FLASH AMÉRIQUE LATINE : Nicaragua, Argentine et Venezuela

Une fois encore, l’actualité politique en Amérique latine a été riche pour le mois de février qui vient de s’écouler. Les médias internationaux s’en sont parfois fait l’écho, mais il nous semble important de traiter dans ReSPUBLICA l’actualité au plus près, même si elle est forcément un peu décalée, dans tous les sens du terme.

NICARAGUA : NOUVELLE INVESTITURE POUR DANIEL ORTEGA

Daniel Ortega et son épouse Rosario Murillo ont assumé leurs fonctions le 10 janvier, respectivement comme président et vice-présidente du Nicaragua. Nous l’avions vu lors d’un précédent article pour ReSPUBLICA, Daniel Ortega est aujourd’hui loin de faire l’unanimité auprès des médias internationaux. Dictateur pour les uns, victime d’une tentative de coup d’État pour d’autres.

Les médias condamnent sans même donner la parole aux accusés, les politiques avalisent : c’est ainsi que le monde du XXIe siècle ronronne, ou du moins le petit cercle médiatico-politique censé dénoncer les atteintes à la démocratie et aux droits de l’homme.

Sa prise de fonction a donné lieu à une importante couverture médiatique, d’autant qu’un ex-guérillero Hugo Torres est décédé en prison les jours qui ont suivi la cérémonie. Pourtant la plupart des médias internationaux ont soigneusement évité d’aborder la question de l’origine de la révolte de 2018 dans ce pays qui ne faisait avant guère parler de lui. Aucun des fins limiers de l’investigation journalistique ne s’est penché sur le pourquoi ni le comment, et encore moins le financement de ce soulèvement dit « populaire ». Quant aux chancelleries, elles se sont contentées de relayer ce que racontaient les médias en question (c’est d’ailleurs ce qu’elles font désormais dans la plupart des cas). La France n’a pas fait exception et son ministre des affaires étrangères Jean Yves Le Drian a dénoncé début février 2022 « les sanglantes répressions de 2018 contre les manifestants » et les « élections frauduleuses de 2021 ».

Les médias condamnent sans même donner la parole aux accusés, les politiques avalisent : c’est ainsi que le monde du XXIe siècle ronronne, ou du moins le petit cercle médiatico-politique censé dénoncer les atteintes à la démocratie et aux droits de l’homme.

Peut-être serait-il temps, notamment au sujet du Nicaragua, de se poser certaines questions de fond ? Comment la France en est-elle arrivée là ? La France qui sous Mitterrand jouait un rôle important pour réunir les protagonistes de la guerre civile au Salvador, la France qui disait « non » à l’intervention en Irak par la voix du tandem Chirac-De Villepin…

Depuis, le rapprochement (faut-il dire communion ?) de la diplomatie française d’avec les États-Unis sur la politique internationale éloigne la France de l’Amérique latine au moment même où la Chine et la Russie y développent leur stratégie de coopération. C’est ainsi que la France, avec l’Europe, a capitulé en 2009 lors du coup d’État Manuel Zelaya au Honduras, puis en 2012 contre Fernando Lugo, le président du Paraguay, et plus près de nous en 2019 lors de celui contre Evo Morales en Bolivie. Dans ces trois cas, les « alliés » américains étaient aux commandes.

Dans ces trois cas, la diplomatie s’est comme effacée et avec elle la recherche de la vérité et la recherche d’un consensus. Elle a laissé place à l’intervention du plus fort, de celui qui veut imposer sa vision, en l’occurrence les États-Unis, qui, on le sait, n’ont cessé de jouer ce rôle en Amérique centrale. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’aujourd’hui, ils bénéficient en cela de la complicité de l’Union européenne.

Bien des consciences se sont réveillées en Amérique latine pour refuser ce double langage. La France et d’autres pays européens y sont aujourd’hui suspectés, non seulement par bon nombre de gouvernements du sous-continent, mais surtout par leurs peuples qui ne comprennent plus cette volonté perpétuelle d’ingérence.

Dans un pays comme le Mexique, classé parmi les modérés par les médias internationaux et ne pouvant être accusé de radicalisme, le président Manuel Lopez Obrador vient de rappeler les responsabilités de l’OEA dans le coup d’État contre Evo Morales en 2019.

Pourquoi la France doit-elle continuer à suivre ceux qui ont inventé les armes de destruction massive en Irak ? Croit-elle que l’Amérique latine a oublié ?

Il n’y a rien d’étonnant à ce que le Nicaragua, comme la plupart de ses voisins latinos, « radicaux » ou non, ouvre ses portes toutes grandes aux investisseurs chinois ou à la Russie… Il faut se rappeler qu’avant que n’éclate la « révolution populaire » de 2018 – orchestrée par le peuple selon la plupart des médias ; par les États-Unis selon quelques journalistes indépendants -, le Nicaragua affichait une excellente santé économique (7,2 % de croissance), une paix sociale certaine et une sécurité enviée par tous ses voisins.

Certes, la France perd pied en Amérique latine, mais ce n’est pas de cette manière qu’elle aidera à la consolidation des droits de l’homme. Il faut être conscient que ni le Nicaragua, ni le Venezuela, ni la Bolivie, et ni bien sûr Cuba ne fléchiront face aux États-Unis et leurs alliés européens. Or ces pays ont eux aussi bon nombre de preuves à apporter à la communauté internationale en termes d’ingérence et de coups d’État pilotés de l’extérieur.

ARGENTINE : Le FMI POTION MAGIQUE OU TRAGIQUE

Il faut toujours se méfier de ceux qui savent tout sur tout, et surtout de ceux qui connaissent mieux que d’autres l’économie, la finance, l’argent ! En 2015, les Argentins lassés par le péronisme se sont laissés tenter par Macri, ce « patron » propriétaire du club de football mythique de la Boca où a débuté Diego Maradona. Lui, le chef d’entreprise, allait redresser le pays ; les investisseurs allaient se précipiter en Argentine, créer des emplois, de la richesse et l’on retrouverait la vie d’avant ! Un peu comme celui qui ne souhaitait pas imposer les riches et disait que l’accumulation de leurs richesses finirait par « ruisseler »…

Pour mener à bien sa petite affaire, Mauricio Macri a emprunté 45 milliards au fonds monétaire international et a commencé, juste avant son départ, à serrer la vis comme le recommandait l’organisation internationale. Puis il a été battu lors de la présidentielle de 2019 par Alberto Fernandez accompagné à la vice-présidence par Cristina Kirchner, ancienne présidente de la République par deux fois. Dès 2021, il a fallu rembourser 5 milliards de dollars, mais pour 2022 l’Argentine était en panne d’où renégociation avec le FMI.

Au bout de plusieurs semaines de tractations, un accord a été trouvé et Alberto Fernandez s’est adressé aux Argentins : « nous avions une corde au cou et une épée de Damoclès au-dessus de notre tête ; nous avons maintenant un chemin qui s’ouvre devant nous », insistant sur l’absence d’impact de ce plan sur les services publics ou les dépenses sociales. Pourtant, à l’appel des organisations syndicales et des associations, le peuple argentin est à nouveau dans la rue en ce début de mois de février et ne décolère pas, avec des pancartes et des slogans qui disent : « non au paiement de la dette » ou « dehors le FMI ».

Alberto Fernandez est parvenu, du moins pour l’instant, à conserver une certaine homogénéité dans sa majorité, malgré de fortes turbulences. Il n’a cependant pas pu empêcher le départ de Maximo Kirchner, fils de Cristina et Nestor Kirschner (tous deux ex-présidents). Le président a eu beau passer deux heures en tête à tête avec lui, il n’a pu empêcher la démission du président du bloc péroniste « Frente de todos » à l’Assemblée nationale, pendant que sa mère, la vice-présidente de la République, se taisait.

Alberto Fernandez le sait : ce prêt du FMI est très dangereux pour la cohésion de son pays et la cohésion de sa majorité, ce prêt laissé là par son prédécesseur comme un poison lent, qu’il va devoir absorber si possible sans trop de dommages d’ici la présidentielle de 2023.

Sur la scène internationale, l’Argentine assure depuis début janvier la présidence de la CELAC (Communautés des États d’Amérique latine et Caraïbes). Le chef de l’État s’est également rendu en Chine et en Russie avec lesquelles la coopération se développe depuis quelques années. Comme ses voisins en Amérique latine, l’Argentine, malmenée par les États-Unis et l’Union européenne, se tourne vers d’autres puissances qui veulent bien y investir sans donner de leçons.

VENEZUELA: NICOLAS MADURO PRÉSIDENT JUSQU’EN 2024

L’année 2022 a bien commencé pour le gouvernement de Nicolas Maduro : à l’occasion de l’élection rejouée et perdue de l’État de Barinas (berceau de la famille Chavez), les États-Unis ont félicité l’opposition de cette belle victoire, validant ainsi le processus électoral. Ce qui n’était pas gagné d’avance.

Dans le même temps, la presse internationale reconnaît finalement (au bout de trois ans tout de même) les limites de Juan Guaido, président autoproclamé qu’elle avait acclamé et qualifié d’« Obama de l’Amérique latine ». Le quotidien français Le Monde, qui ne peut être suspecté de soutenir Nicolas Maduro, dit de Guaido dans son édition du 24 janvier 2022 qu’il « n’exerce aucun pouvoir et ne fait plus illusion ». Dans le même article, un diplomate indique qu’il « est devenu inutile, mais que personne ne sait comment le lâcher ».

Pire, lors d’un entretien accordé au journal colombien El Tiempo, l’ex-président colombien Santos n’hésite pas à s’ouvrir sur ce qu’il appelle « l’option » Guaido pour le Venezuela, laquelle « a échoué dès qu’elle est née » : « il s’agit de la plus grande stupidité diplomatique de ces dernières années ; malheureusement la Colombie a fait partie de ses plus grands promoteurs. Maduro est encore plus indéboulonnable que jamais ».

Autre preuve de l’échec de « l’option » Guaido : le referendum révocatoire. En effet dans cette « infâme dictature » (selon le terme employé par les commentateurs qui ne connaissent le pays que par CNN), le président peut être remercié à la moitié de son mandat par referendum. Ce référendum révocatoire vient d’être organisé par le Conseil national électoral et les 20 millions de Vénézuéliens (en droit de voter) appelés à donner leur accord par signature à sa mise en place. Il fallait pour cela atteindre 20 % du corps électoral soit 4 millions de signatures.

L’opposition soi-disant « majoritaire » dans le pays (c’est du moins ce que prétendent Juan Guaido et Washington depuis 2019) dit ne rêver que d’élections justes et libres, elle n’avait qu’à mobiliser le pays. Ce qui ne devait être qu’une formalité s’est terminé ainsi : 2 % (soit 40 000 voix) du corps électoral s’est prononcé pour le référendum révocatoire, bien loin des 4 millions qu’exige la Constitution pour enclencher le processus.

L’opposition tente d’arriver au pouvoir par la force depuis 2002, lors du coup d’État de 2002 contre Chavez ; elle a continué à sa mort, et a assiégé Nicolas Maduro dès le premier jour de son élection. Le soir même de sa victoire et dans les jours qui ont suivi, les violences faisaient 42 morts. Puis ce seront les guérillas de rue de 2014 à 2017. La pression internationale aurait pu pencher vers Maduro, élu démocratiquement, pour stabiliser le pays, mais elle a préféré choisir Leopoldo Lopez, héros bien plus photogénique et plus conforme au modèle libéral qu’elle prône, bien que moins légitime.

Puis Trump est arrivé, et a imposé Guaido tout en instaurant des sanctions économiques et un blocus. Le problème, c’est que depuis deux ans de ce petit jeu, Nicolas Maduro est toujours là, et que le président autoproclamé Juan Guaido, qui ne voulait pas perdre de temps avec le « dictateur », le supplie aujourd’hui de rouvrir les négociations.

Il reste une option à l’opposition : attendre 2024, date des prochaines élections présidentielles. D’ici là elle devra trouver un candidat unitaire et peut être enfin un programme (elle n’en a jamais eu depuis 20 ans) : ce n’est pas une mince affaire.

Nicolas Maduro, tout comme Alberto Fernandez en Argentine, continue son chemin en accentuant la coopération avec la Russie et la Chine tant au niveau industriel que militaire.