Éducation et école publique laïque : sortir du déni

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Cartographie de l'indice de position sociale des écoles et collèges (France métropolitaine et DROM) - data.gouv.fr

« Partir du réel pour aller à l’idéal » ou « « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » Le courage c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel », affirmait Jean Jaurès. Partons du constat de la situation réelle dans laquelle a été mis notre système éducatif par de multiples réformes depuis les années 1960 avec, dans un premier temps, la loi scélérate dite Debré qui a consacré un système à deux vitesses.

L’éducation : un rôle central

Dans une République, notamment laïque, la question de l’éducation est centrale, voire vitale. Spinoza, confirmé par la suite par Condorcet, affirmait que la démocratie pouvait souffrir d’une faiblesse due au manque de rationalité des individus qui la composent, mus davantage par la peur des sanctions que par l’adhésion aux principes démocratiques. Tant que l’obéissance extérieure prime sur « l’activité spirituelle intérieure », la démocratie court le risque de s’affaiblir.

Pour éviter ce délitement, Spinoza accorde une place fondamentale à l’éducation : elle doit viser non seulement l’acquisition de connaissances générales, mais également la connaissance de soi, de sa nature profonde et le développement de la rationalité. Cette dernière permet aux individus de distinguer parmi tous les désirs ceux qui les grandissent, augmentent leur puissance de vie et finalement conduisent vers la joie et les désirs qui les diminuent et affaiblissent la puissance de vie et conduisent vers la tristesse. Cette raison universelle permet ainsi de repérer et d’écarter les passions tristes, comme la colère, l’envie, la jalousie, et renforce la démocratie qui devient plus fervente et solide en s’appuyant sur des citoyens conscients et éclairés.

Pour sortir du déni, il ne s’agit pas de tomber dans le catastrophisme, car il se passe des choses extraordinaires dans les écoles, collèges et lycées publics grâce notamment à l’implication des enseignants et malgré le manque de moyens humains et matériels. Mais il faut bien reconnaître que quelques phénomènes délétères émergent.

Egalité vs égalitarisme

Il y a déni de la part du pouvoir, de certains partis de gauche pour éviter de traiter le fait, notamment dans les collèges considérés comme le ventre mou du système éducatif, que des cours ne sont pas assurés et que le niveau se dégrade. L’égalité, grand principe républicain, est dévoyée et transformée en égalitarisme vers le bas. L’affaiblissement généralisé du niveau intellectuel et culturel se fait au profit d’une élite alors que ce devrait être une « aristocratisation » de toutes et tous, à savoir une hausse généralisée du niveau intellectuel et culturel. La réalité montre l’approfondissement du fossé entre les couches populaires défavorisées et les couches favorisées.

Entrisme de l’intégrisme religieux

L’offensive et l’entrisme de la part d’islamistes radicaux ou intégristes qui manipulent une partie des élèves, pour l’instant minoritaires, mais très influents dans certains secteurs, visent à tester la réaction des responsables éducatifs quant au port de signes religieux plus qu’ostensibles. Il est donné des stratégies aux élèves sous emprise pour affirmer ou prétendre que ces signes ou vêtements n’ont aucun caractère religieux. La faiblesse de la loi de 2004, pourtant utile, réside dans le mot « ostensible » concernant l’interdiction de signes religieux. A partir de quelle taille, de quel moment le signe est-il ostensible ? Il eut été plus simple de gérer le port des signes religieux si à la place de « ostensible » avait été utilisé le terme « visible ».

Le vêtement est la partie émergée de l’iceberg, mais le plus problématique est sans doute la contestation des faits scientifiques ou historiques, notamment ceux qui entrent en contradiction avec les textes dits sacrés et leur interprétation par des imams intégristes. Le refus de certains cours ou du sport fait également problème.

Toutefois, ces phénomènes, si on considère l’ensemble du système éducatif, sont encore marginaux même s’ils font la une. Pour autant, la vigilance et des réactions proportionnées s’imposent pour éviter leur généralisation qui provoquerait une atmosphère peu propice aux études dans un cadre serein.

Sociologie du monde enseignant

La sociologie de la profession enseignante s’est transformée, en partie par la féminisation. Du temps des « hussards noirs de la République », le salaire constituait le revenu essentiel du couple. De plus, issus des classes populaires, ils étaient proches du peuple et avaient conscience d’un destin commun avec lui. C’est encore le cas aujourd’hui, mais ce sentiment est amoindri par le fait que souvent la professeure est mariée à un cadre supérieur et son salaire pour partie n’est considéré que comme un revenu complémentaire. Ceci peut expliquer en partie des mobilisations pour la défense du service public sans rapport avec celles des années 1960 à 1980, beaucoup plus suivies et importantes.

Des parents consommateurs de services

Les attentes des parents se sont transformées. Par la puissance de l’idéologie néolibérale, ils sont devenus consommateurs d’un service très éloigné de la mission de l’Éducation nationale : former certes des producteurs employables sur le marché du travail, mais également former des citoyens libres et éclairés sans lesquelles la République est faible et s’écarte de son caractère social et démocratique selon les termes de la Constitution. L’État libéral a abandonné sa mission qui est, selon un député de IVe ÉRépublique s’adressant au groupe centriste au tropisme clérical bien ancré – je le paraphrase : « Le seul devoir de l’État à l’égard de tous les enfants, le seul devoir du père (aujourd’hui, il dirait des parents) à l’égard de ses enfants est de leur donner une instruction qui leur permette de se forger sa propre opinion, ses propres convictions et non de les conformer à des dogmes religieux, à des idéologies politiques ou économiques. »

Sécession des élites et écoles privées

La sécession des « élites » d’avec les classes populaires et la ségrégation spatiale forte notamment dans les zones urbaines est confortée par la loi Debré qui saborde l’esprit et la lettre de la loi du 9 décembre 1905 en assurant par l’État le financement sur fonds publics des établissements privés (à 90 % confessionnels et notamment catholiques). Pourtant, la Constitution affirme que la mission de l’État est d’organiser un service public de l’éducation. Or, non seulement, il organise une dualité éducative, mais en plus il assure, par élève, plus d’aides nationales au privé qu’au public. A cela s’ajoute le fait que les collectivités territoriales n’hésitent pas financer les établissements privés.

Si, à ce jour, c’est le privé catholique qui domine, pointe à l’horizon l’émergence de privé confessionnel judaïque et surtout musulman. Si les responsables politiques voulaient renforcer la fracturation de notre société en communautés sur des bases religieuses, ils ne s’y prendraient pas autrement. Quoi de mieux que de commencer par les enfants ? D’ailleurs, en arrière-pensée, ces promoteurs et défenseurs d’un ordre social néolibéral ne se satisfont-ils pas d’une société divisée en communautés religieuses et/ou ethniques pour éviter la convergence des luttes sociales sur la base du primat des luttes de classe entre les détenteurs de capitaux et les travailleurs. L’école privée facilite le contournement de la carte scolaire, l’entre-soi et la reproduction sociale dans ses inégalités. C’est une énorme épine dans l’esprit laïque et égalitaire de la République, un véritable poison antirépublicain. S’il est un séparatisme à combattre, en plus de l’intégrisme, c’est bien celui-là. En effet, le séparatisme religieux se nourrit des inégalités.« Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. »

L’État, en finançant l’école privée qui ne joue pas le jeu de la mixité sociale et en organisant l’affaiblissement de l’école publique suite à quelques décennies de vaches maigres, favorise la ghettoïsation des établissements publics. L’école privée, les statistiques le montrent, drainent en priorité les élèves les plus favorisés. Il est de notoriété publique que les établissements privés choisissent leurs élèves en fonction des remarques et des notes sur le bulletin. Ils surfent ainsi sur le taux de réussite aux examens oubliant de signaler le nombre d’élèves qu’ils ont écartés entre la seconde et la terminale parce qu’ils n’avaient aucune chance.

Un indice qui permet de cerner l’absence de mixité sociale

En juillet dernier, l’Etat a été contraint, par le tribunal administratif de Paris, de rendre public l’indice de position sociale(1)L’IPS est l’indice de position sociale des élèves, outil de mesure quantitatif de la situation sociale des élèves face aux apprentissages dans les établissements scolaires français. La même analyse peut se vérifier dans les autres régions françaises sur data.education.gouv.fr des collèges publics et privés. Cet indice confirme la remarque ci-dessus : le secteur privé réduit à néant l’objectif de mixité sociale à l’école. L’appartenance sociale des habitants d’un territoire détermine la présence d’établissements privés. (Voir l’article du Monde du 8 novembre 2022.)

A Paris la moyenne de l’IPS, public et privé confondu, s’élève à 121,7. Seuls 17,2 % des collèges privés disposent d’un IPS inférieur à la moyenne contre 63 % des collèges publics. Les indices les plus faibles correspondent aux établissements accueillant les élèves les plus défavorisés, et les plus élevés concernent les classes sociales, économiques et culturelles des collèges les plus privilégiés en général privés. Mon expérience, en tant que directeur d’école élémentaire publique, m’a montré que, dans un secteur à l’IPS faible, le collège public obtenait des scores aux tests au-delà de ce qui était attendu. Cela pour rappeler que les équipes enseignantes du public parviennent à atteindre des niveaux supérieurs à ceux attendus malgré les contraintes.

Le cliché de la méritocratie a du plomb dans l’aile

Le cliché largement répandu est celui de la, supposée et non démontrée, nécessité de la concurrence pour faire émerger et repérer les plus « méritants ». De fait, la réalité montre clairement que les règles de la compétition scolaire sont biaisées et servent à trier et repérer les plus riches qui sont préemptés, car supposés être les « gagnants » légitimes. Les études PISA indiquent un phénomène qui devrait être combattu par notre République dite sociale et démocratique : la corrélation extrême et la plus marquée par rapport à d’autres pays de l’OCDE entre le statut social des parents et la réussite scolaire. Le déterminisme social influe fortement sur les parcours scolaires en France alors que notre système éducatif devrait y remédier.

Cela indique que la voie républicaine de sortie de la crise éducative par le haut est de mettre fin à cette compétition faussée et de la repousser au niveau universitaire. Comme le propose Marie Duru-Bellat, Il faut accepter de « différer toute logique de compétition pour s’efforcer d’assurer à toutes et tous une éducation facteur d’émancipation, d’intégration et de justice. »

Quelle école ? L’exemple finlandais où règne la sérénité

La réalité du dualisme scolaire public/privé montre la réticence des établissements privés à intégrer la nécessité de la mixité sociale. Quand s’ajoute dans ces mêmes écoles privées un projet éducatif fondé, pour les écoles catholiques, sur les Evangiles, en contradiction avec le devoir de neutralité de l’État qui ne doit financer aucun culte, se pose la question de l’arrêt du financement public de ces écoles qui ne jouent pas le jeu de l’égalité républicaine et de la neutralité religieuse en contournant la carte scolaire et en écartant les élèves les plus défavorisés.

L’exemple finlandais devrait nourrir notre réflexion pour construire ou reconstruire une école républicaine. L’école de ce pays privilégie la valorisation des réussites plutôt que la sanction des échecs, écarte le classement et la concurrence entre individus ou entre établissements et renonce aux notes stigmatisantes, aux redoublements qui s’avèrent inefficaces et aux relégations dans des filières déconsidérées.

Cela est corroboré par toutes les études sur les motivations. L’évaluation individuelle obère l’efficacité d’un groupe qui repose sur la coopération. En outre, cette obsession de la performance individuelle engendre des rivalités délétères, peut dresser les élèves les uns contre les autres.

Dans une recension de l’ouvrage de J. Généreux, La déconnomie, l’auteur développe cinq conditions pour que se déploie une intelligence rationnelle :

  1. L’intelligence est une fonction non automatique dont la mobilisation exige un acte permanent de volonté. Cet acte nécessite une volonté collective de transmettre à chaque génération un authentique désir d’intelligence.
  2. Assigner à l’éducation la mission de donner aux élèves du primaire le goût, la jouissance, le plaisir du questionnement, de la discussion, de la découverte, de l’émulation ludique non plus pour le simple espoir de gagner, mais pour le plaisir du jeu. Ce désir de comprendre pour comprendre doit devenir assez puissant pour qu’il ne soit pas dominé les biais cognitifs de la pensée réflexe, par les affects qui visent les honneurs, la réussite sociale, le pouvoir pour le pouvoir.
  3. L’éducation secondaire et supérieure doit, en prenant le relais, exercer l’esprit à la méthode du raisonnement intelligent par l’étude des grands auteurs, des grandes controverses, de l’épistémologie (l’étude des sciences ou de la connaissance au sens large) et la pratique intensive de la discussion argumentée entre pairs. La transmission ne doit pas se résumer à transvaser des connaissances du cerveau des maîtres vers celui des élèves, car notre cerveau a besoin des professeurs, de l’école pour apprendre à raisonner et pour chercher ou traiter des informations.
  4. L’intelligence est malmenée par le stress de la compétition et le danger en général et celui induit par les pratiques du new management. Elle a besoin de sérénité et de temps ; c’est une pensée lente tendue vers la connaissance, pour le plaisir de la connaissance.

Il en est de même de la motivation indispensable à un parcours scolaire performant. Nous savons que la motivation se décompose en deux catégories :

  • les motivations intrinsèques qui concernent tout ce qui procure des satisfactions, indépendamment de toute récompense, menace ou contrainte externe. Il s’agit de la valeur que revêt l’activité en elle-même, le sens et l’intérêt du travail,
  • les motivations extrinsèques qui concernent les incitations produites par des tiers comme la notation, la pression trop forte de la société, des parents, des enseignants, la peur du redoublement.

Une réflexion sur ce sujet de la motivation et du fonctionnement de l’école s’impose. Des systèmes comme celui pratiqué en Finlande, dont les résultats élogieux aux tests PISA peuvent nous servir pour refonder une école émancipatrice et libératrice et abandonner un système à deux vitesses réservant le privé aux enfants favorisés et le public aux autres.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 L’IPS est l’indice de position sociale des élèves, outil de mesure quantitatif de la situation sociale des élèves face aux apprentissages dans les établissements scolaires français. La même analyse peut se vérifier dans les autres régions françaises sur data.education.gouv.fr