses débats au sein de la rédaction. À nos yeux, ces deux points de vue divergent, mais restent complémentaires et nous avons décidé de faire part aux lecteurs et lectrices de ces différences d’analyse afin d’alimenter le débat.

Comme à son habitude, ReSPUBLICA ne se prononce pas sur tel ou tel candidat, mais cherche avant tout à donner matière à réflexion, quitte à présenter des points de vue qui paraissent aller dans des sens différents. Tant bien que mal, nous cherchons à marcher sur nos deux jambes, l’une critique de l’UE, l’autre voulant s’en saisir pour la réorienter.

Plusieurs candidats têtes de liste aux élections au Parlement européen font campagne en affirmant que ces élections de 2024 sont « les plus importantes pour l’avenir de l’Union européenne depuis les premières élections au suffrage universel en 1979 » en raison de la guerre en Ukraine, de la montée des extrêmes droites dans tous les pays de l’Union et des changements géopolitiques mondiaux, essayant ainsi de dramatiser le scrutin pour inciter les électeurs à aller voter… pour leur liste. Cette dramatisation et les enjeux du scrutin supposent alors une campagne à la hauteur. Hélas nous en sommes loin, dans la forme comme sur le fond.

L’Union européenne : une dialectique nationale et européenne

Dans les médias dominants, la préoccupation des journalistes de complaisance porte plus sur le rapport de force entre partis politiques : la liste socialiste/Place publique va-t-elle devancer celle des macronistes de Renaissance ? Quelles seront les répercussions de ces élections sur le quinquennat d’Emmanuel Macron ? Qui va être candidat aux élections présidentielles de 2027 ? Etc. Bref de la politique politicienne interne, mais qui n’a que peu de choses à voir avec l’avenir de l’Union européenne et les enjeux européens.

Ramener les élections européennes à une dimension nationale est une faute politique majeure, car cela revient à nier non seulement l’importance de la construction européenne et des politiques décidées en commun sur la vie des résidents en France, mais aussi à se moquer de l’influence et des apports que la France et ses ressortissants peuvent apporter à l’Union.

Rien à voir non plus avec le compte rendu des sortants, peu de choses à voir avec les politiques européennes et les enjeux politiques de la construction européenne dans le mandat qui va s’ouvrir après les élections. Pourtant, les répercussions des politiques décidées dans le cadre communautaire sur la vie quotidienne de chaque résident en Europe sont importantes et le Parlement européen y a une responsabilité particulière, avec des pouvoirs non négligeables(1)Voir le n° 1094 du 07/04/2024 de ReSPUBLICA « Élections européennes du 9 juin 2024 : un enjeu primordial ».. Ramener les élections européennes à une dimension nationale est une faute politique majeure, car cela revient à nier non seulement l’importance de la construction européenne et des politiques décidées en commun sur la vie des résidents en France, mais aussi à se moquer de l’influence et des apports que la France et ses ressortissants peuvent apporter à l’Union, à diminuer son influence dans les instances communautaires.

Dépasser des candidatures de consolation

Le fait que les candidats soient choisis par les appareils politiques souvent comme des postes de consolation après un échec à des élections nationales ou locales en attente de jours meilleurs, que les candidats soient renouvelés sans tenir compte du travail effectué dans la mandature sortante démontre assez le peu de cas que les politiques en France accordent à la politique européenne. Le fait même d’imaginer et d’annoncer un débat public entre le Président de la République et la dirigeante du Rassemblement national présenté par les sondages comme le grand gagnant du scrutin de ces élections européennes montre comment seuls les enjeux politiciens nationaux sont leur unique préoccupation. Le fait que ces élections soient, par les oppositions de droite comme de gauche, tournées uniquement contre Emmanuel Macron en en faisant une sorte de scrutin de « midterms » à l’américaine est significatif de « notre » soumission à l’idéologie et à la culture américaines ainsi que de l’absurdité du raisonnement. Ce scrutin ne changera rien dans la composition de l’Assemblée nationale ou du Sénat (contrairement au scrutin de midterms aux USA) et ne pèsera que peu sur la suite du quinquennat macroniste compte tenu de l’échéance présidentielle encore assez éloignée.

Une campagne électorale européenne trop centrée sur les enjeux nationaux

La campagne électorale se concentre sur les questions nationales. Les grands thèmes en sont l’opposition à la « majorité » macroniste au gouvernement, les résultats annoncés par les sondages d’opinion pour l’extrême droite, mais sans analyse sérieuse de ce phénomène, un peu de social-démocratie de droite dont la liste va peut-être dépasser celle des macronistes et une France insoumise qui s’agite pour exister. Trente-sept listes ont été déposées au soir du 17 mai, un véritable florilège, dans l’ordre du tirage au sort pour affichage : « Pour une humanité souveraine » ; « Pour une démocratie réelle : décidons nous-mêmes ! » ; « La France fière, menée par Marion Maréchal et soutenue par Éric Zemmour » ; « La France insoumise – Union populaire » ; « La France revient ! Avec Jordan Bardella et Marine Le Pen » ; « Europe Écologie » ; « Free Palestine » ; « Parti animaliste – Les animaux comptent, votre voix aussi » ; « Parti révolutionnaire Communiste » ; « Parti pirate » ; « Besoin d’Europe » ; « PACE – Parti des citoyens européens, pour l’armée européenne, pour l’Europe sociale, pour la planète ! » ; « Équinoxe : écologie pratique et renouveau démocratique » ; « Écologie positive et territoires » ; « Liste Asselineau-Frexit, pour le pouvoir d’achat et pour la paix » ; « Paix et Décroissance » ; « Pour une autre Europe » ; « La droite pour faire entendre la voix de la France en Europe » ; « Lutte ouvrière le camp des travailleurs » ; « Changer l’Europe » ; « Nous le peuple » ; « Pour un monde sans frontières ni patrons, urgence révolution ! » ; « « Pour le pain, la paix, la liberté ! » présentée par le Parti des travailleurs » ; « L’Europe ça suffit ! » ; « Non ! Prenons-nous en mains » ; « Forteresse Europe – Liste d’unité nationaliste » ; « Réveiller l’Europe » ; « Non à l’UE et à l’OTAN, communistes pour la paix et le progrès social » ; « Alliance rurale » ; « France Libre » ; « Europe Territoires Écologie » ; « La ruche citoyenne » ; « Gauche unie pour le monde du travail soutenue par Fabien Roussel » ; « Défendre les enfants » ; « Écologie au centre » ; « Démocratie représentative » ; « Espéranto langue commune ».Ouf, difficile de s’y retrouver, c’est le quiz de la semaine ! Mais est-ce bien sérieux ? L’absence de projet fort pour une Europe démocratique vecteur d’une politique pour la paix joue incontestablement pour cette dispersion. Ces élections sont pour nombre de groupes l’occasion de s’offrir une vitrine temporaire.

Les programmes se résument pour l’essentiel à une liste, un catalogue sans cohérence et sans perspectives politiques, sans projet pour l’Europe. C’est aussi le cas du deuxième discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne le 25 avril 2024. Comment motiver les électeurs dans un tel brouillard ? Cette absence de projet politique favorise la démagogie du Rassemblement national donné gagnant des élections du 9 juin, d’autant qu’aujourd’hui, contrairement au passé, il ne revendique plus la sortie de la France de l’euro et de l’UE dans le cadre de sa volonté de ripoliner de son image.

Des rapports passés sous les radars qui ne sont pas débattus

Pourtant, la technostructure bourgeoise européenne cherche à préserver son hégémonie en multipliant les « rapports » technocratiques qui mériteraient une analyse sérieuse, car ils indiquent le chemin qu’elle compte prendre : qui a entendu parler et a la moindre idée du contenu du rapport d’Enrico Letta(2)Enrico Letta, homme politique italien, membre du parti démocrate (PD), député européen en 2004, président du Conseil des ministres italien de 2013 à 2014, enseignant à Sciences Po Paris. Le rapport s’intitule « Bien plus qu’un marché ». publié le mois dernier ? Enrico Letta propose, par exemple, de relier toutes les capitales des États de l’UE par le TGV, de financer des objectifs identifiés ensemble, telles que la transition numérique équitable, la poursuite de l’élargissement, la nécessité de renforcer la sécurité de l’UE avec une défense européenne en créant un marché commun pour l’industrie de la sécurité et la défense ou encore une cinquième liberté pour un nouveau marché unique (en plus des quatre libertés : liberté de circulation des capitaux, des marchandises, des services et des personnes), à savoir « la liberté d’étudier, d’explorer et de créer pour le bien de l’humanité sans frontières ni limites disciplinaires ou artificielles ». Tout cela mérite un peu de débat au-delà des cercles du pouvoir européen.

Qui a entendu parler du rapport de Mario Draghi(3)Mario Draghi, italien, économiste, professeur des universités a été vice-président pour l’Europe de Goldman Sachs (2002-2005), gouverneur de la Banque d’Italie (2006-2011), président de la Banque centrale européenne (2011-2019), président du Conseil des ministres en Italie (2021-2022). qui doit paraître en juin. Certes le contenu n’est toujours pas connu, mais plusieurs déclarations donnent des indices : « Notre organisation, notre processus décisionnel et notre financement ont été conçus pour le monde d’avant – avant le Covid-19, avant l’Ukraine, avant l’embrasement au Moyen-Orient, avant le retour de la rivalité entre grandes puissances. Or nous avons besoin d’une Union européenne adaptée au monde d’aujourd’hui et de demain. » C’est un constat peu contestable. Donc : « Je [Mario Draghi] propose un changement radical – car un changement radical est nécessaire » pour soutenir la compétition avec la Chine et les États-Unis. Monsieur Draghi, qui était président de la Banque centrale européenne, affirme aujourd’hui : « Nous avons en effet délibérément poursuivi une stratégie visant à abaisser les coûts salariaux les uns par rapport aux autres… L’effet net n’a été que d’affaiblir notre propre demande intérieure et de saper notre modèle social. » avouant ainsi un échec, s’être trompé par dogmatisme, or il s’agit plutôt d’une politique de classe délibérée. Il propose pour égaler les performances américaine et chinoise : « une redéfinition de notre Union qui n’est pas moins ambitieuse que ce que les Pères fondateurs ont fait il y a soixante-dix ans en créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier ».

Comment croire à une brusque conversion à une politique sociale de Monsieur Draghi ? C’est pourquoi il aurait été important que son rapport soit publié avant les élections européennes, afin qu’il puisse être débattu. Monsieur Draghi semble se positionner pour la présidence de la Commission européenne en concurrence avec la très droitière atlantiste, défenseure des grandes multinationales allemandes Madame Ursula von den Leyen.

On peut être pour l’Union européenne et vouloir l’amender socialement

Comme nous le soulignions dans notre article du 7 avril, la majorité des Français est attachée à la construction européenne et à l’euro, mais ces derniers sont aussi majoritairement mécontents de cette Europe technocratique, ultralibérale, dont les politiques favorisent la démagogie et la montée des extrêmes droites. C’est avec cette majorité attachée à la construction européenne, mais qui veut la changer et que nous retrouvons dans la grande majorité des pays qu’il faut travailler le projet d’avenir de l’UE, pas avec les technocraties et oligarchies bourgeoises.

Aller au-delà des postures souverainistes et fédéralistes

Les dérèglements climatiques, la crise environnementale, sociale, économique, la trajectoire de la digitalisation des sociétés entre les mains des GAFAM exigeraient un véritable projet pour l’Europe, un projet politique, un projet d’union politique avec un débat pas seulement national, mais européen. Le débat souverainiste/fédéraliste est un débat sans intérêt. L’Union européenne a connu une phase plutôt fédéraliste après l’Acte unique de 1987 et le Traité de Maastricht en 1992 avec la décision de la création de l’euro. Le Traité de Lisbonne en 2009, après l’échec du traité constitutionnel, l’a ramenée dans une phase intergouvernementale. Pas plus fédéralistes que souverainistes n’ont été en capacité de formuler un projet politique cohérent pour construire les Communautés européennes puis l’Union européenne. Faute de mieux, c’est la méthode fonctionnaliste, dite méthode Monet ou communautaire qui s’est imposée tout au long des 70 ans de construction européenne, aussi bien pour l’évolution des traités, les élargissements successifs que les politiques et les textes législatifs, jusqu’au Brexit inclus.

Il s’agit en fait d’imaginer un système sui generis(4)Sui generis est un terme latin de droit, signifiant « de son propre genre » et qualifiant une situation juridique dont la singularité empêche tout classement dans une catégorie déjà répertoriée et nécessite de créer des textes spécifiques. dans lequel les nations (les vieilles nations européennes qui ne veulent pas dépérir) auront toute leur place avec une solidarité réelle, une refondation de l’UE réconciliant en profondeur les nations européennes et l’Union, une transformation radicale de nos démocraties pour les rendre partenariales et plurinationales. Les bases sont là, dans la culture européenne, dans la civilisation européenne, dans son système social qu’il faut régénérer au lieu de le détruire, dans ses universités, sa science, son histoire commune.

Alors, si l’Europe est mortelle comme toute chose par ailleurs et comme l’affirme Emmanuel Macron dans son deuxième discours de la Sorbonne, si ces élections du 9 juin sont les plus importantes depuis que le Parlement européen est élu au suffrage universel et si le destin de l’Europe en dépend, encore un effort Mesdames et Messieurs les Européens pour être à la hauteur de l’enjeu. Malheureusement, cet effort semble être hors d’atteinte pour l’instant, mais ne dit-on pas que c’est dans les crises que l’UE progresse ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir le n° 1094 du 07/04/2024 de ReSPUBLICA « Élections européennes du 9 juin 2024 : un enjeu primordial ».
2 Enrico Letta, homme politique italien, membre du parti démocrate (PD), député européen en 2004, président du Conseil des ministres italien de 2013 à 2014, enseignant à Sciences Po Paris. Le rapport s’intitule « Bien plus qu’un marché ».
3 Mario Draghi, italien, économiste, professeur des universités a été vice-président pour l’Europe de Goldman Sachs (2002-2005), gouverneur de la Banque d’Italie (2006-2011), président de la Banque centrale européenne (2011-2019), président du Conseil des ministres en Italie (2021-2022).
4 Sui generis est un terme latin de droit, signifiant « de son propre genre » et qualifiant une situation juridique dont la singularité empêche tout classement dans une catégorie déjà répertoriée et nécessite de créer des textes spécifiques.