Comprendre la stratégie de guerre commerciale de Trump

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Image par Thomas Breher de Pixabay

Le 20e siècle a vu le lent recul de la livre sterling comme monnaie de réserve et la montée concomitante du dollar. Nous avons vu Nixon supprimer la convertibilité du dollar en or, prélude au capitalisme néolibéral libre-échangiste dès la fin des années 70 (1983 pour la France). Bienvenue dans le nouveau changement géopolitique avec la nouvelle phase du capitalisme : le National-Capitalisme Autoritaire (NaCA).

Les prémisses du nouvel ordre mondial

Les deux grandes puissances impérialistes s’y préparent depuis longtemps. Concernant les États-Unis, nous en avons vu les prémisses avec Clinton, Obama et Biden, mais sans rupture avec le monde précédent. Entre-temps, vu que, pour l’économie américaine il y a le feu au lac, c’est avec Trump que les États-Unis entrent de plain-pied dans le NaCA.

 S’agissant de la Chine, qui partait de plus loin, la rupture s’est faite dans le cadre de l’administration de Deng à la fin des années 70, avec l’entrée dans le capitalisme mondialisé, en devenant l’usine du monde, et avec Xi dans la décennie précédente pour la préparation de l’affrontement économique sino-américain.

Au sujet des États-Unis, la structuration du nationalisme chrétien augustinien indispensable comme ciment idéologique, la fuite en avant du capitalisme libertarien comme déverrouillage des freins au capitalisme et la mise en place d’une oligarchie directement économique au pouvoir politique, ont déjà été étudiées dans les colonnes de ReSPUBLICA. Quant à la Chine, Wukong a expliqué le fonctionnement singulier du système politique chinois mélangeant l’autoritarisme du parti communiste chinois (avec un fonctionnement complexe à 5 niveaux et 100 millions de membres) et ses débats politiques internes importants avec une forte concurrence décentralisée de l’économie chinoise.

L’Union européenne : de contradictions en faiblesse organisée

L’Union européenne (UE), engoncée, contrairement aux autres puissances du monde, dans un ordolibéralisme allemand supplémentaire qui a surtout profité jusqu’à la guerre d’Ukraine à l’Allemagne, est devenue un marché de consommation important, mais n’a pas été en mesure de développer une autonomie économique de production indispensable pour toute structure puissante. Louis Gallois dit très justement dans Marianne : « La gouvernance à 27 ne répond pas à l’ampleur des défis ». Nous pourrions ajouter que nombre d’articles des traités et certaines directives de l’UE peuvent aussi être convoqués pour montrer au moins une co-responsabilité de l’UE (et des dirigeants des pays de l’UE) à son retard économique.

 Le résultat est un retard important dans la recherche, dans les secteurs à forte valeur ajoutée, dans de nombreux secteurs industriels, etc. Et l’UE va vivre un recul sans précédent de son école, de ses services publics et, pour la France, de sa Sécurité sociale. L’UE et les hiérarques nationaux ont permis aux oligarques et à la grande bourgeoisie de bénéficier d’un ruissellement de bas en haut de la hiérarchie sociale pour leurs dividendes et revenus et vont permettre l’augmentation demandée par les va-t’en guerre pour les budgets de la défense. Et, bien sûr, rien pour les besoins sociaux des citoyens des pays européens. Ce sera haro sur les dépenses publiques sans débat démocratique. N’oublions pas non plus que l’UE a accepté que l’OTAN rompe avec le droit international dans ses bombardements lors de la guerre civile dans l’ex-Yougoslavie à la fin du siècle dernier, ouvrant la possibilité à la Russie de faire de même ultérieurement.

Trump II et le MAGA : face à la baisse tendancielle du taux de profit

Pour comprendre le pourquoi de ce que Trump a appelé « the liberation Day », il faut comprendre la situation de l’économie étatsunienne. Pour cela, il faut partir du constat que l’on ne peut pas continuer ad vitam aeternam de financer l’économie par de la dette. Une dette peut être nécessaire pour initier un processus économique permettant de réaliser des investissements importants de moyen et long terme afin de lancer une construction économique, mais il n’est pas possible de fonctionner éternellement sur la dette pour financer de plus en plus le fonctionnement du pays.

Ensuite, il est nécessaire d’avoir conscience que la baisse tendancielle du taux de profit moyen est une réalité dans le monde capitaliste développée depuis les années 70. En général, ce sont les classes populaires qui payent le prix de cette dette par les politiques d’austérité et par la montée de l’autoritarisme politique si les classes populaires s’y opposent. Pour les États-Unis, la dette est financée par l’achat de titres américains (à l’instar de bons du trésor(1)Largement détenus par la Chine d’ailleurs.) et par le fait que le dollar est devenu la monnaie de réserve (60 % des actifs des banques centrales). Malgré cela, sa balance commerciale se dégrade avec tous les pays du monde développé. Avec la Chine, il est possible que les États-Unis soient pris au « piège de Thucydide » en tant que puissance dominante voulant entrer en guerre contre la puissance émergente chinoise. Déjà, la Chine a dépassé les USA en PIB en parité de pouvoir d’achat (PIB/ppa).

Trump II et le MAGA : l’outil des taxes douanières à géométrie variable

Trump II s’est donc fait élire en promettant de mettre en place des droits de douane d’au moins 10 % en moyenne pour les importations étatsuniennes. En fait, il a démarré avec des taux démentiels début avril. Mais un début d’effondrement boursier a eu lieu, principalement dû à la vente réalisée par plusieurs pays asiatiques, dont la Chine, de leurs avoirs en titres américains. Ces titres se sont effondrés et les Américains ont dû faire face à une augmentation des taux insupportables pour l’oligarchie étasunienne. Voilà pourquoi Trump II a dû revenir en arrière en offrant aux pays qui souhaitent un accord avec les États-Unis un répit de 3 mois en baissant fortement les tarifs douaniers. Mais la bataille financière n’est pas terminée, car, aujourd’hui, il reste environ une moyenne de tarifs douaniers de 19 % sur les importations aux États-Unis. Soit les 10 % qu’il a promis durant la campagne et 9 % en moyenne sur ce qui reste (145 % pour la Chine, l’acier et l’aluminium, le Mexique à 25 %, etc.). Trump II a engagé plusieurs dizaines de discussions bilatérales (notamment avec l’UE). Il va essayer, en plus, de modifier la balance commerciale, en demandant aux pays d’acheter plus de produits étatsuniens. Nous verrons donc fin juin le résultat de cette discussion.

Trump II : bras de fer avec la Chine

Face au taux de 145 % concernant l’entrée des marchandises aux États-Unis, la Chine a riposté avec un taux de 125 % pour l’entrée des marchandises sur son territoire. Elle a ajouté une mise sous licence des exportations des terres rares indispensable aux GAFAM et aux appareils électroniques, dont elle produit 70 % de la production mondiale et 90 % du raffinage. Les États-Unis ont dû exempter les fournitures pour smartphones de droits de douane à la demande des GAFAM. Là aussi, attendons quelques mois pour faire le bilan.

Trump II : dollarisation de l’économie mondiale

Mais ce n’est pas tout. Il est à noter que Trump II veut également augmenter la dollarisation de l’économie mondiale, ou tout du moins freiner son recul, en utilisant des cryptomonnaies adossées au dollar (stablecoins). Les cryptomonnaies sont en général des structures privées extérieures aux banques et qui les concurrencent. Là aussi, rendez-vous est donné pour voir si le développement des « stablecoins » se poursuivra au détriment d’autres financements dans le monde.

Il faut comprendre que les USA sont en surconsommation (68 % du PIB) et que leur position financière extérieure (ou bilan net des investissements internationaux) est largement négative. Comme la dette américaine est largement portée par des non-américains, son accroissement devient une vulnérabilité très forte pour les États-Unis. Car, si pour retenir les capitaux étrangers, il est nécessaire d’augmenter les taux d’intérêt, la conséquence est la baisse immédiate de l’activité économique du pays. Deux choses peuvent être terribles pour les USA :

  •  le risque d’inflation qui vient de démarrer, largement contré par les actions de refus de baisse des taux de la Réserve fédérale de Jérôme Powell,
  • la difficulté à baisser suffisamment la valeur du dollar pour mettre fin au déséquilibre commercial grandissant des États-Unis et réindustrialiser le pays. Le problème est que ces deux actions sont contradictoires.

Trump II réussira-t-il à baisser la valeur du dollar ?

Depuis son investiture, le dollar s’est déprécié par rapport aux grandes devises mondiales. L’euro, qui s’échangeait à 1,04 dollar le 20 janvier dernier, s’échangeait à 1,14 dollar le 15 avril. C’est très bon pour les exportations des États-Unis vers l’Europe, moins bon pour les exportations européennes vers les USA. Mais si les taux baissent, l’attrait du dollar pour les investisseurs étrangers diminue et les États-Unis ont besoin de financer leur dette colossale. Pour l’instant, le niveau du dollar est trop haut par rapport au niveau de son économie. Mais le patron de la Réserve fédérale américaine préfère garder des taux plus élevés pour lutter contre l’inflation générée par les droits de douane élevés de Trump II.

L’objectif de Stephen Miran, conseiller financier de Donald Trump, est d’utiliser les accords bilatéraux que des dizaines de pays ou d’union (comme l’UE) doivent négocier avec les États-Unis au cours des mois d’avril, mai et juin pour acheter américain et pour intervenir sur les marchés afin de dévaluer le dollar.

La Chine, en revanche, a les moyens de répliquer, car la banque centrale chinoise, dépendante de l’exécutif, fixe chaque jour un taux de référence avec une marge de fluctuation de 2 %.

Franck Dedieu, directeur adjoint de la rédaction de Marianne, rappelait que « sur la foi des savants calculs de l’OFCE effectués en 2019, un recul de 10 % du dollar dope les ventes américaines à l’étranger de 4 % et réduit les achats de 3,3 %. » Le pari de Stephen Miran quant à la réindustrialisation par la dévaluation du dollar demande au mieux un temps long difficilement compatible avec des élections aux États-Unis à l’automne 2026.

Autant dire qu’il nous faudra revenir sur ce sujet où l’on voit l’administration Trump II mener des politiques contradictoires et que la guerre commerciale n’aura rien à envier en termes de catastrophe à la guerre tout court. Voilà pourquoi nous devons développer une éducation populaire refondée pour que les citoyens comprennent les enjeux sociaux, économiques et écologiques de façon holistique.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Largement détenus par la Chine d’ailleurs.