Commençons par le commencement
L’analyse de la nouvelle géopolitique toute récente est très différente de la précédente et elle remet une nouvelle fois en cause les vieux discours politiques qui avaient encore leur pertinence au début de ce siècle. Alors que le nouveau capitalisme néolibéral et ordolibéral s’organise contre la mondialisation pour se maintenir(1)Voir le dernier livre de Benjamin Bürbaumer., certains croient à gauche que le mot « démondialisation » seul ou « souveraineté » seul sont un sésame pour s’en sortir. D’autres continuent à croire que s’adapter au néolibéralisme et à l’ordolibéralisme dans un mondialisme de bon aloi a encore une pertinence. Alors que les démocraties dites libérales en France et dans l’UE deviennent de plus en plus illibérales, alors que tous les principes de la République sociale(2)Livres proposés par ReSPUBLICA – Librairie militante. sans exception(3)Liberté, égalité, fraternité, démocratie, laïcité, solidarité, sécurité et sûreté, universalisme concret, souveraineté populaire, développement écologique et social. sont partout en recul, en France et dans l’UE, nombreux à gauche continuent de séparer la bataille sur chaque principe en l’isolant des autres. Quand d’autres ou les mêmes commencent à tourner le dos à certains principes pourtant soutenus par la classe populaire ouvrière et employée qu’ils ont décidé d’oublier.
Pour une Europe puissance
Alors qu’il nous faudrait une Europe puissance(4)Avec, bien sûr, une refondation profonde au niveau des traités et directives. Voir : « Union européenne : puisque ça n’a pas marché, il faut accélérer dans la même direction ! ». face aux deux impérialismes dominants, celui des États-Unis et de la Chine, alors que l’UE préfère majoritairement acheter aux États-Unis plutôt qu’en Europe(5)C’est le cas des armements, c’est l’injonction de Mme Von der Leyen d’acheter américain pour éviter les droits de douane de Trump, etc., toute la direction de l’UE se soumet aux politiques des États-Unis. Dans le même temps, la majorité de notre gauche est devenue majoritairement campiste, chacun choisissant son impérialisme favori. Ou dit autrement, la majorité de notre gauche préfère l’hétéronomie à l’autonomie.
Alors que le capitalisme illibéral triomphe partout en Occident (Argentine avec Javier Milei, États-Unis avec Trump, Italie avec Giorgia Meloni, Hongrie avec Viktor Orban, Robert Fico en Slovaquie, montée des forces illibérales d’extrême droite partout ailleurs), la majorité de la gauche n’a qu’un mot à la bouche (le racisme). Bien sûr que le racisme est une des composantes idéologiques de ces forces réactionnaires, mais ce n’est pas la principale. Prenons le cas des dernières élections américaines. Trump n’a pas gagné la bataille présidentielle étasunienne, c’est Harris qui l’a perdue. Nous partageons l’analyse de Bernie Sanders à ce titre(6)« Quand ce qui s’appelle la gauche abandonne la classe populaire, le résultat est clair : la classe populaire abandonne la gauche ! ».. Comme nous l’avons dit à plusieurs reprises, Kamala Harris était plus proche de Margaret Thatcher que de Rosa Luxembourg, seules les femmes de la bourgeoisie ont plus voté pour elle que pour Biden en 2020, et Trump a fait + 5 % chez les femmes par rapport à 2020. Pareil pour les Noirs (+ 4 %). Pareil pour les latino-américains (+ 12 %). Kamala Harris a perdu plus de 6 millions de voix par rapport à Biden 2020 pour seulement 3 millions de voix de plus pour Trump qu’en 2020.
Le leurre Terra Nova
Alors que le parti démocrate aux États-Unis s’écroule comme les gauches européennes, alors qu’en France, les différentes directions politiques du NFP se sont toutes inspirées de la note de Terra Nova(7)« Terra Nova précise la feuille de route du gouvernement socialiste ». de 2011, qui prônait d’abandonner la classe populaire ouvrière et employée pour organiser une alliance entre les couches moyennes éduquées des métropoles et les « discriminés » (« racisés », femmes, etc.). Finie la lutte des classes contre le bloc bourgeois, remplacée par l’idiotie du 99 % contre le 1 % d’ultrariches ou sur les antagonismes de la petite bourgeoisie se déclarant modérée ou radicale ! Le clivage principal n’est pas, en réalité, « les pauvres contre les riches », mais bien celui des « exploités et leurs alliés contre les exploiteurs et leurs alliés ».
La gauche tout entière qui pesait, fin juin 2024, 28 % des votants, soit à peine un cinquième des électeurs potentiels, devrait comprendre cela. La multiplication des catastrophes climatiques est amplifiée par la faiblesse des services publics, comme ce qui vient de se passer dans le sud de la Californie en porte témoignage. Les élus du Parti démocrate qui règnent sur cet État n’ont toujours pas compris. Il en de même pour les élus français de l’extrême-centre et de la droite à Mayotte. Nous ne sommes pas au niveau du nécessaire sur le plan de la politique écologique et énergétique. Pire, plus on en parle, moins on agit !
Sur le plan économique, qui est toujours déterminant en dernière instance, il est indispensable de comprendre et d’agir face à la crise(8)Voir cet articles et les deux suivants « Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – premier volet ».. Mais aussi faire face au recul de la productivité française et européenne face aux deux impérialismes précités. Il faudra, également, remettre en cause cette scandaleuse politique de l’offre, mantra de tous les néolibéraux qui, dans la séquence actuelle, est l’une des principales causes de la crise globale antisociale que nous traversons. D’autant que l’incertitude économique s’amplifie devant la crise de régime qui arrive puisqu’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée nationale (289 députés) et que le barrage dit républicain ne correspond à aucune politique majoritaire(9)« Partira, partira pas ? – Partie 2 »..
Discours de François Bayrou
Le discours du Premier ministre François Bayrou du 14 janvier n’est qu’un discours pour gagner du temps. Barnier voulait éviter la censure en dialoguant avec l’extrême droite alors que François Bayrou préfère le faire avec les socialistes. Mais toujours sans rien changer à sa politique (refus de l’abrogation ou de la suspension ou du gel, comme demandé par la secrétaire générale de la CGT de la contre-réforme des retraites). Alors que l’abandon de cette contre-réforme antisociale ne coûterait que 3 milliards en 2025 (soit 0,125 % du PIB réel en volume) ou 2 milliards pour un simple gel, et près de 16 milliards en 2032 (soit moins de 0,7 % du PIB réel en volume). Il n’y a donc aucune difficulté d’augmentation des recettes pour financer les retraites en supprimant une partie des exonérations de cotisations sociales et en mettant des cotisations sur tous les produits du travail aujourd’hui exemptés (retraites chapeaux, épargne retraite, augmentation du plafond des retraites, etc.). Bayrou a préféré écrire une lettre aux socialistes avec une inflexion de 3 milliards sur l’ensemble du budget de l’État et de la Sécu (soit 0,2 % des dits budgets !).
Recul de la productivité européenne et française par rapport aux États-Unis et à la Chine
De nombreuses études documentées montrent que la bataille de la productivité globale est principalement une bataille entre les États-Unis et la Chine. La France et plus généralement l’Union européenne sont à la traîne. Pour la France, la crise politique et ses incertitudes ont comme conséquence une baisse des investissements encore plus forte que dans les autres pays. Car baisser les investissements productifs fait baisser la productivité. Mais pour comprendre ce dossier, il faut distinguer la productivité du travail source de toute richesse (et donc du capital), de la productivité du capital.
« La croissance du capital s’est ralentie, elle contribue de moins en moins à la croissance du produit intérieur brut (PIB) », constate Nicolas Carnot, le directeur des études économiques de l’Insee. Là est le problème majeur. Si la productivité globale est faible en France et dans l’Union européenne, comme le montre le rapport de Mario Draghi, dont nous avons déjà abondamment parlé dans ReSPUBLICA, le problème ne vient pas principalement du travail, mais surtout du capital et des relations, de plus en plus exécrables, entre le travail et le capital.
Parlons clair, les 6 défauts majeurs de l’Union européenne et de la zone euro sont la faiblesse de sa demande intérieure par la faiblesse de ses salaires, la faiblesse de l’investissement productif intérieur, car la bourgeoisie française comme européenne investit principalement hors Union européenne et en particulier aux États-Unis. À cela s’ajoute le manque d’investissement vers la haute technologie tant en recherche que dans les équipements et les infrastructures qui doivent être sécurisées pour chaque pays, dont la France(10)Les infrastructures sont les infrastructures physiques (transport, ports, goulots d’étranglement maritimes), les infrastructures numériques, les infrastructures bancaires type SWIFT ou Target 2.. Il faut définir un plan sérieux de réindustrialisation avec transition énergétique et écologique et enfin investir dans la sphère de constitution des libertés (école, services publics et sécurité sociale). Sans résoudre ces 6 défauts majeurs qui demandent de s’opposer à la politique de sa bourgeoisie nationale et européenne, la France et l’UE continueront de décliner en enrichissant la grande bourgeoisie minoritaire, mais qui aujourd’hui détient tous les leviers.
Immigration
Quant à l’immigration, oui, il est nécessaire de traiter cela convenablement, mais, pour cela, il faut des lois d’immigration et de la nationalité qui soient dignes d’une République sociale(11)Livres proposés par ReSPUBLICA – Librairie militante.. Cela ne peut se faire qu’avec une régularisation de tous les travailleurs sans papiers en poste de travail et avec une forte coopération internationale pour le développement avec les pays d’où part « l’émigration forcée ». Nous reviendrons ultérieurement sur les politiques d’immigration et de nationalité dans la phase de transition. Mais dans l’immédiat, hors de question que les partisans de la République sociale acceptent la suppression du droit du sol demandé par les droites, droit du sol qui existe dans notre pays depuis 1515.
En dernier lieu, il convient d’engager partout, dans les organisations, dans les entreprises, dans la vie politique, dans la vie sociale, une marche vers plus de démocratie, moins de pauvreté et d’inégalités, pour que vienne le temps d’une République sociale. Plus généralement, l’ensemble des principes de la République sociale rappelés ci-dessus doit servir de socle à des politiques visant à y contribuer.
Reste à débattre des éléments stratégiques des organisations politiques et syndicales de gauche pour y parvenir. Nous vous donnons rendez-vous dans des articles ultérieurs pour traiter de ces sujets majeurs.
Notes de bas de page
↑1 | Voir le dernier livre de Benjamin Bürbaumer. |
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↑2, ↑11 | Livres proposés par ReSPUBLICA – Librairie militante. |
↑3 | Liberté, égalité, fraternité, démocratie, laïcité, solidarité, sécurité et sûreté, universalisme concret, souveraineté populaire, développement écologique et social. |
↑4 | Avec, bien sûr, une refondation profonde au niveau des traités et directives. Voir : « Union européenne : puisque ça n’a pas marché, il faut accélérer dans la même direction ! ». |
↑5 | C’est le cas des armements, c’est l’injonction de Mme Von der Leyen d’acheter américain pour éviter les droits de douane de Trump, etc. |
↑6 | « Quand ce qui s’appelle la gauche abandonne la classe populaire, le résultat est clair : la classe populaire abandonne la gauche ! ». |
↑7 | « Terra Nova précise la feuille de route du gouvernement socialiste ». |
↑8 | Voir cet articles et les deux suivants « Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – premier volet ». |
↑9 | « Partira, partira pas ? – Partie 2 ». |
↑10 | Les infrastructures sont les infrastructures physiques (transport, ports, goulots d’étranglement maritimes), les infrastructures numériques, les infrastructures bancaires type SWIFT ou Target 2. |