Madame Chérifa Bouatta est en Algérie, professeure de psychologie à l’université d’Alger, membre d’une association de psychologue, la SARP, et directrice de la revue, Psychologie. Elle est aussi membre, depuis les années 1980, de l’association, Défense et promotion des droits des femmes. Cette association revendique l’égalité totale des droits entre les hommes et les femmes. Mais pas seulement, parce que l’expérience des autres pays leur a montré l’insuffisance de l’égalité juridique. C’est pour cette raison qu’elle estime qu’il leur faut être vigilantes, car les pouvoirs politiques en place, peuvent facilement brader les droits des femmes, lesquelles sont partie prenante de tous les mouvements sociaux et politiques, qui traversent leurs pays, en l’occurrence l’Algérie. Enfin, Madame Bouatta est également membre du récent Observatoire national contre les violences faites aux femmes, en Algérie.
Hakim Arabdiou : Que vous inspire, en tant que citoyenne, en particulier en tant que féministe algériennes, le renversement des présidents dictateurs et maffieux, tunisien, égyptien, en attendant celui de Keddafi, ainsi que le vent de la contestation qui souffle sur le monde arabe et l’Iran actuellement ?
Chérifa Bouatta : la chute des dictatures est évidemment pour tous les citoyennes et citoyens du monde arabe quelque chose qui redonne beaucoup d’espoir et qui inscrit-à mon avis- le monde arabe dans le futur, dans l’avenir. Nous avons vécu dans des sortes de “monde figé” où la dictature faisait partie de notre histoire, de notre quotidien ; où les répressions, les emprisonnements étaient devenus quelque chose d’attendus et la démocratie quelque chose de lointain, un horizon difficilement atteignable. La chute des dictatures doit avoir lieu, sans intervention extérieure, par les seules volonté et forces des peuples musulmans. Ceci ouvre une nouvelle page d’histoire pour nos pays et réfute la thèse des “spécificités”, qui condamnaient jusque-là nos pays à vivre sous dictature. Sans pour autant faire l’économie de la question relative au faite que la majorité de nos pays vivent sous dictature.
Je crois qu’après la chute des dictatures se posent à nos pays les vraies questions : les choix économiques et politiques, l’égalité entre les hommes et les femmes, ainsi que la créativité qui permet aux individus et aux groupes de s’épanouir, d’écrire, de réfléchir, de penser librement. Il est vrai que l’Algérie n’est pas encore dans cette dynamique, mais je suis certaine que ce vent de changement va la toucher et toucher l’ensemble du monde arabe, même si les scénarios qui seront adoptés par les différents peuples seront différents. Le moment est venu pour nous de nous débarrasser de la peur qui nous habite. C’est quand même fou d’avoir peut parce que vous avez des idées différentes, parce que vous avez écrit un livre, parce que vous revendiquez des droits… Les murs de la peur, qui avaient été érigé, sont en train de tomber et les leçons à tirer ne concernent pas seulement le monde arabe, je pense que ça relève de questions qui se posent à toute l’humanité.
H. A : Votre association féministe, ainsi que plusieurs plusieurs associations de même genre, vient de rejoindre officiellement à la Coordination nationale pour le changement et la démocratie en Algérie. Pouvez-vous expliciter à nos lecteurs les raisons de votre adhésion ?
C. B. : Les féministes algériennes ont rejoint la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD), en tant que représentantes de l’Observatoire contre les violences faites aux femmes. Il est clair pour nous que nous ne pouvions être à l’écart de mouvements qui appellent au changement, à la chute de la dictature. En vérité, le mouvement féministe algérien s’est toujours pensé partie prenante des questions essentielles qui se posent à son pays : la démocratie, la justice sociale … Ceci d’autant plus que la question des femmes est éminemment politique et s’inscrit tout naturellement dans une perspective démocratique. Nous n’avons jamais été sourdes aux pulsations de notre société ; nous avons toujours été présentes pour revendiquer un État de droit, au service de notre peuple.
H. A : Les organisations féministes, et les forces progressistes en France, n’ont pu que se réjouir de votre création récemment en Algérie d’un Observatoire contre les violences faites aux femmes ; une création qui a suivi de peu votre élaboration d’un projet de loi-cadre contre les violences faites aux femmes. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
C. B. : En effet un observatoire contre les violences faites aux femmes a vu le jour le mois de janvier. Cette idée a émergé après les violences faites aux femmes de Hassi-Messaoud, en 2010, une ville pétrolière dans l’extrême sud algérien. Des femmes de différentes associations se sont réunies et s’est posée la question du quoi faire pour aider les femmes victimes de violences ? Certaines femmes pensent qu’il faut se doter d’un dispositif qui permette non seulement de réagir, mais aussi de prévenir les violences faites aux femmes. C’est l’expérience de plusieurs années de lutte et de réflexion qui a donné lieu à cette instance qui se définit d’emblée comme impliquée dans les luttes démocratiques et sociales qui ont lieu dans notre pays et qui se tient aux côtés des femmes évidemment mais aussi aux côtés des jeunes, des plus vulnérables…
H. A. : Enfin, pouvez-vous nous dire où en est votre mise en débat l’inégalité de l’héritage en islam au détriment des femmes
C.B. : Certaines associations féministes revendiquent l’égalité de l’héritage entre les femmes et les hommes. Vous savez qu’en islam, il y une discrimination dans ce cas. Mais en ce qui nous concerne nous demandons l’abrogation du code de la famille et le recours à des lois civiles. La référence à l’islam se fait souvent au détriment des femmes et d’ailleurs les discriminations actuelles sont expliquées par la référence à la chari’a. Sans entrer dans un long débat qui montrerait différentes lectures de l’islam faites par des femmes, des hommes éclairés, la majorité des associations de femmes algériennes demandent tout simplement l’abrogation du code de la famille. Nous avons eu dans les années 1980 deux options chez les femmes : celles qui demandaient l’abrogation et celles qui demandaient des amendements, aujourd’hui sur cette question nous sommes toutes d’accord, nous demandons son abrogation.
Propos recueilli par Hakim Arabdiou