L’élection législative en Grèce La droite victorieuse… sur le champ de ruines de la gauche radicale !

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FocalPoint, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Comme pour la Turquie une semaine auparavant, les sondages se sont lourdement trompés sur les élections législatives grecques du 21 mai dernier. Le Premier ministre de droite Kyriakos Mitsotakis a remporté une large victoire, frôlant la majorité absolue parlementaire avec 41 % des voix exprimées. Il écrase le parti Syriza d’Alexis Tsipras, ancien espoir déçu de la gauche radicale dans toute l’Europe, qui s’effondre à 20 %. La troisième place est prise par les socialistes du PASOK à 11 % qui reviennent, tels des zombies, du néant politique. Bien que légèrement en hausse par rapport au scrutin de 2019, la participation électorale ne dépasse pas les 60 %, ce qui dénote une lassitude, voire un dégoût… principalement à gauche de l’échiquier politique.

Ainsi, les « bleus » de la « Nouvelle Démocratie » ont obtenu 146 sièges de députés avec le système proportionnel. Il leur en fallait cinq de plus pour pouvoir former seuls un gouvernement, dans un parlement monocaméral à 300 sièges. Un nouveau scrutin sera organisé en application d’une réforme de la loi électorale, dite de « proportionnelle renforcée », qui donne un bonus allant jusqu’à 50 sièges au premier parti. Un nouveau scrutin devrait donc logiquement se tenir à la fin de ce mois ou tout début juillet. Car Kyriakos Mitsotakis, le chouchou du FMI, de la Banque mondiale et d’Ursula von der Leyen, veut gouverner seul pour appliquer une politique libérale brute de décoffrage. Les Britanniques qui connaissent bien la Grèce, l’ayant « chaperonnée » après la Seconde Guerre mondiale, ne s’y trompent pas. « C’est quelque chose de rarement observé, depuis la chute de la junte en 1974 », reconnaît le Guardian. Et de noter que même en Crète, le « bastion » de la gauche, Nouvelle Démocratie a fait « étonnamment bien », selon le quotidien britannique. Ainsi la droite, rejeton des « colonels grecs », renoue avec le passé de la réaction.

Trois impératifs catégoriques : privatisations, privatisations et privatisations

Le programme futur de Mitsotakis sera à coup sûr dans la continuité de sa politique qu’il applique depuis 2019, c’est-à-dire la liquidation des quelques acquis sociaux qui subsistent encore et surtout « la privatisation » complète ou presque de la Grèce.

En plus des coupes claires dans les pensions des retraités et de la liquidation de pans entiers de la fonction publique, la « Nouvelle Démocratie » va continuer son œuvre, c’est-à-dire la privatisation d’infrastructures lourdes du pays. Rappelons que le port d’Athènes, le Pirée, a été privatisé au profit du groupe chinois de transport maritime Cosco. Il en est de même du deuxième port, Thessalonique, tandis que d’autres ports régionaux, comme ceux d’Alexandroupolis et d’Igoumenitsa, vont suivre cette même voie… Il faut ajouter à cette liste de privatisations celles de 14 aéroports régionaux, raflés par le consortium allemand Fraport-Slentel et cette année celles de l’autoroute Egnatia (la plus longue du pays, reliant l’ouest de la Grèce à la Turquie) et des infrastructures de l’entreprise gazière DEPA… Seul le Parthénon résiste encore à la grande braderie. La privatisation des sites archéologiques et des musées grecs, « qui toucherait aux racines mêmes de l’identité grecque », a pour l’heure été différée… mais pour combien de temps ?

Bilan de la droite : des succès minuscules dans une récession permanente

Le bilan économique de l’actuel Premier ministre serait carrément « fabuleux »… selon l’agence américaine Bloomberg et l’ensemble des médias anglo-saxons. C’est une sorte de conte de fées, The Economist indique que le chômage baisse, la croissance revient à près de 6 % l’an dernier, les investissements sont de retour, la reprise « spectaculaire » du tourisme est là, etc. Tous les commentateurs anglais ou américains signalent que les difficultés pour « boucler les fins de mois » n’ont pas poussé les Grecs à sanctionner la droite dans les urnes. Bref, les électeurs auraient fait le choix rationnel de la stabilité. En fait, ces succès sont essentiellement dus au rattrapage post Covid-19, en particulier sur le plan de l’industrie touristique. Ce secteur d’activité, très fragile et volatile, est devenu le seul débouché en termes d’emplois.

Devenu une sorte de gigantesque Club Med, le pays continue sa descente aux enfers industriels. Car la part de l’emploi dans ce secteur, en pourcentage de l’emploi total, a chuté de 22 % en 2009 à environ 15 % en 2019 tandis que la part du secteur des services passait de 67 % en 2009 à 73 % en 2019. Sans d’autres horizons que d’être serveurs, femmes de ménage ou barmans, pour servir les Européens des classes moyennes supérieures en vacances, les jeunes quittent donc chaque année le pays par dizaines de milliers. Le fléau du chômage les touche particulièrement : le taux de chômage des moins de 25 ans dépassait les 36 % en avril 2022 tandis qu’en décembre 2009 il était de 29 %. Ce qui pousse une partie importante de cette jeunesse, surtout la plus diplômée, à émigrer : entre janvier 2008 et juin 2019, la Banque de Grèce estimait que plus de 427 000 citoyens avaient quitté leur pays alors que la population totale se situe autour de 11 millions d’habitants.

Oui, la Grèce est un pays qui va mal depuis une quinzaine d’années. Et la gestion de Kyriakos Mitsotakis depuis 2019 n’a en rien arrangé à la situation.

Oui, la Grèce est un pays qui va mal depuis une quinzaine d’années. Et la gestion de Kyriakos Mitsotakis depuis 2019 n’a en rien arrangé à la situation. Alors que le PIB de 2009 s’élevait à 237 milliards d’euros, il est tombé à 182 milliards en 2021. En conséquence, le niveau de la dette, en pourcentage du PIB, se maintient à un niveau toujours bien plus élevé que celui de 2009 : fin 2021, celui-ci était de 193 % du PIB tandis que fin 2009 il était de 127 % du PIB.

Alors, bien sûr, une question se pose : pourquoi les Grecs ont-ils voté à droite, malgré les échecs économiques, malgré la récente catastrophe ferroviaire de Tempi, qui avait fait 57 morts fin février dernier et qui démontre l’effondrement des services publics ?

Une rancune tenace contre Tsipras et ses bobos gauchisants et velléitaires

Le ressentiment du peuple grec contre Syriza est à la hauteur des espoirs immenses de 2015. Rembobinons le film des événements des années 2010. Frappée de plein fouet par la crise de 2007-2008, dite des « Subprimes-Lehman », la Grèce, confrontée à une spéculation infernale qui a fait monter les taux d’emprunt de la dette, s’est retrouvée en quasi-défaut de paiement au début de l’année 2010. La troïka (la Commission européenne, le FMI, la BCE) est intervenue et a conclu un accord en 2010 avec Giórgios Papandréou, le Premier ministre socialiste issu du PASOK. En fait, il ne s’agissait pas de « sauver la Grèce », mais plutôt de « sauver les banques » créditrices, qui depuis des années accordaient des lignes de crédits sans limites, qui pour les Jeux olympiques, qui pour des falsifications comptables pour intégrer l’Union européenne, ou encore pour de la pure corruption mafieuse.

La banque américaine Goldman Sachs s’était fait une spécialité dans la dissimulation de la situation financière grecque. La révélation de la véritable situation cloua le pays au pilori de la finance mondiale. En fait, les aides de la Troïka iront directement dans les caisses des banques créditrices, dont des banques françaises telles que la BNP par exemple, et qui feront « coup double » puisqu’elles conserveront les titres de la dette d’État grecque, sachant que les États (surtout membres de l’Union européenne) ne peuvent en dernière instance pas faire faillite. De 2011 à 2015, la troïka imposa plan d’austérité sur plan d’austérité qui saigna le pays à blanc. Devant ce cataclysme pour les couches populaires, un puissant mouvement anti-austérité se développa qui discrédita la droite mafieuse au pouvoir dans les années 2000 et les socialistes du PASOK qui, malgré un discours pseudo-progressiste, se couchèrent littéralement devant les exigences de la Commission européenne, du FMI et de la BCE.

Ainsi, l’espoir de la véritable gauche connut une résurgence. La coalition de gauche radicale Syriza, avec à sa tête Aléxis Tsípras, remporta les élections législatives de janvier 2015. Dans son programme, plusieurs mesures furent proposées pour sortir de la crise de la dette : suspendre son paiement, effectuer un audit pour évaluer la part qui était illégitime, appeler à la participation citoyenne et enfin décréter la fin du mémorandum d’austérité. Une semaine après l’arrivée au pouvoir de Syriza, la Banque centrale européenne bloqua brusquement la principale source de financement des banques grecques. Suivirent six mois de combat sans pitié entre la Troïka et le gouvernement de Tsipras. Il fut clair que pour le capitalisme occidental il fallait casser absolument la dynamique qui avait surgi à Athènes. Car le risque de contagion était important, tant au Portugal, en Italie ou ailleurs en Europe.

Après une énième négociation biaisée sur un soi-disant « plan d’aide » de la Troïka, Tsipras décida de passer enfin à l’action en convoquant un référendum. Le choix fut simple : si le oui l’emportait, Tsípras acceptait et l’austérité continuerait. Si le non s’imposait, Tsípras refuserait le projet. Nous étions dans la nuit du 26 au 27 juin 2015. Deux jours plus tard, les banques grecques furent fermées du fait d’un défaut de liquidités provoqué par la BCE. Malgré cela, le « oxi » (non en grec) l’emporta de manière massive avec plus de 62 % des suffrages exprimés. Le peuple grec exulta, tout lui sembla possible. Il déchanta trois jours plus tard c’est-à-dire le 9 juillet, car Tsipras capitula en rase campagne. Il envoya à Bruxelles un projet reprenant les principales préconisations de la troïka (coupe dans les retraites, dans la fonction publique, hausse de la TVA…). Pour beaucoup d’électeurs de Syriza le dégoût succéda à l’enthousiasme.

Malgré ses discours révolutionnaires, cette union de la gauche radicale se révéla être un groupe de velléitaires, sans charpente politique, idéologique et organisationnelle. La peur du vide, ou la peur tout court (n’oublions pas l’émergence de « nulle part », en fait des services secrets grecs et occidentaux, du groupe politique néo-nazi « Aube dorée » qui commença à menacer physiquement les dirigeants de Syriza), coupèrent les jambes d’une génération militante plus à l’aise dans les cocktails mondains dans les îles grecques branchées que sur le terrain du combat populaire. Pour s’en convaincre, il faut relire l’article de Libération, dont le titre évocateur était « Egine, l’île bohème des barons de Syriza » ! L’idéalisme béat, en particulier pro-européen, dominait dans les raisonnements contradictoires de Tsipras. Particulièrement cette chimère d’« Europe solidaire » qui n’a jamais existé sauf peut-être dans les songes fugaces d’un soir d’été bien arrosé sur les plages de sable blanc de la mer Egée.

À l’époque, notre journal ReSPUBLICA tira ce triste bilan : « La crise grecque de juillet 2015 a semblé donner un avantage décisif au capital financier mondialisé. “L’ordre règne à Athènes”, telle aurait pu être la formule résumant la défaite de juillet 2015 des peuples et des nations. Elle a eu lieu à la suite de la capitulation du premier ministre Tsipras, imposant à son parti Syriza le diktat du triumvirat FMI-Banque mondiale-Union européenne ». Tout était dit.

… Et maintenant la tragédie grecque continue

Cet épisode illustre, s’il le fallait encore, les responsabilités écrasantes des directions politiques du camp populaire en temps de crise paroxystique, en Grèce… ou ailleurs. Sortir de la dictature du capital est une entreprise très dangereuse. Elle exige de la volonté, de la cohérence, de l’organisation et du courage. Le choc d’Athènes de 2015 a révélé la vérité de Syriza… et le peuple grec ne veut plus entendre ses discours creux, sans rapport avec une quelconque action politique révolutionnaire. N’est pas Che Guevara qui veut !

Le peuple grec va donc continuer de souffrir sous le joug de la droite libérale, aux ordres du capitalisme mondialisé, comme après 1949 et l’échec de la révolution des partisans anti-nazis, ou comme après 1967 et le putsch des colonels. Le pays est confronté à l’inflation, aux coupes claires dans les prestations sociales, en particulier les retraites, à l’effondrement de la santé publique ou du système d’éducation. Il faudra bien des années pour que l’espoir renaisse du côté d’Athènes.