On ne le dira jamais assez : la Sécurité sociale fut dans les années 1944-46 la plus grande avancée sociale de l’Histoire de France avec ses 4 conditions révolutionnaires(1)Voir : Vous avez cherché Sécurité sociale · ReSPUBLICA. unique au monde. Elle fut à cette époque l’imposition d’une nouvelle institution qui pouvait devenir le pivot d’un modèle politique post-capitaliste. C’est pour cela que le grand patronat, dès qu’il put, après la Libération, se débarrasser de son image de collaboration avec l’ennemi, a entrepris une attaque frontale contre ce déjà là anticapitaliste.
Soutenu par la Mutualité française, la droite française, puis par la gauche dans son versant néolibéral, la FNSEA, les libéraux de tous poils, les syndicats de salariés complaisants, le grand patronat a engagé une de ses batailles centrales qui pourrait durer près d’un siècle : la destruction de la Sécurité sociale par étapes. Après avoir écorné la Sécurité sociale dès 1947, mais surtout engagé le processus de destruction par la suppression de 3 conditions révolutionnaires et demi(2)il ne reste que 50 % de cotisations sociales dans son financement. au moment où l’on publiera ce texte, avec le point de départ des Ordonnances de de Gaulle en 1967 et par de nombreuses dizaines de contre-réformes de 1983 jusqu’à nos jours.
Trois prises de position montrent l’objectif du grand patronat depuis longtemps :
- 14 novembre 1996, déclaration de Claude Bebeard, numéro 1 du groupe AXA : « Nous pouvons reprendre et gérer la Sécurité sociale française au 1er franc ».
- 4 octobre 2007, déclaration de Denis KESSLER, Président de la SCOR (groupe de réassurance) et vice-président du Medef : « Adieu 1945, raccrochons notre pays au monde, il faut défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance CNR ».
- Le 9 juillet 2015, Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, renchérit : « Désormais le consensus de 1945 est inadapté ».
La séquence actuelle trouve ses causes dans la montée progressive des mesures d’austérité à partir du tournant néolibéral de 1983 sur toutes les branches de la Sécurité sociale(3)assurance-maladie, retraites, famille, accidents du travail et maladies professionnelles et Autonomie (depuis 2020 pour cette dernière).. Mais aussi parce que le capital a décidé de continuer à rogner sur le taux de remplacement des retraites et d’intensifier la pression pour le troisième étage de la retraite en capitalisation.
Le capital a également lancé son opération ANI-PSC en 2013 pour construire hors Sécurité sociale une puissance privée capable à terme de monter à l’assaut de la Sécu, appartement par appartement. Rappelons que la Sécu représentait en 2024 un budget de 640 milliards d’euros, contre un peu plus de 490 milliards pour le budget de l’État. C’est dire l’importance du budget de la Sécurité sociale comme premier budget humain en France. Or, les sondages commandés par la grande bourgeoisie ne mettent jamais la Sécu et ses 5 branches dans les études d’opinion.
Plus de 40 ans d’austérité ont réussi à fragiliser le modèle social français.
La lecture des nombreux indicateurs de la santé prise dans sa globalité — si l’on prend la définition de l’OMS de 1946, à savoir que la santé n’est pas une absence de maladie ou d’infirmité, mais un état de bien-être physique, social et psychique — montre l’étendue du désastre. D’un modèle social parmi les plus élevés du monde, avec l’Europe du Nord, la France est en train de dévaler les marches pour rejoindre sur plusieurs indicateurs la queue du peloton des pays développés(4)comme pour la mortalité infantile ou pour les décès au travail, par exemple, ou encore sur le mal-logement..
Ce qui n’empêche pas le grand patronat, les droites et les médias dominants de claironner qu’il faut couper à la tronçonneuse dans les dépenses sociales. Et voilà que l’on utilise tous les prétextes. Le dernier en date consiste à assurer la construction d’une armée complète pour pouvoir offrir un joujou à notre président de la République, qui rêve de devenir le gendarme de l’Europe et, pour cela, le doublement en quelques années du budget de la défense serait la priorité des priorités. Au détriment de la cohésion sociale de notre pays, bien sûr ! De la transition énergétique et écologique, bien sûr ! Au prix de la baisse des budgets de la recherche, bien sûr ! Et de la continuité de la désindustrialisation qui s’accentue ! Et, bien sûr, pour l’accélération d’une répartition des richesses toujours plus défavorable aux travailleurs !
Les retraites deviennent la cible du capital
Comme nous l’avons déjà dit, il n’y a pas de problème pour les retraites si la répartition de la valeur ajoutée était plus favorable aux salaires et donc moins aux dividendes. Aujourd’hui, le montant des aides aux entreprises sans contrepartie est du même ordre que les dividendes. Cela veut dire que ce qui coûte cher, c’est le coût du capital, pas le coût du travail ! Il faut en finir avec le ruissellement du bas vers le haut(5)Voir : La gauche face à la guerre sociale dans le capitalisme · ReSPUBLICA.! C’est le capitalisme qui coûte de plus en plus cher !
D’un taux de remplacement moyen de 71 % (pension divisée par le dernier salaire) en 1982, on en est aujourd’hui à un peu plus de 50 %. Le Conseil d’orientation des retraites prévoit pour 2070 un taux de remplacement de 32 à 39 % selon les hypothèses de la productivité du travail. Trouvons-nous normale cette descente aux enfers du capitalisme français ? Trouvons-nous normal que le grand capital ait décidé que 14 % du PIB constituait la limite du montant total des retraites ? Et pourquoi pas 18 % ou 20 %, je vous le demande ? C’est vrai que cela ferait une pression sur les dividendes. Et alors ? Cela s’appelle la lutte des classes !
Le capital voulant jouer avec l’argent des retraites nous propose la capitalisation. Avec le mensonge suivant : « par la capitalisation, on met l’argent de côté » ! Répéter, c’est enseigner ! Quel que soit le mode utilisé pour financer les retraites, ce sont toujours les actifs qui financeront les inactifs. Les contraintes démographiques jouent dans tous les cas. Sauf à ne pas comprendre ce que font les assureurs capitalistes quand il faut payer les pensions. Eh bien, il leur faut leur contingent de nouveaux actifs pour remplacer les précédents, bien sûr, et qu’il y ait une stabilité monétaire sur environ 50 ans !
En fait, l’avantage de la répartition, c’est d’empêcher les capitalistes de jouer avec l’argent des retraites et donc éventuellement de perdre au jeu comme cela s’est passé aux États-Unis avec Enron. Du jour au lendemain, plus de retraites ! Ah, si, on était sûr d’une stabilité monétaire sur 50 ans ! Qui peut promettre cela? Seulement le Dieu de l’assurance privée ! De plus, c’est tout le contraire, la capitalisation est beaucoup trop coûteuse — c’est la Cour des comptes qui le dit — car, pour inciter le chaland, la capitalisation est proposée avec des cadeaux fiscaux. Cela coûte donc plus cher et c’est moins sûr ! Et qui gagne à la capitalisation, ceux qui ont beaucoup de capital et qui peuvent le risquer !
L’ANI et la PSC au service du capital
L’Accord National Interprofessionnel (ANI) a été voté en 2013 par le gouvernement néolibéral de François Hollande. Il concernait une complémentaire obligatoire pour le secteur privé. La Protection Sociale Complémentaire (PSC) en est l’équivalent, mais pour le secteur public. Elle a été décidée par le gouvernement néolibéral d’Emmanuel Macron.
Donner des garanties à des salariés peut se faire par la Sécurité sociale ou par des complémentaires. Par exemple, les indemnités journalières (IJ) en cas d’absence pour maladie sont distribuées par la Sécurité sociale via la branche Assurance-maladie.
Ici, ces garanties ont été prévues par des complémentaires, ce qui fera augmenter les placements financiers que feront ces organismes. Cela va donc renforcer le secteur des assurances et des complémentaires santé. Et, de fait, augmenter les frais de gestion, car il ne peut pas y avoir de frais de gestion plus bas que la Sécu, qui bénéficie d’économies d’échelle et n’a pas de postes d’acquisitions de clientèle, de publicité, de sponsoring (de type Vendée Globe par exemple) et de mécénat. D’une façon générale, une complémentaire obligatoire non émise par la Sécu peut devenir un plus contre la Sécu.
Car, c’est un secret de polichinelle que la séquence suivante, si le rapport des forces ne change pas dans le syndicalisme, dans le champ politique, une nouvelle répartition sera mise en œuvre entre la Sécu et les complémentaires, au détriment de la Sécu. On comprend alors que le problème est du même ordre que celui de la capitalisation. Les directions syndicales qui ont signé ces propositions se sont-elles rendu compte que cela entre en contradiction avec le projet de Sécurité sociale intégrale (pour la CGT) ou Santé 100 % Sécu que certaines défendent par ailleurs ?
Il est également incroyable que les trois versants de la fonction publique n’aient pas discuté ensemble. Cela aurait évité la pire des signatures dans la fonction publique territoriale. Le nouvel accord permet à l’employeur de faire basculer des salariés en invalidité pour finir aux minima sociaux arrivés à la retraite.
Que faire ?
Là encore, on voit où nous mène la faiblesse des formations dans les organisations de gauche, qu’elles soient syndicales, politiques ou associatives. Répéter, c’est enseigner : lier les luttes sociales à de la formation politique est indispensable. L’utilisation ad nauseam du slogan « taxer les riches » ne permet pas de résoudre tous les problèmes humains.
Notes de bas de page
↑1 | Voir : Vous avez cherché Sécurité sociale · ReSPUBLICA. |
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↑2 | il ne reste que 50 % de cotisations sociales dans son financement. |
↑3 | assurance-maladie, retraites, famille, accidents du travail et maladies professionnelles et Autonomie (depuis 2020 pour cette dernière). |
↑4 | comme pour la mortalité infantile ou pour les décès au travail, par exemple, ou encore sur le mal-logement. |
↑5 | Voir : La gauche face à la guerre sociale dans le capitalisme · ReSPUBLICA. |