Droitisation expresse en Allemagne

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Le palais du Reichstag, siège du Bundestag - Jürgen Matern, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons

Les élections allemandes du 23 février 2025 marqueront l’histoire électorale de ce pays. La coalition au pouvoir a été désintégrée. L’alliance gauche-droite formée par les socialistes du SPD, les écologistes et la droite libérale sort avec le pire score des socialistes de leur histoire (3e, avec 16,4 %), un recul des écologistes (4e, avec 11,61 %) et un effondrement de la droite libérale qui perd tous ses députés pour être passée nettement en dessous des 5 % nécessaires. Comme prévu par les sondages, la droite conservatrice chrétienne CDU-CSU arrive en tête avec 28,5 %.

Alliance en vue de la droite avec le SPD

Le résultat de la CDU-CSU, quoiqu’inférieur aux prévisions des sondages, aura pour conséquence que son leader devienne chancelier. Il a dit qu’il ne gouvernera pas avec l’extrême droite AFD, arrivée en deuxième position avec 20,8 %. Dans un premier temps, les pourparlers auront donc lieu entre la CDU-CSU et le SPD, mais sans le chancelier sortant, Olaf Scholz, qui ne souhaite pas participer à ce gouvernement. En 5e position, Die Linke (la gauche) obtient 8,77 %. Deux formations n’auront pas de députés : l’alliance BSW de Sarah Wagenknecht avec 4,97 % et la droite libérale avec 4,3 %. Du fait que ces deux formations n’ont pas de députés, qui seront donc répartis sur les autres listes, il y aura deux majorités possibles de députés (mais sans majorité électorale), à savoir une majorité droite-extrême droite ou une majorité droite et socialiste.

Quels enseignements ?

Les premiers enseignements sont les suivants :

  • Pour la première fois depuis le 3e Reich, il y a une majorité de députés droite-extrême droite en Allemagne. L’Allemagne rejoint la majorité des pays européens qui possèdent actuellement cette composition politique.
  • La poussée d’extrême droite est fulgurante. Ses voix ont doublé en une législature. Elle a bénéficié de trois causes principales : d’abord les deux ans de récession avec le déclin industriel très important, notamment dans l’automobile, percuté par la suppression de l’énergie bon marché du gaz russe et par l’accroissement des coûts de sa chaîne de valeur. Puis, par la prise de conscience qu’elle a perdu son allié historique avec la victoire de Donald Trump à la Maison-Blanche. Et enfin, d’un climat d’attentats dans la dernière séquence.
  • Lorsqu’on regarde une carte électorale colorée de l’Allemagne, avec dans chaque arrondissement (kreize) la couleur du premier parti électoral, on distingue les deux Allemagne, l’ex-RFA et l’ex-RDA. Pour la première, on voit une grande majorité avec la couleur de la CDU-CSU avec des taches de la couleur des socialistes et, pour la deuxième, une seule couleur, celle de l’AFD. Dans 4 Länder sur 5 de l’ex-RDA, l’AFD fait plus de 40 % des voix avec un jeune sur cinq de moins de 25 ans qui votent pour eux, dont une majorité de jeunes hommes !
  • On a vu les écologistes passés en une législature d’une position pacifiste à une position ultra-va-t-en-guerre.
  • Un renouveau du parti de gauche Die Linke dû au primat de la question sociale présentée lors de la campagne électorale (alors qu’elle fut dans la séquence précédente plutôt encline au primat des questions sociétales) et à une grande pugnacité anti-extrême droite. Un électeur sur quatre de moins de 25 ans a voté pour eux ! Mais avec un vote genré : 34 % des jeunes femmes ont voté pour eux contre 15 % des jeunes hommes !
  • La nouvelle alliance de gauche Sarah Wagenknecht (BSW) prônant une restriction de l’immigration est passée tout près d’avoir une trentaine de députés. Ce fut à 13 400 voix près. Ce parti s’oppose également aux plans de réarmement largement dominant en Allemagne.
  • Aussi bizarre que cela puisse paraître, un sondage de Der Spiegel montre que 2/3 des Allemands craignent une coalition CDU-CSU-SPD avec une opposition AFD de plus de 150 députés !

Prospective économique allemande

Allègement du « frein à l’endettement » en échange d’une inflexion sur l’immigration ou sur l’écologie et le social

Les premiers discours du probable futur chancelier Friedrich Merz suggèrent que la politique intra-UE tournera autour d’une triangulation Allemagne-Pologne-France, avec la perspective d’une autonomie européenne et du réarmement allemand. Cela dit, la question qui se pose est de savoir si le nouveau gouvernement essayera de desserrer la loi du « frein à l’endettement », qui fixe à 0,35 % du PIB fédéral allemand la limite maximale du déficit. Mais pour cela, il faut un vote des deux tiers du Bundestag. Cela implique soit l’accord de l’extrême droite, soit un accord conjoint des écologistes et du parti de gauche Die Linke. Dans les deux cas, cela demandera une inflexion gouvernementale sur l’immigration dans le premier cas et, dans le second cas, des contreparties écologiques et sociales, avec une difficulté concernant Die Linke, qui demandera une baisse du budget militaire alors que les Verts sont des va-t-en-guerre. Autant dire que ce n’est pas fait ! Alors qu’il leur suffirait d’autoriser un desserrement de leur frein à l’endettement noté dans la loi fondamentale uniquement pour les investissements à long terme.

Croissance en berne

En attendant d’être plus amplement informé sur le type d’alliance gouvernementale, les prévisions de croissance sont très faibles, allant suivant les instituts de 0 % à 0,3 %. Par ailleurs, le fait que l’Allemagne est un pays exportateur et le manque de prévisibilité quant à la future bataille commerciale protectionniste sont des freins énormes pour l’Allemagne. De plus, le fait que la Chine vit actuellement avec une croissance moins forte freine également le développement allemand. La décision imposée par les verts allemands de supprimer rapidement l’énergie nucléaire et la suppression rapide du gaz russe peu onéreux ont créé une forte augmentation du prix de l’énergie doublée d’une grande incertitude pour l’avenir. Leur relance du charbon inquiète tous ceux qui souhaitent une décarbonation rapide de l’économie européenne. En un mot comme en cent, l’économie allemande devra se refonder.

Nous suivrons bien sûr cette politique dans la mesure où l’Allemagne est toujours et de loin la première économie européenne et restera majoritaire dans l’UE si elle contente son flan est sur le plan politico-militaire. Attendons déjà de voir le type d’accord produit dans l’essai d’alliance CDU-CSU-SPD, car, sans cette alliance, ce sera la crise politique en Allemagne.