Nouveau défi pour la gauche syndicale : la protection sociale complémentaire des fonctionnaires

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La lutte des classes et la défense de la Sécurité sociale

La lutte des classes est menée tambour battant par le grand patronat. Il convient bien sûr que les forces du travail en premier lieu, pour les organisations syndicales, d’abord de résister. Quand la ligne stratégique et la mobilisation sont à un niveau suffisant, cela pourrait aboutir à l’obtention de nouveaux conquis sociaux. Il est un domaine important dans l’intérêt des travailleurs, c’est la bataille d’une part pour la Sécurité sociale et d’autre part contre le grand patronat assurantiel et bancaire.

La plus grande avancée sociale du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) fut la création de la Sécurité sociale visant à la protection des travailleurs et de leurs familles de la naissance à la mort. Avec quatre conditions révolutionnaires (unicité, solidarité : à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens, financement par la partie du salaire socialisé par le travail dès la création de richesse dans l’entreprise, démocratie sociale avec 75 % de tous les conseils d’administration élus au suffrage universel des assurés sociaux).

Le budget de la Sécurité sociale supérieure à celui de l’État suscite l’appétit du privé

Malgré tous les reculs qui ont eu lieu de 1947 à nos jours, malgré le fait que trois des conditions révolutionnaires n’existent plus et que la 4e est largement écornée, le budget de la Sécurité sociale a un budget encore supérieur au budget de l’État (570 milliards d’euros contre 455 pour le budget de l’État tous ministères confondus). Il assure la principale source de cohésion sociale dans une atmosphère de crise violente pour beaucoup. Elle opère dans de nombreux domaines (santé-assurance-maladie, retraites, branche famille et ses prestations familiales, de logement, contre la précarité, pour l’action sociale, la branche des accidents du travail et des maladies professionnelles et la branche autonomie).

La grande bourgeoisie n’a de cesse de vouloir à terme privatiser la Sécurité sociale avec comme allié principal l’Union nationale des organismes complémentaires à la Sécurité sociale (UNOCAM créée en 2004 sous l’égide de Chirac-Raffarin-Douste-Blazy, qui regroupe la branche assurantielle du Medef, les instituts de prévoyance soi-disant paritaires et la Mutualité française). Ces trois entités, main dans la main, sont organisées en lobby pour grignoter le périmètre de la Sécurité sociale dès que chaque gouvernement néolibéral et ordolibéral décide de désengager la Sécurité sociale comme elle s’apprête de le faire en augmentant les franchises sur les soins par exemple. Déjà ces trois entités s’associent entre eux pour monter des groupes de protection sociale comme par exemple le groupe Vyv. La phase suivante sera le passage à la bancassurance déjà démarrée en attendant les futurs appels d’offres pour dépecer la Sécurité sociale en vue de la privatisation.

Position ambiguë de la Mutualité dès 1946 face à la Sécurité sociale

Pour y arriver, la grande bourgeoisie a développé une stratégie. D’abord elle s’est battue dès les années 90 pour maintenir une cotisation facultative pour des complémentaires Santé dans tous les départements autres que l’Alsace-Moselle pour construire un marché des complémentaires privés face à la Sécurité sociale tout en remboursant moins bien que dans les trois départements alsaciens et mosellan où la cotisation était obligatoire. Ce fut l’œuvre en grande partie de René Teulade et des gouvernements qui ont suivi le choix de l’austérité en 1983, du gouvernement Jospin qui s’est soumis aux directives européennes notamment de Solvabilité 2 en détruisant le Code de la mutualité solidaire pour le transformer en code assurantiel en 2001.

Le gouvernement néolibéral impose l’ANI au privé…

Une fois ce forfait réalisé contre les travailleurs et leurs familles, la grande bourgeoisie a changé de politique. Cette fois-ci, elle a proposé de fortifier les groupes de protection sociale contre la Sécurité sociale formés par des éléments des trois entités de l’Unocam, le lobby des complémentaires contre la Sécurité sociale. Pour cela, elle a engagé la bataille de la cotisation obligatoire dans les contrats collectifs. De façon à s’assurer de grands groupes assurantiels complémentaires capables de rivaliser avec la Sécurité sociale. De fait, l’Accord national interprofessionnel (ANI) pour le secteur privé favorisait encore plus les grands groupes de protection sociale par les garanties demandées aux opérateurs.

… puis la PSC (protection sociale complémentaire) à la fonction publique

Une fois réalisé ce deuxième forfait, ils ont engagé la bataille des contrats collectifs obligatoires des complémentaires chez les fonctionnaires tant pour la santé que pour la prévoyance dans le même but que l’ANI pour le privé. Tout doit être réglé pour la prévoyance au 1er janvier 2025 et pour la santé au 1er janvier 2026. Ainsi, le président Macron aura renforcé les forces de l’Unocam contre la Sécurité sociale avant la fin de son mandat pour préparer le dernier assaut contre la Sécu. La mise en œuvre des appels d’offres privés sur des pans de la Sécu réalisera alors le rêve capitaliste de privatiser les profits et de socialiser les pertes en supprimant le principe de solidarité : à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens et le remplacer par la charité.

La mise en œuvre des appels d’offres privés sur des pans de la Sécu réalisera alors le rêve capitaliste de privatiser les profits et de socialiser les pertes en supprimant le principe de solidarité : à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens et le remplacer par la charité.

Il faut cependant noter que si les dirigeants de la Mutualité française après avoir collaboré avec Pétain, se sont majoritairement opposés à la Sécurité sociale dès 1946 face à Ambroise Croizat, ministre du Travail et de la Sécurité sociale nommé par le général de Gaulle, il y eut les mutuelles des travailleurs CGT pour garder un esprit mutualiste pro-Sécurité sociale. Mais dans les années 90, le congrès de la Fédération des mutuelles de France, qui a succédé à la Fédération des mutuelles de travailleurs, a décidé à une courte majorité de rejoindre la Mutualité française. Une forte minorité a refusé ce choix d’où à terme la création d’Alternative mutualiste regroupant les seules mutuelles opposées au dispositif assurantiel des néolibéraux.

C’est aussi en 1992 que René Teulade, président de la FMNF (Fédération nationale de la Mutualité française, qui regroupait une grande majorité des mutuelles de France) puis ministre des Affaires sociales et de l’Intégration, demande à la Commission européenne que les mutuelles entrent dans le champ de la directive sur les assurances privées, alors que la Commission avait exclu les mutuelles de son champ d’application en raison du caractère de solidarité à la base du mutualisme, et non du profit comme dans les compagnies d’assurance. Aujourd’hui, tous les mutualistes paient au prix fort cette idiotie, que la Commission européenne n’a acceptée que devant l’insistance de René Teulade. Cette intervention aura des conséquences importantes dans la suite de l’histoire.

Protection sociale complémentaire ou le cadeau empoisonné

Revenons à la bataille en cours sur la protection sociale complémentaire (PSC) des fonctionnaires. Aujourd’hui, ceux qui sont en première ligne pour ces contrats collectifs de la PSC sont les syndicats de salariés. Ils sont seuls à négocier et à pouvoir mobiliser. Ils ont fait inclure dans leur négociation la procédure de labellisation permettant à un salarié de ne pas souscrire au contrat collectif choisi par le patronat et de souscrire à la complémentaire de leur choix. Bonne pioche ! Dans un deuxième temps, comme le montre la signature des syndicats de la fonction publique territoriale au projet gouvernemental de l’extrême centre macroniste, en supprimant l’autorisation de la procédure de labellisation, le choix du salarié a donc été supprimé. Cela a étonné les connaisseurs du dossier.

De plus, les syndicats ont accepté la fiscalisation des prestations qui n’existait pas précédemment. Bien sûr, ils ont obtenu que l’employeur prenne à sa charge 50 % de la cotisation, mais sans plancher ni plafond, ce « cadeau » empoisonné n’aura qu’un temps. En effet, la clause de revoyure permettra, comme cela s’est passé à Saint-Étienne, une augmentation substantielle des cotisations rendues obligatoires vu qu’ils ont signé sur la base d’un panier de soins ingérable sur le moyen terme. Ne jamais oublier que la clause de revoyure permet, lorsque les prix moins-disant qui ont permis de gagner l’appel d’offres ne répondent pas aux critères de rentabilité souhaitée du contrat, de résilier la convention de participation. Ce cas est fréquent dans de nombreux contrats documentés.

Des prix bas pour gagner l’appel d’offres puis l’organisme complémentaire soit résilie le contrat, soit augmente sa rentabilité en utilisant le fichier acquis avec d’autres types d’assurance comme toute assurance privée. Des DRAMES en perspectives et au bout du bout, seuls les agents paieront l’addition ! De plus, La montée en puissance des départs en « retraite pour invalidité » laissera de facto de nombreux agents dans de tristes situations financières, avec la précarité comme seul horizon ! Chapeau le progrès social !

En conclusion, les organisations syndicales devraient pour l’action revendicative court terme n’accepter cela qu’avec la possibilité d’autoriser la labellisation qui laisse le choix au salarié. Et pour le moyen terme, rien ne vaudra l’équivalent de la Sécurité sociale intégrale prônée par la CGT qui revient à prévoir tant en santé qu’en prévoyance que sur toutes les branches de la Sécu une prise en charge à 100 % répondant aux besoins dont une santé 100 % Sécu(1)Comme le propose la Convergence nationale Services publics : https://www.convergence-sp.fr/., une autonomie 100 % Sécu, une Atmp 100 % Sécu, etc. Et surtout pas en choisissant la procédure des appels d’offres avec des paniers de soins qui ne répondent aucunement aux besoins et qui sont fonction des capacités financières des travailleurs. Ce sont les besoins qui doivent être au poste de commande (avec des choix décidés démocratiquement et collectivement par les travailleurs comme ce fut le cas de 1947 à 1967) et non la rentabilité avec des paniers de soins ne répondant pas à l’ensemble des besoins.

Il nous paraît impératif que les organisations sociales et politiques analysent rapidement ce réel, car les adversaires de la Sécurité sociale agissent vite et avec de gros moyens financiers et de persuasion lobbyistes ! Les collectivités territoriales qui voient fondre leurs recettes devraient mieux regarder ce dossier.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Comme le propose la Convergence nationale Services publics : https://www.convergence-sp.fr/.