L’exécution de Troy Davis cette nuit soulève, à juste titre, l’indignation. Son cas est exemplaire : malgré les doutes nombreux qui pèsent sur la thèse de sa culpabilité, la sentence a été non seulement prononcée mais encore exécutée. D’un côté le doute, de l’autre une certitude (dont on peut penser “raisonnablement” qu’elle est mal fondée) dont les effets sont meurtriers et irréversibles – dont les effets sont irréversibles parce que meurtriers. Le problème de la peine de mort est ainsi concentré de manière exemplaire et tragique. Mais un autre cas d’exécution capitale, contemporain de celui de Troy Davis, est peu, sinon pas du tout, commenté : celui de Lawrence Brewer. On l’apprend de manière subreptice, comme si son cas était honteux.
En écoutant France-Info ce matin, et en lisant l’article en ligne du Monde daté du 22 septembre à 6h08 , j’apprends, tout à la fin, qu’une autre exécution capitale a eu lieu au Texas quelques heures avant celle de Troy Davis : celle d’un membre du Ku-Klux-Klan, Lauwrence Brewer, condamné pour meurtre raciste. Une ligne ou deux pour la mort d’un homme, de sang-froid, sur sentence. Sans commentaire. Comme si cette exécution-là était sinon excusable, du moins compréhensible – ce que ne dit ni l’article, ni l’information parlée de France-info : juste un cas, dont on ne fait pas cas.
Cet autre cas, dont on fait si peu de cas, n’est probablement pas exemplaire – on ne parle pas de doute sur la culpabilité, et puis il s’agit d’un raciste blanc, qui, selon mes informations, a torturé sa victime et n’a pas regretté ses actes… : on pouvait bien y aller, non ? Or c’est ici qu’il faut rester ferme sur la condamnation de la peine de mort, ici, précisément dans ce genre de cas.
Je rappellerai une fois de plus le raisonnement de Condorcet.
Le principe de la peine de mort est condamnable car la peine est par sa nature même absolue et définitive, irréversible. Or une décision dont les effets sont absolus et irréversibles devrait être prise en vertu d’une procédure assurant une certitude absolue, sans aucun risque d’erreur même infime.
On me répondra que dans un cas (qui est très probablement celui de L. Brewer) où on a une entière certitude sur la culpabilité, on peut prendre une décision de cette nature… Mais Condorcet répondrait que la loi est générale : c’est donc la procédure (et non son application particulière à tel ou tel cas) qui doit donner une assurance de certitude absolue, pour tous les cas, existants et à venir. C’est pourquoi, si le cas de Troy Davis est exemplaire, celui de Lawrence Brewer est emblématique : ce qui rend la peine de mort condamnable en son principe n’est pas l’erreur commise sur tel ou tel, c’est qu’aucune procédure ne peut garantir qu’on ne commettra pas d’erreur. Il faut donc récuser la peine de mort parce que le risque d’erreur, fût-il infime, est nécessairement présent, parce qu’aucune procédure ne peut assurer qu’aucune erreur ne sera commise.
A Frédéric II, qui en 1785 faisait remarquer à Condorcet que la peine de mort peut se justifier dans les cas de meurtre horrible, Condorcet répondait que ce sont précisement ces cas qui emportent des risques d’erreur supplémentaires. Et de toute façon, toute possibilité d’erreur, à partir du moment où elle est redevable à la procédure même de la décision et non à la nature des choses, est une injustice. A fortiorilorsqu’on prononce la mort.
On ne doit pas condamner à mort un Noir innocent : cela est évident. Mais il faut dire aussi pourquoi on ne peut pas non plus condamner à mort un Blanc coupable, car pour le condamner on recourt à une procédure qui comporte nécessairement et généralement un risque d’erreur : le condamner c’est exposer chacun à ce risque. Cet article s’adresse aux adversaires de la peine de mort : il est bon et salutaire de s’émouvoir de l’exécution d’un Noir innocent ; mais c’est une faute de ne pas s’alarmer de l’exécution d’un meurtrier blanc tortionnaire et raciste.