La tension Chine-Taïwan s’amplifie dans la vie politique intérieure de Taïwan

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Alors que les médias dominants occidentaux ne parlaient que des « punchlines » des protagonistes et des manœuvres militaires chinoises autour de l’ile de Taïwan, ResPublica a rapporté les faits au plus près de la réalité vécue dans Taïwan(1)Voir notre précédent article « Nouvelle rubrique asiatique dans ReSPUBLICA ».. Le parti indépendantiste DPP a donc conservé la présidence du pays, mais a perdu la majorité au Parlement au profit d’une alliance du KMT (ancien parti unioniste chinois, le Kuomintang, de Chiang Kaï-Shek) avec le TPP (Parti du peuple taïwanais) qui, elle, est favorable à des compromis notamment économiques avec la Chine. Avant même que la séance parlementaire soit ouverte le vendredi 17 mai 2024, sous la pluie, des députés du DPP attendaient dehors l’ouverture de la séance pour demander une révision de l’ordre du jour prévue par la nouvelle majorité parlementaire (ordre du jour visant à augmenter les pouvoirs du parlement face à la présidence).

Une bataille physique eut lieu dans l’hémicycle ; le correspondant du journal Le Monde nota « certains députés, debout sur les tables, s’empoignant les uns les autres comme sur un ring de catch, ou se donnant des coups de torse pour tenter d’empêcher le président du Parlement, Han Kuo-yu (KMT), d’atteindre son siège […] ». Pour comprendre cela, il faut noter que le parti du peuple taïwanais (TPP) de Ko Wen-je, ancien maire de la capitale Taïpei, a fait campagne autour du primat de la réforme du Parlement pour faire de ce parlement un parlement avec des pouvoirs équivalents à ceux dans les pays démocratiques occidentaux (en matière de propositions des lois, de contrôle de l’exécutif ou d’enquêtes parlementaires). Le DPP indépendantiste avait mobilisé également plusieurs dizaines de milliers de manifestants devant le Parlement au même moment que les coups pleuvaient dans l’hémicycle.

Puis, le lundi suivant, ce fut le discours d’investiture du président Lai Ching-te que la Chine a prise pour une déclaration favorable à l’indépendance, car Lai-Ching-te a déclaré que ni la République populaire de Chine (le pays qui est membre permanent du Conseil de sécurité) ni la République de Chine (Taïwan) n’avait l’ascendant l’un sur l’autre.

Les partis majoritaires au Parlement veulent voter au cours de cette session une infraction « d’outrage au Parlement » pour sanctionner les fonctionnaires peu enclins à coopérer lors des enquêtes législatives. Le mot d’ordre des majoritaires du parlement est qu’il faut rendre le pouvoir au peuple avec plus de pouvoirs au parlement pour lutter contre la corruption. Les partisans du président Lai-Ching-te rétorquent que ce sont des votes pour diminuer le pouvoir du président. Ils ont sans doute raison tous les deux ! Mais derrière ce conflit, le fond de l’affaire reste bien la tension montante entre la Chine et Taïwan et, in fine, entre la Chine et les États-Unis.

Il faut cependant noter qu’une fois passée l’investiture du président du pays Lai-Ching-te, les manifestations étudiantes et de la jeunesse en général ont repris force et vigueur retrouvant des formes que Taïwan avait connues en 2014 avec le « mouvement des tournesols» lancé par la jeunesse qui ne voulait pas de l’accord de libre-échange entre la Chine et Taïwan que souhaitait faire voter le Kuomintang, majoritaire à ce moment-là au Parlement.

Comment est-on passé du « mouvement des tournesols » en 2014 à la situation d’aujourd’hui ?

Après le succès de ce mouvement en 2014, de nouveaux partis ont été créés avec une volonté de transformer la vie politique du pays. Ainsi est né le Parti du nouveau pouvoir (NPP), le Parti social-démocrate (SDP), le Parti Vert (GPT), le parti des mamans taïwanaises (Obasang Political Equality Party). Ces partis ont eu quelques succès brillants aux élections suivantes. Mais ces partis de gauche ont attrapé le même virus que la gauche occidentale en privilégiant les questions sociétales et identitaires au détriment des questions économiques et sociales. Ces trois partis ont alors décliné, comme a décliné Podemos en Espagne ou décline actuellement Die Linke en Allemagne. Et ce qui a amplifié leur déclin est bien sûr le mode électoral majoritairement uninominal à un tour comme en Grande-Bretagne, un mode qui favorise les grands partis implantés.

Comme le dit Inside Taïwan,

Les petits partis ont plutôt tendance à concentrer leur campagne sur les 34 sièges déterminés par la représentation proportionnelle pour les partis qui obtiennent plus de 5 % des voix. Leur déclin est également visible dans la manière dont la part de voix des partis alternatifs est passée d’environ 10 % en 2016 et 2020 à seulement 4,41 % en 2024. 

Une troisième raison est que plusieurs leaders du « mouvement des tournesols » ont rejoint les deux principaux partis DPP et KMT et même le TPP, lesquels se sont quelque peu transformés sur le fond. Et le TPP a également transformé sa campagne médiatique en utilisant les supports que toute la jeunesse du monde utilise (Instagram et surtout TikTok) ! Comme le rapporte encore Inside Taïwan, le leader du TPP, Ko-Wen-je, a même promu Lai Hsiang-ling issu du mouvement ouvrier, ce qui a été très profitable pour le TPP. La quatrième raison est le fait que ces partis de gauche ont été incapables de se fédérer et sont alors devenus moins crédibles. Ainsi va la gauche sociétale estimant que celui qui est le plus proche est l’adversaire principal !

Sur quoi portent les litiges au sein du Yuan législatif ?

Quel avenir pour Taïwan ?

La bataille parlementaire porte sur la volonté de la majorité parlementaire :

  • de rendre obligatoire un discours sur l’état du pays du président du pays devant le Parlement avec un moment de questions-réponses ;
  • de permettre au parlement de faire des enquêtes parlementaires et des auditions ;
  • de sanctionner la non-acceptation des enquêtes parlementaires ;
  • de rendre publics les votes pour les nominations à des postes clés (et les candidats nommés seraient passibles d’amendes pour fausses déclarations).

La bataille a fait rage dans l’hémicycle. Pour les députés du DPP, les procédures de vote ne sont pas toutes appliquées.

Et pendant ce temps-là, les manifestations des groupes civiques et de la jeunesse, soutenues par le parti présidentiel du DPP, se développent dans toute l’île, premièrement à Kaohsuing, la deuxième ville du pays, mais également dans d’autres villes.

Comme il a été dit plus haut dans cet article, la surdétermination de la nouvelle géopolitique mondiale pèse de plus en plus lourd sur la vie politique interne de Taïwan.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Voir notre précédent article « Nouvelle rubrique asiatique dans ReSPUBLICA ».