Comprendre la crise économique, sociale et politique mondiale – premier volet

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Nous allons réaliser ce travail en plusieurs épisodes, semaine après semaine. L’article qui suit en est le premier volet.

 

Nous aborderons ici deux éclairages : d’abord, une vision holistique et stratégique indispensable pour retrouver le chemin de l’émancipation, puis une première analyse du système commercial mondial, car dans le rapport des forces international,es c’est bien « l’économique qui est déterminante en dernière instance ».

 

Nous continuerons ultérieurement dans différents autres articles notre analyse économique et sociale.

ReSPUBLICA a déjà, dans de nombreux articles, montré que la crise de la pensée politique avait comme soubassement d’une part la baisse effective du taux de profit dans l’économie réelle et d’autre part le bouleversement économique et géopolitique de la planète. Au premier aspect, l’oligarchie capitaliste riposte en organisant des transferts financiers des travailleurs vers la classe sociale la plus favorisée et vers les grandes entreprises pour contrer la loi de baisse tendancielle du taux de profit(1)Voir la fin de l’article qui montre que c’est le bas qui finance le haut : Combattre le nihilisme capitaliste qui dévaste le monde · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)..

Au deuxième aspect, les oligarchies capitalistes favorisent une intensification de la concurrence entre aires géopolitiques, chacune étant dominée par un impérialisme. Et comme d’habitude, cette concurrence se développe avec ses lots toujours plus horribles de guerres sauvages et de massacres de masse.

Bien évidemment, les incantations morales et identitaires de tous les militants et citoyens idéalistes n’ont rigoureusement aucun effet contre le cours des choses. Vouloir vaincre l’extrême droite et l’union de toutes les droites par des discours moraux sur le bien et le mal, c’est, au mieux, être inefficace, et souvent contre-productif. Tant que la gauche ne retrouvera pas une pensée matérialiste, historique et dialectique en globalisant les luttes écologiques et sociétales avec un primat sur les questions économiques et sociales, la poussée de la future union des droites sera inexorable.

Comprendre pourquoi l’union de toutes les droites progresse ne peut pas se faire sans comprendre le réel de la crise économique, sociale, écologique et politique actuelle. Et le réel n’est pas ce qu’on entend, ni ce que l’on voit, mais bien ce qui est. Et ce qui est n’est pas forcément visible, il faut donc aller le chercher. Nous ne le répéterons jamais assez : c’est le primat de l’économique et du social qui permet la construction d’un bloc historique populaire majoritaire, qui ensuite permet de gagner les batailles sociales, écologiques, laïques, démocratiques, et de faire avancer les luttes sur le genre et pour une humanité antiraciste. Pas l’inverse.

Nous pourrons analyser au soir du 9 juin, date des prochaines élections européennes, les dégâts de la pénétration des politiques identitaires et idéalistes au sein des partis de gauche. Voilà pourquoi nous vivons le recul de la laïcité, de la démocratie, de l’écologie, des conquis sociaux, de la solidarité, de la souveraineté populaire. Quand la gauche perd la nécessaire vision holistique de l’analyse politique, alors elle n’est plus à la hauteur des enjeux et se développent les fausses bonnes idées, les idées simplistes, et même une tendance majoritaire à l’éradication du primat des questions économiques et sociales devant le sociétal, qui lui est tout à fait compatible avec le capitalisme lui-même. Par exemple, sabler le champagne à la constitutionnalisation de l’IVG sans dire que nombreuses femmes vivent un fort recul de l’effectivité du droit à l’IVG est particulièrement affligeant !

Dans l’histoire, chaque passage des systèmes antiques au féodalisme puis au capitalisme a mis plusieurs siècles à s’effectuer. Il y a toujours eu modification au niveau des idées qui se sont faites par étapes durant ces périodes de changement. Il en est de même des transformations internes du capitalisme lui-même, du précapitalisme de la manufacture puis de la fabrique, du capitalisme industriel concurrentiel, au capitalisme impérialiste, du capitalisme néolibéral et, pour l’Union européenne en plus, une forte dose d’ordolibéralisme allemand, jusqu’au bouleversement géopolitique récent devant l’acuité d’un risque chaque jour plus fort d’un conflit économique de haute intensité entre les États-Unis et la Chine, chacun avec ses alliés, dont les guerres Russie-Ukraine et du Proche-Orient ne sont que les prémisses d’autres affrontements ultérieurs.

Au passage, disons en plus que l’Union européenne, enserrée qu’elle est dans son carcan ordolibéral, perd pied, vis-à-vis des États-Unis d’une part et de la Chine d’autre part, sur les questions de dynamique de productivité, de croissance, d’écart de PIB, et devient donc le talon d’Achille du monde développé comme l’a même présenté un éditorialiste néolibéral du journal Le Monde(2)Union européenne : puisque ça n’a pas marché, il faut accélérer dans la même direction ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)..

Tout cela aiguise les antagonismes internes entre pays, mais également au sein de chacun d’entre eux. Mais alors, que se passe-t-il dans les relations économiques internationales ?

Où en est le système commercial mondial ?

La rapidité des changements du réel à l’échelle du monde fait que les modifications nécessaires dans la régulation mondiale tardent à venir, d’abord parce que les élites oligarchiques se battront jusqu’au bout pour défendre leurs intérêts et que la gauche à la hauteur des enjeux, c’est-à-dire la gauche de gauche, n’est toujours pas là.

En ce qui concerne le système commercial mondial, disons d’abord que chaque bouleversement historique a toujours entraîné la modification des règles internationales. Le bouleversement géopolitique récent n’a toujours pas entraîné cette modification. Et cette modification n’aura pas lieu, malheureusement, ni demain matin à 8 h 30, ni à court terme, tant le système complexe de la lutte de classe à l’échelle mondiale reste toujours favorable aux élites oligarchiques du monde entier qui, en période de crise, préfèrent toujours la multiplication des guerres plutôt que la paix juste et négociée : en effet, le maintien d’un système de guerre leur permet de se maintenir en place.

L’exemple le plus caricatural est celui de Benjamin Netanyahu ! Comme le dit l’économiste Michael Pettis(3)Michael Pettis est un chercheur senior américain à la Carnegie Endowment for International Peace et professeur à la Guanghua School of management de l’Université de Pékin. Il est conférencier sur la croissance économique mondiale et a publié deux livres chez Princeton University Press dont The Great Rebalancing ; Trade, Conflict, and the Perilous Road Ahead for the World. :

Le système commercial mondial est en panne depuis des décennies. Un régime commercial qui fonctionne bien ne permettrait ni les déséquilibres commerciaux importants et persistants qui caractérisent le système commercial mondial actuel ni les flux pervers de capitaux des économies en développement vers les économies avancées. Le système a besoin de nouvelles règles qui encouragent le retour aux avantages du libre-échange et de l’avantage comparatif. 

Mais pour lui sans excédents trop conséquents pour les uns et des déficits trop importants pour les autres.

Grâce au fait qu’ils contrôlent majoritairement la tuyauterie des échanges bancaires par l’intermédiaire du système Swift formellement géré par une société belge, de même que les données numérisées via les entreprises américaines des GAFAM et de leurs tuyauteries, que le dollar reste la monnaie d’échange principal sur la planète, et que personne, dans le monde occidental, ne conteste leur capacité à punir, grâce leur jurisprudence extraterritoriale, telle ou telle entreprise qui dessert leurs intérêts, les États-Unis sont la seule puissance du monde capable d’augmenter leur dette au-delà du raisonnable, tant que les pays qui ont des excédents commerciaux la financeront en rachetant des actifs américains.

Il suffit que la banque centrale américaine rende les actifs américains à court terme attractifs pour qu’ils soient les seuls sur la planète à être capable de faire financer leur dette publique et privée par les excédents étrangers. Car tout pays doit effectuer le bouclage financier global lié à ses échanges commerciaux. C’est pourquoi les États-Unis se sont désindustrialisés (comme la France d’ailleurs, le PIB industriel est de 11 % aux États-Unis, de 13,4 % en France et de 16 % dans le monde) au profit de la Chine (PIB industriel à 28 %) et que le déséquilibre progresse, car les pays qui possèdent des excédents financiers subventionnent leur production (comme la Chine par exemple) et que les pays déficitaires subventionnent leur consommation intérieure (les États-Unis et la France parmi tant d’autres).

De plus, les États-Unis ont lancé leur nouvelle stratégie, « la relocalisation chez les pays amis » (friendshoring). Voilà ce qu’a dit, en avril 2002, la secrétaire au Trésor étasunienne, Janet Yellen : « Favoriser le ‘friendshoring’ des chaînes d’approvisionnement à un grand nombre de pays en lesquels nous avons confiance, afin que nous puissions continuer à étendre en sécurité l’accès aux marchés, réduira les risques pour notre économie et pour nos partenaires commerciaux de confiance »(4)Source : Remarks by Secretary of the Treasury Janet L. Yellen on Way Forward for the Global Economy | U.S. Department of the Treasury.. La volonté des États-Unis est donc bien de fermer la séquence de domination de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qu’elle considère comme trop favorable à la Chine. Il va sans dire que la Chine tente aussi de se préparer à ce conflit économique de haute intensité(5)Voir la fin de l’article de Wukong sur La Chine, ce pays si mal connu · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org)..

Cela dit, tout revient à accentuer les déséquilibres entre les croissances des excédents des pays excédentaires et la croissance des déficits des pays déficitaires. Bien sûr, cela implique pour les pays excédentaires que la monnaie est sous-évaluée (comme en Chine) et que l’épargne surplombe l’investissement, ce qui augmente le coût des importations tout en augmentant le bénéfice des exportateurs. Ce qui correspond à un transfert des ménages au bénéfice du secteur manufacturier devenu plus compétitif.

C’est bien sûr le contraire pour les monnaies surévaluées (comme pour les États-Unis et pour des pays comme la France, l’Italie, dont les couches populaires vont souffrir de plus en plus des déséquilibres, car ils vont grandissant, etc.). On pourrait également prendre d’autres facteurs visant à induire d’autres transferts qui pourraient être dus à des baisses du taux d’intérêt, à un surinvestissement dans les infrastructures, à la répression salariale, etc.

Combattre l’avantage concurrentiel pour installer l’avantage comparatif

Mickaël Pettis distingue le système à « avantage comparatif » du monde à « avantage concurrentiel ». Le premier est un système qui maximise le bien–être avec un relatif équilibre entre importations et exportations. Le deuxième favorise d’une part des excédents commerciaux trop forts dus à des exportations subventionnées et une consommation intérieure trop faible et d’autre part oblige les pays déficitaires à subventionner leur consommation intérieure.

On peut facilement montrer alors que dans ce cas, l’externalisation des conséquences du système à « avantage concurrentiel » est d’augmenter la bataille des débouchés et donc des conflits impérialistes. Et la faiblesse des États-Unis est qu’étant trop déficitaires, ils peinent à développer une spécialité, contrairement à des pays de leur aire géopolitique comme Taïwan, la Corée du Sud ou le Japon. Si l’augmentation de la production (avec transition écologique bien sûr) est répartie efficacement entre la consommation et l’épargne, davantage d’exportations entraînent davantage d’importations et l’expansion de la production mondiale peut être bénéfique pour toutes et tous.

Dans le cas, contraire, ce qui est le cas actuellement, le chômage réel et la dette publique et privée se développent et les risques de guerre augmentent. En ce qui concerne l’Union européenne, il est à noter que le choix de l’élargissement de l’UE pour y faire entrer les pays à bas salaires a été fait avec le refus de l’Allemagne et des pays dits frugaux d’effectuer un plan Marshall interne(6)voir les articles de celui qui fut notre économiste, feu Michel Zerbato, sur le fait que l’Allemagne n’utilisera pas alors ses excédents pour diminuer les inégalités sociales : L’Allemagne ne paiera pas ! Même si on lui donne les clés du camion · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org), L’Allemagne ne paiera pas – 2 : L’impossible sortie de crise dans le cadre de l’euro de Maastricht · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org), Sommet de l’UE : l’Allemagne n’a pas payé ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org), Chypre : comment l’oligarchie européenne modifie de nouveau la nature de la zone Euro · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org).. Par ailleurs, la montée des inégalités sociales ne peut être compensée ni par un subventionnement interne à l’UE ni par une dévaluation de certaines monnaies : les politiques d’austérité vont donc devenir de plus en plus dures au sein de l’UE.

Bien sûr, dans un mode de paix, un pays excédentaire devrait monter des investissements de développement dans les pays déficitaires, mais cela demande un esprit de partenariat et de concorde. On en est loin !

Au lieu de cela, l’épargne mondiale sert à combler le déficit étasunien ! Et la consommation intérieure est trop faible. Mais cela est dû à une répartition de la valeur ajoutée de plus en plus défavorable aux travailleurs. On marche sur la tête !

Nous reviendrons dès la semaine prochaine et les suivantes, dans des articles ultérieurs, sur les six options pour développer les consommations intérieures lorsqu’elles sont trop faibles et sur les trois options économiques et sociales pour des pays déficitaires comme la France et l’Italie. Nous pourrons mobiliser quelques exemples sur les faux débats d’une part et sur les solutions solidaires d’autre part liées aux nouvelles marchandises technologiques (à l’instar de la voiture électrique) pour concrétiser notre propos. Nous allons également développer ces sujets dans des conférences en réunion publique et en formation.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir la fin de l’article qui montre que c’est le bas qui finance le haut : Combattre le nihilisme capitaliste qui dévaste le monde · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org).
2 Union européenne : puisque ça n’a pas marché, il faut accélérer dans la même direction ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org).
3 Michael Pettis est un chercheur senior américain à la Carnegie Endowment for International Peace et professeur à la Guanghua School of management de l’Université de Pékin. Il est conférencier sur la croissance économique mondiale et a publié deux livres chez Princeton University Press dont The Great Rebalancing ; Trade, Conflict, and the Perilous Road Ahead for the World.
4 Source : Remarks by Secretary of the Treasury Janet L. Yellen on Way Forward for the Global Economy | U.S. Department of the Treasury.
5 Voir la fin de l’article de Wukong sur La Chine, ce pays si mal connu · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org).
6 voir les articles de celui qui fut notre économiste, feu Michel Zerbato, sur le fait que l’Allemagne n’utilisera pas alors ses excédents pour diminuer les inégalités sociales : L’Allemagne ne paiera pas ! Même si on lui donne les clés du camion · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org), L’Allemagne ne paiera pas – 2 : L’impossible sortie de crise dans le cadre de l’euro de Maastricht · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org), Sommet de l’UE : l’Allemagne n’a pas payé ! · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org), Chypre : comment l’oligarchie européenne modifie de nouveau la nature de la zone Euro · ReSPUBLICA (gaucherepublicaine.org).