Lire attentivement le jugement de condamnation du docteur Canarelli nous laisse bouche bée : un an de prison avec sursis parce qu’un de ses patients a commis un assassinat 20 jours après s’être échappé. Qu’est-ce qui justifie une telle sévérité ? Nous avons consulté de nombreux psychiatres, dont des chefs de service universitaire, et pour tous, il n’y a ni faute médicale, ni défaut de respect du processus administratif, puisqu’elle a fait le signalement dès qu’il s’est échappé. (Voir le communiqué de presse d’une intersyndicale de psychiatres.)
Le docteur Canarelli fait figure de bouc émissaire, car “il faut un coupable”. Le jugement s’appuie sur les dires d’un seul expert, sans contre-expertise, alors que nous sommes manifestement devant une différence d’appréciation, courante dans ce corps médical. Cette praticienne, qui n’a connu aucune autre affaire de ce genre, a fait appel et nous espérons qu’il y aura alors des contre-expertises. Si elle devait à nouveau être condamnée, cela conduirait les psychiatres, par précaution, s’ils ne le font pas déjà, à mettre en cage tous les sujets chez qui pourrait se manifester un soupçon de dangerosité, avec tout le flou de cette notion. Or un article du Guardian montre l’inanité de l’enfermement pour prévenir les meurtres accomplis par des malades mentaux.
En fait, à bien regarder les attendus du jugement, il n’est pas reproché à ce médecin d’avoir mal soigné son patient, mais de ne pas avoir protégé… l’ordre public ! Il n’est nullement question ici d’un quelconque défaut de soins qui aurait pu porter préjudice à la santé du patient, mais il est bien reproché à la psychiatre de n’avoir pas mis en œuvre les “moyens” nécessaires pour protéger la sécurité publique ; ce jugement confirme, si besoin en était, que la loi du 5 juillet 2011 est bien une loi sécuritaire et non une loi sanitaire. Les médecins psychiatres sont ainsi transformés en acteurs “involontaires” – mais responsables – du contrôle social.
Pire, la justice indique même quel traitement la psychiatre aurait dû prescrire (injection de neuroleptique “retard”), là encore non pas pour le bien du patient, qui est bien oublié dans l’histoire, mais pour garantir la sécurité publique… comme si le fantasme sécuritaire du “risque zéro ” devenait réalité et que les psychiatres en étaient les garants !Ne manque-t-il pas plutôt une procédure de règlement collégial des cas où il y a différence d’appréciation entre psychiatres, qui puisse aller jusqu’à permettre le changement de praticien et d’éviter, dans un cas comme celui-ci,toute intervention de la justice pénale.
Qu’aurait dû faire la psychiatre ? faire rempart de son corps pour ne pas laisser le patient “s’échapper” ? le piquer de force (cela rappelle d’autres lieux et d’autres époques) ? Prendre le risque de recevoir des coups qui auraient ensuite appelé un discours larmoyant et condescendant sur les “risques du métier”… et une nouvelle stigmatisation de ces fous dangereux qui nous terrorisent ? Ou devait-elle, comme elle l’a nécessairement fait, laisser le patient partir, tout en signalant aux autorités la rupture du programme de soins désormais non respecté et en fournissant toutes les adresses, y compris dans les départements avoisinants, où ce patient pouvait se cacher ?
Comme nous pouvons le voir, cette triste affaire va bien plus bien loin qu’une simple question de responsabilité médicale, mais engage – ou poursuit – le débat sur la société sécuritaire et repose la question de savoir s’il ne faudrait pas mieux préciser les responsabilités : aux médecins la prévention et les soins, aux autorités préfectorales celle de l’ordre public.