POUR UN UNIVERSALISME CONCRET

Retrouver le chemin de l’émancipation demande une forte mobilisation d’un bloc historique nouveau. Dans cette perspective, remettre en vigueur les principes constitutifs de la République sociale est un impératif. Nous dénombrons dix principes – liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, démocratie, souveraineté populaire, sûreté et sécurité, universalisme concret et développement écologique social (1)Voir Penser la République sociale… dans la Librairie militante du journal. – qui sont étroitement à associer car, tout au long de l’histoire, jamais un principe ne s’est constitué tout seul, il s’est toujours développé avec d’autres, dans une cohérence politique et philosophique (nous y revenons plus loin à propos de la laïcité). Au passage, cette globalisation basée sur le réel permet d’éviter les débats improductifs autour d’un universalisme qui serait occidentalo-centré et donc impérialiste, voire dépassé.

Parmi ces principes, nous nous attachons dans cet article à celui d’universalisme. Si le débat public semble  accorder un regain d’actualité à l’universalisme opposé aux idéologies identitaires, multiculturelles ou communautaires de tous bords, nous disons que l’universalisme est bien mal défendu dans le spectacle organisé entre  les associés-rivaux que sont les universalistes abstraits et la gauche identitaire.

Suspendre les différences… sans les nier

Un précédent éditorial de Respublica faisait référence à l’universalisme concret que nous opposons à l’universalisme abstrait, à propos des thèses de Nathalie Heinich. Celle-ci, dans son livre Oser l’universalisme, intitule « Le féminisme universaliste incite à suspendre les différences » un chapitre qui fait bien comprendre pourquoi il faut récuser l’affirmation d’une spécificité féminine dans tous les domaines, et par exemple l’emploi de l’écriture inclusive. En effet, comme elle l’écrit dans l’ouvrage en question, « la conception universaliste et républicaine incite […] à suspendre les différences – non pas de façon absolue, mais dans le cadre civique de la citoyenneté – pour arriver à une forme d’égalité qui ne renvoie pas systématiquement les individus à un collectif d’appartenance autre que la qualité de citoyens ».(2)Individu et citoyen ne sont pas synonymes et « suspendre » ne signifie pas supprimer ; Catherine Kintzler utilise le même terme pour l’affichage des croyances…

Comme il ne suffit pas d’utiliser un mot pour qu’il soit performatif, Heinich ajoute que l’universalisme est une visée, et non un état de fait, qu’il faut faire exister par l’action. Or que font nos universalistes abstraits en vue de l’égalité réelle et non seulement formelle, lorsqu’ils négligent les conditions sociales et politiques de l’égalité ? lorsqu’ils négligent de combattre le capitalisme néolibéral qui pourtant produit les idéologies identitaires de tous bords ?

Car c’est ce même système qui diminue la mobilité sociale, déclasse les statuts, prolétarise un nombre grandissant de citoyens,qui produit la guerre des classes au profit de la bourgeoisie, qui augmente les inégalités sociales de toutes natures, qui enrichit les plus riches et appauvrit les plus pauvres, qui développe la précarité du travail, qui finance en France sur fonds publics des cathédrales catholiques, des temples évangéliques, des synagogues et des mosquées, lance une campagne de communication à l’école assimilant laïcité et vivre ensemble, et qui détruit à petit feu la sphère de constitution des libertés (école, services publics, sécurité sociale)…

Que font nos universalistes abstraits en vue de l’égalité réelle et non seulement formelle, lorsqu’ils négligent les conditions sociales et politiques de l’égalité ? lorsqu’ils négligent de combattre le capitalisme néolibéral qui pourtant produit les idéologies identitaires de tous bords ?

Face à ces constats, la rédaction de Respublica a déclenché il y a quelques années un appel intitulé « Lier le combat laïque et le combat social, fédérer le peuple ». Nous rappelions que la laïcité s’est développée pendant la Révolution française, pendant la révolution de 1848, pendant la Commune de Paris, pendant le rétablissement de la République (1875-1910), dans le Front populaire, dans la Résistance et le programme du CNR. Donc toujours de façon concomitante avec les batailles sociales et politiques. Et les reculs sociaux et politiques ont été concomitants des reculs laïques depuis le tournant libéral de 1983, les dernières avancées laïques en France datant des droits à la contraception et à l’IVG.
Et que l’on ne vienne pas nous raconter que la loi du 15 mars 2004 est une avancée laïque. Cette loi  ne fait qu’annuler le recul jospinien réalisé avec l’article 10 de la loi du 10 juillet 1989 qui, lui-même, annulait la troisième circulaire de Jean Zay du 15 mai 1937 ! Eh oui, c’est le Front populaire qui a interdit les signes religieux et politiques. Ce sont Mitterrand, Rocard et Jospin qui les ont autorisés par la loi précitée. (Le Conseil d’État, qui n’est pas là pour faire la loi mais pour la dire, a fait son travail le 27 novembre 1989, en tenant compte de la loi d’annulation de la circulaire précitée du Front populaire.) Et c’est la bataille laïque engagée par une gauche républicaine, du 20 octobre 1989 jusqu’au 18 octobre 2003, qui a permis la loi du 15 mars 2004, simple retour à l’esprit de la circulaire du Front populaire !

Dit autrement, comment la promesse républicaine peut-elle être prise au sérieux quand les universalistes abstraits apparaissent comme des soutiens du système ? Quel crédit le peuple peut donner à ceux qui favorisent par leur soutien ou leur participation cette entreprise de démolition et de saccage, qui développent donc un universalisme abstrait qui cautionne un système qui détruit petit à petit tous les principes républicains y compris celui de la laïcité ?

Oui, ces universalistes abstraits sont des associés-rivaux de la gauche identitaire ! Ils cautionnent les reculs laïques et sociaux que nous vivons ces dernières années

Il n’y aura pas de reprise du chemin de l’émancipation, sans une clarification. L’universalisme républicain est un combat de tous les jours, tous les rapports sociaux sont affectés par le capitalisme néolibéral, le combat doit donc être à la fois global et très concret.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir Penser la République sociale… dans la Librairie militante du journal.
2 Individu et citoyen ne sont pas synonymes et « suspendre » ne signifie pas supprimer ; Catherine Kintzler utilise le même terme pour l’affichage des croyances…