Il était une fois la Bolivie…
… gouvernée depuis 2006 par le MAS (mouvement vers le socialisme) et le très charismatique Evo Morales, président jusqu’en 2019, puis évincé par un coup d’État au lendemain de sa victoire à une quatrième élection consécutive. Un record qui a fait de ce syndicaliste des producteurs de coca, représentant d’un peuple indigène maltraité depuis des décennies, un symbole. Avec lui, la Bolivie se détache de ses liens avec les États-Unis et, conjointement à d’autres dirigeants latino-américains (Chavez au Venezuela, Correa en Équateur ou les Kirchner en Argentine), il entreprend l’intégration des peuples latinos au sein de plusieurs structures communes (l’Alba(1)Alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique., l’Unasur(2)Union des nations sud-américaines., la Celac(3)Communauté d’États Latino-Américains et Caribéens. ou Petrocaribes(4)Regroupement de pays d’Amérique latine sur un accord énergétique.). Les Boliviens en profitent : la pauvreté diminue (de 38,5 % à 11 % de 2006 à 2019), l’accès à l’eau et à l’énergie pour tous est facilité, le taux d’alphabétisation s’accroit, la couverture sociale et les retraites deviennent une réalité pour certains, les prix de carburants sont stabilisés. La Bolivie va mieux.
Un grain de sable, enfin plutôt un gros caillou, lancé par les États-Unis, va gripper la machine : le coup d’État organisé par l’extrême droite en octobre 2019 avec la complicité de l’OEA, dans le silence (habituel) de l’Union européenne. La sénatrice d’extrême droite Jeanine Áñez prend le pouvoir et assure une transition de 13 mois dans l’attente de l’organisation de nouvelles élections.
La droite et l’extrême droite, qui avaient bâillonné le MAS, pensaient alors pouvoir l’emporter sans encombre. Mais non : c’est Luis Arce, l’ancien ministre des Finances (2006-2017) de Evo Morales qui est élu. Les militants de gauche, en Bolivie et ailleurs, savourent cette victoire inattendue, mais leur joie durera peu. Le « caillou » a durablement enrayé la machine.
Le tournant
Très vite les relations vont s’envenimer entre l’actuel titulaire à la présidence de la République et « l’ex ». Morales, à qui on a volé « sa victoire » de 2019, prétend revenir aux affaires le plus vite possible.
Dès 2022, et ce, jusqu’à la veille des élections d’aout dernier, les Boliviens assistent à une sorte de show de téléréalité politique produit par le MAS : c’est d’abord Morales qui s’en prend au gouvernement Arce qu’il soupçonne d’œuvrer contre son retour politique. La majorité du parti se met en ordre de bataille pour Morales contre Arce. Mais une décision de justice dépossède Morales de son parti, et Arce en hérite. Les militants pro Morales et pro Arce en viennent aux mains. Entre temps, Morales est accusé d’avoir eu une relation avec une mineure de 15 ans alors qu’il était président, dont une enfant est née. Un ordre de capture est dirigé contre Morales qui se replie sur ses terres, entouré de ses partisans. Il est impossible de le déloger sans provoquer un bain de sang. Arce, de son côté, se dit victime d’un coup d’État(5)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/lactualite-de-lamerique-latine-durant-les-mois-de-mai-et-juin/7436308..
Pour pimenter cette joute politique, le « miracle économique » des années Morales tourne à la catastrophe et enfonce Arce. Affaibli politiquement, dépassé par la crise, il capitule et ne se représente pas à la présidentielle. Morales, inhabilité, appelle à voter nul.
Résultats du scrutin
Dans cette ambiance de déroute générale, l’opposition attend tranquillement de récolter les fruits du travail acharné qu’ont fourni Morales et Arce pour se disqualifier mutuellement. Et c’est du bon travail si l’on considère aujourd’hui les résultats des candidats de droite qui arrivent aux premières places des trois élections et totalisent à eux seuls 80 % des votes valides sur 4 millions de voix. Ils se partagent ainsi à la proportionnelle pour l’Assemblée et le Sénat la quasi-totalité des sièges.
Pour la présidentielle, Rodrigo Paz Pereira, candidat indépendant, mais sous pavillon du parti de droite démocrate-chrétien (PDC), fait 31,32 %, suivi du vieux briscard très à droite Jorge Quiroga Ramirez pour Alianza Libre (27,35 %) et de Samuel Doraia Medina pour Alliance unité (également à droite), qui fait 20,63 %.
Cinq autres candidats se partagent les 20 % restant, dont les deux candidats de gauche : le président du Sénat, Andronico Rodriguez, proche de Arce et de Morales, mais qui a pris ses distances durant la campagne, arrivé quatrième avec 7,76 %, puis, en sixième position, le candidat du MAS Eduardo Castillo (3,16 %).
Morales revendique quant à lui les votes nuls exprimés (20 %, soit 1 200 000 voix).
Second tour
Tous les sondages donnaient deux candidats de droite en tête, mais il s’agissait de celui qui est arrivé troisième, le puissant homme d’affaires Samuel Doria Medina, candidat trois fois et trois fois perdant contre Morales, et celui qui est arrivé second. La surprise vient donc de celui qui est arrivé en tête, Rodrigo Paz, qui n’était crédité au début de la campagne que de 2 % des voix par les enquêtes d’opinion…
Qui est Rodrigo Paz ? C’est le fils d’un l’ex-président (Jaime Paz Zamora de 1989 à 1993). Même si leur programme ne cadrait pas vraiment avec sa ligne politique, les membres du parti démocrate-chrétien ont accepté de porter cette candidature et celle à la vice-présidence d’un ancien policier exclu pour avoir dénoncé la corruption. Les deux ont mené une campagne très proche des Boliviens, parcouru des centaines de kilomètres à travers le pays, et séduit une large part de ceux qui se sentent exclus du système, dont certains votaient pourtant MAS depuis des années.
Le vainqueur du premier tour fera donc face au second tour à Jorge Quiroga, figure emblématique de la politique bolivienne, vice-président de la République en 1997 sous le dictateur Banzer, puis même président pendant 11 mois lorsque Banzer, atteint d’un cancer, démissionne. Quiroga s’était déjà présenté en 2005 contre Evo Morales. Son parcours et ses positions le classent à l’extrême droite, c’est d’ailleurs un proche de l’Argentin Milei ou de la Vénézuélienne Maria Corina Machado.
À l’issue de ce scrutin, Evo Morales exprime sa satisfaction et se dit content de sa stratégie… bien qu’il ne puisse plus s’appuyer sur l’Assemblée nationale ou le Sénat, où, dans la législature précédente, le MAS comptait respectivement 75 députés (sur 130) et 21 sénateurs (sur 36), du moins avant sa mésentente avec Arce. Et que le second tour de la présidentielle se joue désormais entre l’extrême droite et la droite (certes choisie sur une base plus sociale).
Réponse des Boliviens le 19 octobre prochain.
Notes de bas de page
↑1 | Alliance bolivarienne pour les peuples d’Amérique. |
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↑2 | Union des nations sud-américaines. |
↑3 | Communauté d’États Latino-Américains et Caribéens. |
↑4 | Regroupement de pays d’Amérique latine sur un accord énergétique. |
↑5 | https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/lactualite-de-lamerique-latine-durant-les-mois-de-mai-et-juin/7436308. |