ELECTIONS PRESIDENTIELLES EN ÉQUATEUR, CES HORS-LA-LOI QUI FONT LA LOI

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Daniel Noboa Azìn, président de l'Équateur (© Asamblea Nacional del Ecuador — https://www.flickr.com/photos/asambleanacional/53351748175/)

Au mois d’avril dernier, c’est dans un pays en état d’exception que les 13,7 millions d’Équatoriens se sont rendus aux urnes. Cet état d’exception a été prononcé par le président sortant, Daniel Noboa, qui, depuis des mois, au prétexte de combattre le narcotrafic, faisait appliquer « ses » lois et « ses » règlements. Pour cela, il s’appuyait sur l’armée et la police, et finit vainqueur de cette élection pourtant contestée. Le Président français s’est précipité une nouvelle fois pour féliciter avec chaleur Noboa, sans même évoquer les méthodes employées. Plus largement, cette élection pose le problème des « hors la loi qui font la loi », en Équateur ou ailleurs dans la région, sous l’influence néfaste de leur gourou Trump.

Contexte

Daniel Noboa, élu en octobre 2023 au terme d’une situation de crise, se représentait face à Luisa Gonzales pour le parti « Revolucion ciudadana », laquelle arrivait en tête lors du premier tour de l’élection présidentielle avec 44 % des voix, soit une différence de 0,17 sur le président sortant(1)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/equateur-elections-presidentielles-et-legislatives-le-milliardaire-qui-voulait-acheter-son-pays/7438044.. Le score promettait un deuxième tour très serré, et il l’a été. Tous les instituts de sondages donnaient Luisa Gonzales victorieuse, jusqu’aux enquêtes de sortie des urnes. Elle fut pourtant déclarée perdante avec une différence de 10 points (44/56).

Que s’est-il passé ?

Au plus haut sommet de l’État, tout a été organisé pour que ce scrutin n’échappe pas à un Noboa pourtant bien malmené dans les sondages. Le président en exercice décrète l’état d’exception à Quito et dans les six provinces du pays qui concentrent la moitié du corps électoral. L’état d’exception signifie la suspension d’un certain nombre de libertés : l’inviolabilité de domicile, le droit à la correspondance, la liberté de se déplacer et de tenir des réunions, le tout assorti d’un couvre-feu nocturne. La veille de l’élection, les militaires disposent donc de toute la nuit pour s’installer dans et autour des bureaux de vote, sans que personne ne puisse contrôler leur action avant, pendant, ou après le vote.

Violations de la loi

Or, la loi équatorienne est claire : un président en exercice ne peut exercer son mandat s’il devient candidat à sa réélection, et Noboa aurait dû céder ses prérogatives pendant toute la durée de la campagne électorale à la vice-présidente. Celle-ci, malgré ses recours en justice, n’a rien pu faire. C’est donc en toute illégalité que Noboa a décrété l’état d’exception.

En fait, Noboa était depuis longtemps un adepte de l’illégalité. En avril 2024, il avait envoyé les forces spéciales prendre d’assaut l’ambassade du Mexique(2)https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-monde/respublica-amerique/equateur-un-droit-international-a-tiroirs/7435877.. Les plus grandes démocraties européennes n’avaient même pas réagi à l’époque. Et un mois plus tard, Macron recevait très chaleureusement ce fossoyeur du droit international à l’Élysée.

Tricheur et autoritaire

En 2023, lorsqu’il succède à Guillermo Lasso, le jeune Noboa comprend très vite tout l’intérêt d’évoquer la lutte contre le narcotrafic pour asseoir son autorité et choisit, pour mettre hors d’état de nuire les mafias, d’ouvrir toutes grandes les portes de son pays aux militaires américains via un accord de coopération. À ces militaires viendront se joindre en mars 2025 des mercenaires de la société américaine Blackwater.

En vérité, le dispositif sert surtout à nourrir les réseaux sociaux. Les médias qui lui sont favorables narrent avec force détails la lutte implacable que mène Noboa contre les gangs locaux ou mexicains. Les résultats ne sont pourtant pas vraiment au rendez-vous : de janvier à février 2025, on compte 1300 homicides, soit + 40 % par rapport à la même période 2024.

Ce qui frappe, c’est la similitude de cet accord de Noboa avec les États-Unis, et la présence américaine en Colombie à l’époque de Ronald Reagan. En gros sur l’affiche, figure le combat contre le narcotrafic, mais le vrai ennemi, c’est toujours « les communistes ». Rien n’a changé. En Équateur, pour cette élection, l’adversaire à abattre n’était pas celui inscrit en haut de l’affiche, mais la « révolucion ciudadana » de Luisa Gonzalez.

La stratégie des autoritaires est la même : on transforme les personnels de sécurité (militaires, policiers ou mercenaires) en agents de propagande. Et le parti de « l’ordre », c’est aussi celui des dollars qu’on distribue comme Pablo Escobar en campagne électorale en Colombie pour s’assurer les votes des plus jeunes. Des méthodes de voyous.

Trump et les répliques

Noboa a gagné en utilisant la tricherie, l’autoritarisme et l’argent public, le tout sous le contrôle de la communauté internationale, dont les observateurs (OEA et Union européenne) ne relèvent que quelques injustices de traitement entre candidats, sans vraiment s’en scandaliser. On est en Équateur allons ! des petites irrégularités, ça peut passer !

Le nouveau président n’aurait pu agir ainsi sans l’appui indéfectible des États-Unis et la complicité des Européens, toujours plus alignés que jamais sur le non droit et cette forme de gangstérisme politique.

Or, le nouveau président n’aurait pu agir ainsi sans l’appui indéfectible des États-Unis et la complicité des Européens, toujours plus alignés que jamais sur le non droit et cette forme de gangstérisme politique. Noboa et certains de ses homologues sont les élèves besogneux de l’école « Mar-a-Lago » et de son professeur principal. Trump leur a appris à contester les institutions, à contester les médias indépendants, à contester les élections s’il le faut.

L’histoire est écrite, ce n’est pas un simple rêve. Tout commence à Washington, le 6 janvier 2021, lorsque les partisans du candidat perdant envahissent le Capitole. Le coup d’État est déjoué, mais son instigateur, Donald Trump, est aujourd’hui réélu à la présidence.

Première réplique au Brésil, le 8 janvier 2023 : le candidat perdant Bolsonaro, qui conteste le résultat, laisse ses partisans envahir l’Assemblée nationale, le Sénat, la présidence de la République et le tribunal suprême de justice. Le complot a été prouvé. Bolsonaro devrait être jugé.

Seconde réplique en Argentine, le 29 novembre 2023 : Milei est élu président. La tronçonneuse a symbolisé sa campagne, qui tronçonne aussi les mémoires et fait des militaires de la dictature des victimes !

Troisième réplique au Salvador, en avril 2024 : Bukele transforme son pays en prison internationale et devient ainsi le premier président marchand d’esclaves du 21e siècle. Le trafic de personnes est désormais légalisé.

Bolsonaro, Milei, Bukele, aujourd’hui Noboa, agissent comme des « clones » du président américain. Il s’agit dans tous les cas de « combattre le système », chacun dans sa spécialité : le putschiste, le révisionniste, le marchand d’esclaves, le destructeur des libertés fondamentales. Une même méthode : asseoir sa puissance sur des images. Des images que les réseaux sociaux permettent de démultiplier à l’infini, agissant bien plus efficacement que les porte-à-porte des militants de l’époque.

Quelle stratégie opposer à ces bulldozers médiatiques ? Que peuvent les partis traditionnels, les syndicats, les associations, contre ces gangsters de la politique ?

Complicité européenne, louvoiements sud-américains

D’autant que les pays démocratiques, qui devraient s’opposer fermement à ces pratiques, souvent se taisent ou louvoient. La servilité européenne est immense à l’égard des prédateurs de la démocratie, surtout quand ils ne sont pas de gauche, comme le Venezuela. Loin d’ignorer les nouveaux tyrans, ils se précipitent pour les recevoir, ou les consulter avant un sommet (Macron rencontrera Milei à Buenos Aires avant le G20).

L’Europe toujours s’accommode.

Les voisins d’Amérique du Sud aussi s’en accommodent, même ceux qui sont aujourd’hui gouvernés à gauche. L’Uruguay, le Chili et le Brésil ont félicité Noboa pour son élection, contrairement à la Colombie ou au Mexique. Il ne s’agit pas d’être désagréable à Trump au moment où se négocient les fameux droits de douane… L’Amérique latine de gauche n’est plus unie comme elle l’était sur des sujets qui touchent pourtant aux fondements de la démocratie.

Un mauvais signe pour toutes les gauches.