Premier tour des élections générales en Argentine et second tour des élections présidentielles en Équateur

Ce nouvel article de notre correspondant Lucho fait le point sur les résultats des élections récentes en Argentine et en Équateur.

Élections générales en Argentine : La gauche contient l’élan fasciste

Les chiffres

Participation : 74 % (vote obligatoire à partir de 18 ans, en option de 16 à 18 ans).

Résultats du premier tour élection présidentielle par ordre décroissant :

  • Sergio Massa, péroniste (Union por la patria) : 36,60 % ;
  • Javier Milei, extrême droite (La libertad avanza) : 29,98 % ;
  • Patricia Bullrich, droite (Juntos por el cambio) : 23,83 % ;
  • Juan Schialetti, péroniste dissident (Hacemos nuestro pais) : 6,78 % ;
  • Myriam Bregman, gauche (Frente de izquierda) : 2,70 %.
  • Second tour : 19 novembre 2023.

Contexte de ce premier tour

Au mois d’août dernier, les médias tant nationaux qu’internationaux se sont trouvé un « énergumène » comme ils les adorent : Javier Milei, candidat à l’élection présidentielle qui arrive en tête lors de l’élection primaire. Cette consultation électorale qui se déroule en Argentine quelques semaines avant le scrutin annonce cet ordre à l’arrivée : Javier Milei à 30 %, Patrica Bullrich (qui représente la droite) à 28,30 %, puis Sergio Massa, péroniste, actuel ministre de l’Économie en exercice du gouvernement Fernandez à 22 % (sans les voix du dissident Juan Schiaretti).

Au fil des débats télévisés de cette campagne pour le premier tour, le tout nouveau en politique qu’est Javier Milei (il a été élu pour la première fois député en 2019) enchante les médias qui accourent du monde entier voir le phénomène, atypique à tout point de vue. Milei a bien compris que son image doit coller à ses paroles ; il se présente donc avec un look années 80, une importante chevelure en désordre et des rouflaquettes qui lui couvrent la moitié du visage. Il joint à cette panoplie une tronçonneuse qu’il trimballe avec lui pour signifier qu’il va supprimer la quasi-totalité des ministères et privatiser le maximum de services publics dans les domaines de la santé, des transports, des retraites, etc.

Javier Milei et Patricia Bullrich

Il précise qu’il veut liquider la banque centrale, changer la monnaie nationale, le peso pour le dollar, couper toutes les relations avec les pays communistes (donc avec la Chine, premier investisseur dans le pays). Au niveau régional, il compte sortir du Mercosur, et bien évidemment restreindre les échanges avec son voisin brésilien. Enfin, il met en doute le nombre de disparus pendant la dictature et en célèbre les « victimes », c’est-à-dire les policiers et militaires qui servaient pour la maintenir.

Il raconte qu’il communique par télépathie avec son chien décédé qui lui donne des conseils sur le plan politique et qu’il a d’ailleurs fait cloner à quatre reprises, chaque animal portant le prénom d’un économiste ultralibéral américain.

Il vilipende bien entendu le « système » : la gauche, la droite, les élites puisqu’il se veut « anti-système » – comme Donald Trump ou Bolsonaro. Il se dit déterminé à renverser la table, recommencer à zéro et construire une Argentine qui lui ressemble ! La jeunesse qui peine à trouver un emploi dans ce pays qui compte 138 % d’inflation l’acclame et voit en lui un sauveur. Les médias, toujours complaisants avec ceux qui font le show, le qualifient au pire d’ultralibéral, très peu le présentent comme un homme d’extrême droite, et encore moins comme un fasciste ou simplement un fou.

Il attaque frontalement le pape, argentin, le traite de communiste et se dit prêt à rompre les relations avec le Vatican. Dans ce méli-mélo de propositions négatives, Javier Milei rappelle, en plus « déjanté », un Jair Bolsonaro dont il admire d’ailleurs le parcours.

Ces mois de campagne où il déblatère les plus grosses énormités et se définit pêle-mêle comme anti-gauche, antisystème, anti-monnaie, anti-élite, anti-chinois, anti-avortement etc. le mettent en orbite, et le premier tour de l’élection présidentielle confirme dans une certaine mesure les résultats de l’élection primaire puisqu’il se qualifie pour le second tour avec 29,98 % des voix. Sauf que les instituts de sondages le donnaient en tête, mais qu’il n’arrive qu’en seconde position, soit 6 points derrière Sergio Massa le candidat du péronisme. Ce qui ressemble presque à une défaite.

Sergio Massa de « Union por la patria » représente le péronisme, ce parti incontournable de la politique argentine, enraciné dans les associations, les syndicats, les provinces et les villes du pays. C’est-à-dire tout ce que Milei caricature, conspue et souhaite voir disparaître, car ils incarnant le « mal » qui fait couler l’Argentine.

Il faut dire que le parti justicialiste n’est pas exempt de reproche et a de quoi faire enrager plus d’un militant. Lorsqu’Alberto Fernandez est élu président de la République en 2019 avec, à ses côtés, Cristina Kirchner comme vice-présidente, c’est l’expérience qui revient au pouvoir. Le tandem parvient à battre Mauricio Macri qui a échoué au niveau économique et endetté le pays de plusieurs centaines de milliards auprès du FMI. C’est Macri qui a emprunté, mais c’est Fernandez qui doit payer la facture. Or si ce dernier choisit de rembourser les traites, énormes pour le pays déjà exsangue, Cristina Kirchner, elle, y est opposée. Les deux laissent éclater leur différence qui ne fait qu’augmenter au fil du mandat jusqu’à ce qu’ils en viennent à ne plus se parler.

L’état de l’économie tout comme les divisions internes aux péronistes sont tellement catastrophiques que Fernandez renonce à se représenter à la présidentielle 2023, et c’est Sergio Massa, nommé ministre de l’Économie quelques mois plus tôt qui devient le candidat du parti péroniste. Beaucoup d’observateurs parlent alors de suicide politique : comment se présenter comme un sauveur alors qu’on est issu d’un gouvernement contesté de toutes parts ?

Pourtant, durant toute la campagne, Massa va exploiter les outrances de Milei et expliquer avec pédagogie les conséquences pour chaque Argentin du programme de son adversaire. Peu à peu les électeurs, ou du moins une partie d’entre eux, comprennent mieux comment se traduiraient les privatisations du candidat Milei, dans un pays où jusqu’à présent l’État subventionne les transports, l’éducation, la santé ou les retraites. Si Milei était élu, les principaux bénéficiaires de ces aides de l’État, et ils sont des millions, ne pourraient faire face. L’équipe de campagne de Massa traduit les mots de Milei en peso et fait le compte du prix à payer par les Argentins. Et une partie non négligeable d’électeurs se met à penser que si Massa ne va pas changer leur vie, au moins ne va-t-il pas supprimer les subventions qui aident les plus défavorisés à supporter la crise.

Dans le contexte économique désastreux dans lequel se déroule la campagne, les militants péronistes, même les plus optimistes, sont parfois gagnés par le doute et le désespoir. Mais Massa, lui, garde un langage posé, sérieux, crédible. Face à la furie de son adversaire qui promet tout et son contraire – jusqu’au droit de vendre ses organes –, l’attitude de Massa parvient à redonner confiance aux militants, aux associations et aux syndicats, toujours forts en Argentine. Ils laissent leurs différences de côté, se lancent dans la défense de la démocratie contre le fascisme affiché du candidat Milei et restent sourds aux sondages qui prédisent la victoire du candidat ultralibéral ! Leurs efforts paient, à l’image de la province de Buenos Aires (« réservoir électoral » de 10 millions de votants) où le gouverneur péroniste sortant Axel Kiciloff est réélu dès le premier tour, soutenant le succès de Massa qui récolte 45 % des voix dans la région.

Les résultats du premier tour sont très décevants pour les leaders de la droite réunis dans la coalition « Junto por el cambio » de Patricia Bullrich. Elle avait obtenu 28 % à la primaire du mois d’août et parvient tout juste à 23 % le 22 octobre. Pour l’ex-président Maurico Macri, les coupables de cet échec ont un nom : l’Union civique radicale (UCR) qui fait partie de la coalition et qu’il accuse de trahison.

Arrivé en quatrième position, Juan Schiaretti, péroniste, gouverneur de la province de Cordoba (aile droite du péronisme) obtient 6,78 %. Enfin Myriam Bregman du parti des travailleurs obtient 2,70 %, une réserve à ne pas négliger pour le second tour.

Un second tour très serré

L’arrivée en deuxième position de Milei a inversé la dynamique de la campagne. Certes, il obtient facilement le ralliement de Patricia Bullrich qui a fait plus de 23 %, mais la coalition de cette dernière, « juntos por el cambio » implose avec l’Union civique radicale (UCR) qui se retire, jugeant les valeurs défendues par Milei incompatible avec celles de ce parti de centre droit.

Massa compte sur l’image de rassembleur qu’il est arrivé à se donner, en dépit du bilan exécrable de l’économie argentine. Dès le lendemain de l’élection, il proposait de former un gouvernement d’unité nationale. De quoi séduire (en tout cas en partie) les électeurs de l’Union civique radicale.

Cette élection va peser sur l’avenir de la région. Massa peut compter sur le soutien du président brésilien Lula qui l’a longuement reçu pendant la campagne, il l’a assuré de son aide en cas de victoire. Il faut dire que le Brésil a besoin de Massa pour le Mercosur et compte sur l’entrée des Argentins dans la BRICS dès le premier janvier, deux institutions dont ne veut pas entendre parler Milei, qui, lui, a reçu le soutien des proches de Jair Bolsonaro et de l’extrême droite brésilienne.

Massa et Lula

Commentaires

Ces élections se déroulent dans un climat économique fortement dégradé où les citoyens doivent choisir entre le péronisme, avec ses qualités et ses défauts, et une extrême droite fasciste totalement décomplexée. Dans cette lutte idéologique, les États-Unis (démocrates ou républicains) sont à l’affût et le discours de Milei contre la Chine et le communisme ne peut que les séduire.

Les Argentins sont maîtres de leur destin : comme au Brésil, qui a choisi en 2019, en connaissance de cause, le candidat de l’extrême droite fasciste Jair Bolsonaro, les électeurs savent qui est Javier Milei. Le choix qu’ils feront prendra un sens d’autant plus fort dans le contexte international actuel où le fascisme et sa volonté de réécrire l’histoire gagnent du terrain partout dans le monde.

Second tour des élections présidentielles en Équateur : le fils du milliardaire remplace le banquier

Contexte du premier tour

Daniel Noboa, le candidat du parti ADN (Acción Democrática Nacional) qui a remporté le 15 octobre le second tour des élections présidentielles est le fils d’Alvaro Noboa, milliardaire lui-même candidat à cinq reprises à cette même élection, mais toujours battu. Daniel Noboa obtient 52,3 % des voix contre 47,7 % de la candidate de Révolucion ciudadana, le parti de l’ex-président Rafael Correa.

16,9 millions d’Équatoriens étaient appelés à s’exprimer, 82,30 % l’ont fait.

La durée du mandat ne sera que de 15 mois, puisque le président nouvellement élu remplace le président Guillermo Lasso qui a démissionné avant la fin de son mandat.

L’élection

Au premier tour, Luisa Gonzalez était sortie en tête avec 33,6 % des voix, suivie de Daniel Noboa à 23,4 % au terme d’une violente campagne émaillée d’assassinats. Les médias avaient notamment relayé l’exécution du candidat Villavicencio à 11 jours du scrutin (sa liste recueillera tout de même 16 % au premier tour). La campagne du second tour s’est déroulée dans cette même ambiance délétère avec, début septembre, l’explosion de quatre voitures piégées dans la capitale et d’autres villes situées près de la frontière avec le Pérou, des attentats revendiqués par des cartels de narcotrafiquants qui protestaient contre un transfert de détenus.

Dans ce contexte, les deux candidats ont dû parcourir les villes et les villages sous bonne escorte et vêtus d’un gilet pare-balles. Les sept Colombiens soupçonnés de l’assassinat du candidat Villavicencio, incarcérés dans deux prisons différentes, ont tous été retrouvés pendus dans leur cellule, comme par hasard, quelques jours avant la fin de la campagne.

Daniel Noboa et Guillermo Lasso

Les Équatoriens ont donc choisi le fils du milliardaire pour s’attaquer à l’insécurité et remettre sur pied l’économie du pays. Ce jeune de 35 ans s’autoproclame de centre gauche, mais il a pourtant bien été soutenu par tous les partis de droite, les alliés de Lenin Moreno (ex-président du parti de Rafael Correa, mais qui l’a trahi), le PID (Pueblo Igualdad y Democracia) dirigé par son neveu Arthur Moreno et Mover (ex Alianza País, parti de Lenin Moreno au départ de Rafael Correa).

Daniel Noboa ne dispose d’aucune majorité à l’assemblée puisque son parti ne compte, hors alliance, que 13 députés sur 137. Il devra donc faire preuve d’un grand esprit d’ouverture pour tenter de trouver une majorité et de beaucoup d’habileté pour inverser la tendance en matière de criminalité, mais également sur le plan économique. Le tout en seulement quinze mois…

Pour le mouvement lancé au début des années 2000 par Rafael Correa, les résultats du premier tour (33,60 % de Luisa Gonzalez) témoignent de sa force incontestable et prouvent que « Revolucion Ciudadana » demeure une option pour un Équateur plus juste. Mais l’absence dans le pays de son leader charismatique Rafael Correa et les multiples trahisons de son ex-compagnon de route Lenin Moreno pèsent sur le résultat final.

Investi le 11 décembre, Daniel Noboa décidera-t-il d’emboîter le pas de ses deux prédécesseurs dans leurs rapports avec les États-Unis malgré le peu de résultats concrets enregistrés à ce jour, notamment au niveau de lutte contre le narco trafic ? Il y a fort à parier puisque Lenin Moreno comme Guillermo Lasso l’ont soutenu dans sa campagne.

Commentaires

La victoire d’un président de droite (même s’il se défend d’en être) ne peut que satisfaire les États-Unis à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle en Argentine. Or ces scrutins ont lieu dans un contexte régional ou international favorable aux thèmes de prédilection de l’extrême droite : inquiétudes sécuritaires, choix de l’armement individuel, lutte contre l’immigration et remise en cause des institutions. Le combat idéologique qui se joue à chaque élection dans le sous-continent est âpre et sans concession, et les États-Unis sont toujours prêts à appuyer les opposants au socialisme et au communisme !