Une théorie prouve-t-elle le racisme ? 1/2

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Peut-il exister « un racisme sans racistes » et revient-il au sociologue de jouer au procureur (ou au militant) incriminant des personnes qui seraient pétries de ce « racisme systémique », à leur insu ? Telles sont les deux questions que le sociologue Daniel Bizeul pose dans ce texte publié en deux parties dans la rubrique de ReSPUBLICA consacrée au wokisme. La réponse est doublement négative. Daniel Bizeul est un sociologue très rigoureux et très attentif à la singularité et à la multidimensionnalité des contextes dans lesquels les acteurs sociaux agissent. C’est dire s’il ne goûte guère les paralogismes, les syllogismes et les raisonnements circulaires de la plupart de la production « intersectionnelle » actuelle. En effet, l’une des particularités de ces « travaux » est de poser au point de départ qu’il existe un « racisme systémique » ; toutes les données recueillies – si enquête il y a – sont passées au tamis de ce présupposé qui, bien entendu, est validé au final. L’intersectionnel ne se laisse jamais surprendre par son « terrain ». Son idée est déjà faite avant de le commencer : « l’homme blanc » est coupable. Cette circularité idéologique donne lieu parfois à des contorsions comiques auxquelles nombre de « revues à comité de lecture » semblent ne plus avoir à redire. Avec les « travaux intersectionnels », on est très loin de la précision d’un Howard Becker ou d’un Erving Goffman. Et pour cause : on baigne dans l’idéologie et les biais de confirmation. Daniel Bizeul a donc constitué un échantillon de la production « intersectionnelle » sur le racisme et en démonte minutieusement les rouages pour en montrer l’inanité. Il connaît bien le sujet : il a publié un grand livre aux éditions La Découverte, intitulé Avec ceux du Front : un sociologue au Front national en 2003. Mais à rebours des nouveaux inquisiteurs wokes, il est animé en tant que sociologue par le principe de bienveillance. Laissons-lui la parole :

« Si elle est un argument doté d’un fort crédit pour ceux qui en admettent la portée, et en cela est mobilisable lors d’une contestation ou d’un procès, l’explication par un critère unique ou principal ne peut satisfaire le sociologue qui s’astreint à rendre raison des situations en s’attachant à l’historicité et à l’entièreté de l’être-là des individus, replacés dans les contextes qui sont les leurs. Procéder de cette façon, c’est être fidèle à la promesse de vérité envers le monde empirique dont se réclament les sociologues, et c’est ré-humaniser les individus, et ainsi leur rendre justice, à l’encontre de la vision schématique induite par l’argumentation militante ou judiciaire. »

On ne saurait écrire un propos plus anti-intersectionnel que celui-ci quant au métier de sociologue. Le travail du sociologue vise à restituer le plus précisément possible le cours des interactions sociales en contexte et en suspendant tout jugement a priori. C’est aux lecteurs qu’il revient de tirer les leçons qu’ils veulent des enquêtes. Si vous parlez d’emblée de « racisme systémique », de « privilège blanc » ou de « blanchité » vous contrevenez immédiatement à cette règle puisque dès lors qu’un enquêté est « blanc », il est raciste même s’il ne l’est pas dans ses actes (et ses pensées !). Réciproquement, les enquêtés « non-blancs » seront des « racisés », même s’ils n’ont jamais été victimes d’actes racistes, et surtout, ils ne peuvent « raciser » d’autres personnes : ils sont des victimes, jamais des coupables. Or, tout un chacun sait que le racisme n’est pas l’apanage des « Blancs » ! (Voir par exemple les entretiens avec Aurélien Aramini et Nedjib Sidi Moussa. Les « travaux » intersectionnels sont donc factuellement faux en plus d’être peu rigoureux – euphémisme – quant à la méthode.

 

Le texte de Daniel Bizeul est donc indispensable, même s’il est exigeant, et la rédaction est très honorée de pouvoir le publier.

Frédéric Pierru

Quelques mots sur l’origine et le parcours de ce texte. Il a pour point de départ des entretiens sur l’expérience vécue du racisme réalisés en 2019 par Rachid Bathoum, qui a ensuite proposé à plusieurs chercheurs d’en faire l’analyse chacun de leur côté. Les textes issus de ce travail de réflexion vont paraître prochainement dans un livre sous sa direction (Bathoum, 2024). Bien que ma ligne d’analyse soit en porte-à-faux avec les objectifs de l’étude et avec ses propres convictions, il a jugé bénéfique de faire cohabiter des visions discordantes au sein du même livre et m’a apporté son soutien amical quand je m’inquiétais de l’utilité de mon texte. Je le remercie d’avoir eu cette audace et cette générosité.

Ce premier texte, basé sur des entretiens, m’a conduit à un second texte de registre épistémologique que j’ai adressé à trois revues majeures de sciences sociales. Elles l’ont chacune refusé en invoquant divers motifs (dont je proposerai ultérieurement une analyse). C’est ce texte que ReSPUBLICA accueille, par l’intermédiaire de Frédéric Pierru. Je lui en ai, ainsi qu’au comité de rédaction, une grande reconnaissance. Plusieurs points d’analyse et une partie des références ont été écartés pour correspondre aux normes de la revue (une version complète paraîtra en 2024 dans un livre également sous la direction de Rachid Bathoum).

Pour ce travail de réflexion, j’ai bénéficié de nombreux échanges avec des collègues de conceptions opposées au cours de ces quatre ans. Bien qu’attentif à ne pas m’écarter des enjeux épistémologiques, je n’ignore pas les ancrages personnels de toute ligne d’analyse, ni les implications morales et politiques qui s’y rattachent. Je prends ainsi le contre-pied de points de vue défendus par des amis et des proches collègues, certains dont les écrits sont cités, et, en parallèle, me trouve en phase avec d’autres qui ont lu et commenté l’une ou l’autre des versions de ce texte. Ma dette est envers toutes celles et ceux qui ont accompagné ce travail de réflexion, que ce soit en accord total ou partiel, ou en désaccord avec mes options. J’avais besoin de comprendre et de rendre claires pour moi les raisons qui m’ont fait ne pas recourir aux théories et vocabulaires utilisés par nombre de mes collègues, malgré des terrains d’enquête directement concernés par le critère de la race et par la question du racisme.

Daniel Bizeul


Faire état de discriminations raciales, d’agressions racistes ou de sociétés minées par le racisme, comme s’y emploient de nombreuses enquêtes, comporte plusieurs difficultés. La plus immédiate réside dans le recours à l’une ou l’autre des diverses déclinaisons et extensions du mot race, telles que : racisme, raciste, racisant, racisé, racisme institutionnel, racisme systémique, racisme d’État. La présence de ces formules dans les textes de sociologues et de politistes est désormais courante, comme l’atteste un comptage réalisé à partir de la plate-forme Cairn (voir annexes, tableau 1). Elle semble désigner des situations définies à la signification évidente ou des phénomènes solidement établis. Or ces formules, tout comme une multitude d’autres, tels suicide, maladie mentale, maltraitance, violence sexuelle, délinquance, impliquent des jugements permettant de faire entrer les actes de l’existence ordinaire ou des informations de divers ordres dans un cadre particulier, celui du racisme ou de la discrimination dans le cas présent, autrement dit de qualifier et catégoriser des événements en vertu de certains critères et des mots disponibles. Mais, sauf exception, il est rare que divers protagonistes ou témoins aient la même version d’un événement, fût-il aussi circonscrit que la réprimande d’un élève pendant un cours ou une altercation sur un terrain de foot, la dimension raciale se trouvant impliquée dans les deux cas (Guérandel, 2022 ; Nazareth, 2020), et tout aussi rare que des lecteurs différents perçoivent pareillement ce qui est survenu à partir du récit qui en est fait. Il en va de même, à plus forte raison, pour les données des organismes officiels destinées à jauger l’état d’un pays, notamment en matière de racisme.

Des études en grand nombre offrent néanmoins des prises pour faire apparaître les mécanismes du désavantage et de l’humiliation associés à la migration depuis les ex-colonies, et, plus généralement, au fait d’être perçu comme un étranger au corps social à cause de la couleur, de l’origine ou de la religion, dès lors considéré avec soupçon en nombre d’occasions et traité de façon inégalitaire. Elles ne suffisent pas, cependant, aussi éloquentes et informées semblent-elles, pour attester de façon convaincante, irréfutable, de la réalité de ce qui est qualifié de racisme, encore moins des effets de ce racisme sur les personnes ou sur l’état moral d’une société.

Dire que des entretiens, des données statistiques ou d’autres types de documents ne permettent pas, à eux seuls et par eux-mêmes, d’établir le caractère raciste des événements relatés, ni l’étendue des discriminations raciales dans un contexte européen, notamment la France, ni leur impact psycho-social sur les individus, n’est pas une façon de nier l’existence des insultes, des exclusions et des rabaissements du fait de l’apparence physique ou du patronyme dans les situations de travail, pour l’accès au logement et à certains lieux, ou lors des contrôles policiers. Nombre d’enquêtes, notamment par testing, en attestent sur un mode démonstratif (Jobart et al., 2012 ; Le Gallo et al., 2019 ; Dares, 2021). Des enquêtes ethnographiques en offrent des exemples au sein des salons de coiffure (Desprat, 2018), lors des contrôles policiers (de Maillard et Zagrodzki, 2017), au travers de scènes racontées en entretien (Talpin et al., 2021, 54-131), dans les décisions de médecins-légistes (Juston Morival, 2020, 96-98, 196-197).

Ce n’est pas ignorer non plus l’existence des stéréotypes, qui forment un ingrédient ordinaire de l’existence collective, et qui peuvent être désobligeants et propices à l’hostilité au-delà de ce qui est habituel à l’encontre de certaines populations, dès lors induisant des formes de rejet ou de mépris. Une chose est d’être convaincu de la réalité de ces phénomènes, suffisamment documentés, connus par soi-même ou au travers des proches, autre chose est de décrire les mécanismes à l’œuvre et de pouvoir en isoler la dimension proprement raciale si c’est le cas, lui octroyant le rôle de cause principale ou unique, et autre chose encore de pouvoir désigner un mobile, un projet ou un état collectif clairement racistes.

Or il est usuel pour chacun dans la vie quotidienne de qualifier de « racistes » des déclarations, des individus, des organisations, des inégalités, dès qu’il est question d’événements ou d’états de fait impliquant la dimension raciale. Ce l’est également pour les sociologues, qui demeurent dépendants des mots ordinaires dans leurs comptes rendus d’enquête et leurs analyses. Entrer sur le terrain du racisme, ou des discriminations raciales, deux notions employées indifféremment dans nombre de publications, c’est devoir se frayer un chemin parmi une multitude de textes, pour la plupart qualifiés de sociologiques ou de scientifiques, dont beaucoup utilisent un cadrage théorique et un vocabulaire aux implications morales et politiques. La notion de « racisme institutionnel » apparaît ainsi à la fin des années 1960 dans les écrits de deux militants Black Panthers, dont l’un est devenu chercheur en sciences politiques (Carmichael et Hamilton, 2009 [1967], 38). Elle est reprise avec une visée explicitement politique par divers groupes antiracistes français créés au milieu des années 2 000 (Picot, 2016, 47-60), et, désormais, par nombre de sociologues. Le recours à des notions de portée militante par les sociologues n’est pas nouveau et n’est pas en soi un problème. Elle le devient, en revanche, lorsque ces notions s’imposent à la façon de quasi-concepts propres à dénommer, subsumer et expliquer les phénomènes sociaux. Car, loin d’être éclairantes, elles risquent de faire obstacle à une enquête libre et impartiale par la priorité accordée à l’émancipation sociale et à la lutte en faveur des opprimés. C’est alors un monde social pré-découpé et pré-analysé selon les critères moraux et politiques tenus pour décisifs qui se trouve représenté.

Le risque est une étude induite par les intérêts et les prises de parti d’un milieu, d’un mouvement ou d’une organisation avec lesquels les enquêteurs sont en phase du fait de leurs propres convictions ou allégeances (Grignon, 2000, 106-107). Il serait cependant absurde d’imaginer une totale séparation entre l’univers des sciences sociales et l’univers moral et politique et tout aussi absurde d’espérer un vocabulaire détaché de toute émotion et de tout enjeu politique (Gouldner, 1968 ; Stoczkowski, 2019). C’est notamment le cas pour ce qui a trait au racisme, en particulier dans une période d’affrontements idéologiques et politiques exacerbés (Fassin, Ibos, 2021). Les questionnements et les prudences de la rigueur académique peuvent alors paraître superflus, politiquement fautifs, face à l’urgence militante. S’en tenir à un exercice strict du métier de sociologue s’avère en effet décevant si l’objectif est de prouver le rôle spécifique et structurant d’un facteur déterminé, ici celui de la race, dans l’état du monde social ou dans le déroulement des interactions.

Le point commun de nombre d’études préoccupées par la question raciale, parfois qualifiées et se qualifiant de postcoloniales, est l’affirmation que le racisme est consubstantiel aux sociétés ex-coloniales, car apparu avec la traite esclavagiste et les colonisations d’origine européenne, si bien qu’il se trouve disséminé dans le corps social, notamment sa composante blanche, faisant de tout individu blanc un raciste en puissance (une expression paradigmatique de ce point de vuese trouve dans Guénif-Souilamas, 2020 ; Salomone-Sehr, 2022). Une multitude de propos, d’observations, de données statistiques suffisent à l’accréditer, une fois insérés dans le schéma explicatif destiné à en révéler le sens profond.

La volonté d’instruire la réalité invasive du racisme pour rendre visible ce que le regard ordinaire ne perçoit pas ou s’efforce d’ignorer ne détourne-t-elle pas cependant d’une observation patiente et méticuleuse, attentive aux complexités du monde empirique ? L’affirmation qui fait de la colonisation la cause première des difficultés des migrants et de leurs enfants paraît ainsi « plus souvent postulée qu’établie de façon objective », note Olivier Masclet (2017, 137). S’il subsiste des traces ou des survivances des rapports inégalitaires constitutifs de l’emprise coloniale, en particulier dans les relations entre États, les politiques migratoires, les catégories administratives, nombre d’imageries ordinaires, celles-ci ne s’imposent pas de façon linéaire et homogène, ni au même degré, rendant délicat de caractériser de racistes les sociétés actuelles (Saada, 2006). La qualification de « raciste » adressée à une ouvrière après qu’elle a été licenciée pour des réflexions de type raciste paraît de même hâtive si, au même moment, il est ajouté que cette ouvrière est appréciée des intérimaires d’origine maghrébine et antillaise pour des marques concrètes de solidarité à leur égard et est par ailleurs une militante syndicale de la CGT dont la direction voulait se débarrasser après une grève longue (Sorignet, 2021).

En quoi les principes d’analyse exposés et mis à l’œuvre dans une partie des études sur la race et le racisme sont-ils un obstacle pour une enquête au plus près du monde réel, à la fois imprévisible et récalcitrant, ainsi qu’il s’offre à l’expérience ordinaire, tel est l’enjeu de ce texte. La notion de racisme est au cœur de la difficulté, par le fait qu’elle accuse autant qu’elle caractérise, si bien qu’elle est un point d’affrontements usuel, y compris parmi les sociologues, pour savoir si elle peut être, doit être ou ne doit pas être employée concernant telle déclaration ou tel événement. Cette difficulté est rendue explicite et abordée de front dans l’ouvrage dirigé par Rachid Bathoum (2024), et dans un article de Solène Brun et Patrick Simon (2022). Ce sera le premier point du texte. Ensuite, je ferai état de plusieurs théories ou modalités rhétoriques qui ont pour spécificité d’étendre aux nations ex-coloniales dans leur entier, et, de là, à l’ensemble des Blancs, une inclination au racisme, ou, du moins, ce qui y trouve sa source pour une partie des chercheurs, un privilège particulier et méconnu attaché au fait d’être blanc (par exemple Cervulle, 2012). Les énoncés suivants en constituent les arguments centraux : les stéréotypes associés à la race sont une preuve de racisme ; la caractérisation de race permet de déterminer qui est enclin au racisme ; la domination raciale est au principe de l’ordre du monde ; le racisme existe sans besoin d’individus racistes.

Un corpus de textes ayant en commun la thèse d’un racisme prégnant

Mon analyse porte sur un ensemble de textes qui ont paru ces dix dernières années dans les principales revues de sociologie et sciences politiques de langue française et dans divers ouvrages collectifs (la liste des revues figure en annexe, tableau 2). Elle prend également en compte des textes publiés antérieurement ou diffusés ailleurs, pour partie dus aux mêmes auteurs.

Ces textes ont pour objet principal les situations et phénomènes à dimension raciale et, sauf exception, soutiennent ou admettent la thèse d’un racisme prégnant, alors qualifié de systémique, structurel ou institutionnel. Ils utilisent aussi les notions de racisation ou de racialisation, de racisant et de racisé, devenues d’usage commun désormais. Ce vocabulaire et les lignes d’analyse associées contribuent à l’image d’un « sous-champ de la question raciale » (Bouzelmat, 2019) relativement circonscrit. De façon logique, ce sont des revues au projet militant ou humaniste qui offrent le plus de textes incluant ces mots : Mouvements a ainsi pour objectif d’« alimenter le débat social, culturel et politique dans une perspective résolument ancrée à gauche », Hommes & Migrations « interpelle les publics sur les grands enjeux de notre société : la diversité culturelle, l’intégration et la citoyenneté, l’hospitalité et le rapport à l’autre, etc » (consultation des sites internet le 20 septembre 2023).

Ce sont ainsi près de 200 documents apparentés les uns aux autres qui me servent de base. Je n’indique pas un nombre à l’unité près, comme il est usuel. C’est en effet de façon incidente que j’ai débuté cette étude au début de 2022, ce qui m’a conduit à lire non seulement des textes déjà parus à ce moment-là, mais également des textes parus ensuite, si bien que mon corpus de départ n’a cessé d’augmenter. Celui-ci provient pour moitié de la consultation de la plate-forme Cairn, et pour moitié d’un cheminement en étoile à partir des noms d’auteurs et de ceux figurant dans les bibliographies, à quoi s’ajoute la lecture d’ouvrages et de dossiers spécifiques. C’est aussi parce que, loin de l’image de robustesse pouvant être associée à ce signe de rigueur méthodologique, déclarer un nombre défini de textes s’apparente le plus souvent à un sauf-conduit dont se prévaut l’auteur face à l’impossibilité pratique, notamment pour une raison de volume, de justifier dans le détail la façon dont il utilise les textes : seuls quelques-uns sont sélectionnés, seules quelques phrases ou quelques mots sont cités. C’est avant tout la méthode d’enquête mise à l’œuvre selon un objectif clairement énoncé et c’est le degré de cohérence et de pertinence du montage argumentatif, dont il revient au lecteur de juger du bien-fondé, qui donnent crédit à l’auteur.

Mon objectif est de mettre en évidence les points aveugles de schèmes et de vocabulaires en usage, de signaler les impasses ou les absurdités qui en découlent, non d’esquisser un inventaire des études sur la question raciale avec la diversité des lignes d’analyse et des spécialistes, ou un historique des notions faisant apparaître les influences entre États-Unis et Europe, comme l’ont fait notamment Daniel Sabbagh (2022) ou Solène Brun et Claire Cosquer (2022). Le corps doctrinal ici rendu explicite et ramené à ses points saillants se manifeste toutefois sous des formes variées, tantôt nuancées et interrogatives, tantôt paradigmatiques, usant alors de la rhétorique tranchante du manifeste. La première modalité va souvent de pair avec des enquêtes méticuleuses, la seconde avec l’exégèse d’écrits dus à des autrices ou auteurs devenus canoniques. C’est donc rarement la totalité d’un texte, encore moins l’ensemble des travaux d’un auteur ou la globalité d’un courant sur lesquels portent ma critique.

En contre-point, je ferai référence à des enquêtes de type ethnographique témoignant que le monde empirique ne peut se réduire à des schèmes d’analyse aussi généraux, qui conduisent à une vision décontextualisée et désincarnée de l’existence humaine, proche par moments d’être manichéenne. Dans le texte qui forme le versant empirique de celui-ci, et qui en est à l’origine, j’explique pourquoi il me paraît justifié ou contestable de recourir à la qualification de raciste concernant diverses « scènes parlantes » précisément relatées (Bizeul, 2024). Une chose en effet est de désigner les lignes de force du monde social, et, ainsi, de rendre visibles des frontières et des lieux d’antagonisme plus ou moins exacerbés, autre chose est de décrire le monde réel, à la fois chaotique et non prédictible, avec la diversité des individus concrets, la malléabilité des interactions, les limites inépuisables imposées à la volonté de savoir et d’agir.

Les stéréotypes associés à la race sont-ils une preuve de racisme ?

En phase avec les usages communs, les chercheurs s’attachent ainsi à recueillir, et à qualifier de racistes, les stéréotypes exprimés par des Blancs ou dont la paternité peut leur être attribuée concernant les personnes ou les catégories qui diffèrent d’eux par la couleur, l’origine, le mode de vie, la religion. La conséquence est de faire de l’ensemble des Blancs des racistes en puissance, car aucun n’est exempt d’idées reçues, de lieux communs, de préjugés, qui peuvent être hostiles (en cela condamnables), élogieux (dès lors soupçonnables de romantisme déplacé), misérabilistes (laissant percevoir un sentiment de supériorité sous couvert de bienveillance). Loin d’être une singularité de l’analyse sociologique, la dénonciation de l’image « misérabiliste (suspectée d’idéologie) ou pittoresque (suspectée de paternalisme) » est la reprise d’un lieu commun du discours officiel produit par l’administration et par divers organismes publics au cours des années 1970 sous l’influence de nécessités diplomatiques et électorales (Laurens, 2017, 23).

La catégorie « Noirs », indissociable de « ses origines esclavagistes et colonialistes », comporterait ainsi « l’idée d’une proximité particulière avec la nature » et « une certaine dose de bestialité pouvant s’exprimer sous une forme positive (ils ont le rythme dans la peau) ou négative (une infériorité intellectuelle) ». Employer le mot « Noir » est dès lors une forme de racisme, conclut Christian Poiret (2011, 114). Les coiffeurs de type africain ou arabe, parfois écartés des salons de coiffure fréquentés par des personnes âgées, peuvent à l’inverse être recherchés par ceux orientés vers une clientèle jeune et urbaine (Desprat, 2018, 40) : « Ils seraient plus agiles de leurs mains et seraient plus précis et rapides. En somme, ils détiendraient des aptitudes physiques et manuelles que n’auraient pas les coiffeurs “causasiens”. » Mais, aussi positive soit cette observation, elle est une « naturalisation des compétences » qui « n’en reste pas moins une forme détournée de stéréotypes racistes à l’encontre d’un groupe d’individus », analyse l’auteure.

La plupart des enquêtes de ce genre comportent un angle mort, du fait d’une approche unilatérale et cloisonnée où le critère de race décide de qui interroger, ce qui fait du racisme une explication évidente, faute de comparaison avec d’autres catégories. Il n’est jamais envisagé que les mêmes traits ou types de conduite chez des Blancs entraînent des jugements ou des décisions similaires de la part d’autres Blancs aussi bien que des non-Blancs, si l’on s’en tient à ces catégories sommaires. Si les coiffeurs de type arabe ou africain se voient dotés de qualités spécifiques, n’est-ce pas également le cas pour des coiffeurs blancs, à quoi il faudrait ajouter les spécificités tenant au sexe, à l’âge, au style relationnel ? De façon équivalente, en référence à une enquête sur la pornographie basée sur le recueil des fantasmes de neuf homosexuels blancs (Vörös, 2020, 135-144) amenant à établir que les gays qui utilisent Citébeur, un site spécialisé dans le porno avec des hommes arabes et noirs ayant le stéréotype du lascar, font preuve de « racisme sexuel » (p. 143), ne faut-il pas imaginer que les hommes de type africain ou arabe aient des fantasmes similaires envers les corps blancs, comme envers les corps noirs ou arabes, tout comme il en va probablement des Blancs envers les corps blancs, amenant les uns et les autres à réifier ces objets de rêverie sexuelle ?

La condamnation des stéréotypes comme racistes comporte une variante de tonalité philosophique, tels « naturalisant », « essentialisant », « substantialiste ». Ces termes découlent de l’idée que toute désignation des individus au moyen de traits morphologiques revient à les réduire à leur substrat biologique, autrement dit à « une nature », « une essence », « une substance », selon des termes utilisés l’un pour l’autre et valant condamnation. Ce serait les réifier ou les animaliser, et, ainsi, les déshumaniser, ce qui est l’amorce de la négation de l’autre rendant possible de le mépriser et l’écraser. Ce soupçon de déshumanisation, typique du racisme de fond biologisant, est souvent diagnostiqué sans rien connaître des personnes ni des situations, parfois au vu d’un mot unique entendu lors d’un échange.

Ainsi, l’emploi du mot « cortiqué » par un médecin (ou plusieurs, ce n’est pas clair dans le texte) pour évoquer l’incapacité de patients de type africain à comprendre leur problème de santé et ses conséquences conduit à ce commentaire de portée générale (Cognet et al., 2017, 51) : « De telles incapacités paraissent associées à l’idée de différences de “races” quand les soignants disent de ces patients qu’ils “ne sont pas vraiment cortiqués”, ce qui, en terme métaphorique, les assimile au rang animal, dépourvus de cortex cérébral, soit de “matière grise”. »

Procéder ainsi revient à faire comme si les mots avaient une signification et des implications identiques d’une personne à une autre et d’un contexte à un autre, si bien qu’il serait possible d’accéder aux pensées les moins avouables ou les moins conscientes des individus au travers d’un simple mot. Une analyse sociolinguistique attentive aux significations en acte des paroles oblige à écarter l’idée d’une langue partagée, y compris au sein d’un même univers social (Juillard, 2016).

Les stéréotypes présentent l’avantage d’être faciles à documenter, puisqu’ils sont omniprésents, formant un ingrédient usuel des relations dans toutes les sociétés. Chacun en est imprégné et en use à chaque instant, sinon publiquement, du moins en privé, concernant les catégories les plus diverses, notamment socio-ethniques ou raciales, mais également les riches, les pauvres, les jeunes, les supporters de foot, les écologistes, les gens de droite ou de gauche (Guérout, Mauduit, 2023). Il s’agit de représentations simplificatrices et globalisantes, comme telles fausses ou partielles dans la plupart des cas particuliers, qui découlent de la réputation attachée à un groupe et qui orientent les perceptions ordinaires et s’en nourrissent, selon divers mécanismes d’ordre cognitif et psycho-social (Salès-Wuillemin, 2006 ; Leyens, 2012, 71-87).

Loin d’être anodins, toutefois, ils entrent dans la définition des situations et ainsi influencent les lignes de conduite, se combinant alors à d’autres aspects parfois plus décisifs, sans qu’il soit possible d’en déterminer par avance l’impact réel et spécifique. C’est le cas en tous domaines de la vie sociale, avec des conséquences diverses, faisant alterner l’entente, l’intérêt partagé, la suspicion, le maintien à l’écart, notamment en raison de la couleur, l’origine, la culture, au même titre que d’autres caractéristiques, comme le sexe, l’âge, le style relationnel, l’état physique, l’orientation sexuelle, l’affinité partisane. Si des liens existent entre les stéréotypes et les conduites réelles, ils ne consistent pas en de simples et mécaniques passages à l’acte, comme en attestent des enquêtes rigoureuses montrant des conduites dissociées des stéréotypes, ou, même, à contre-sens de ces stéréotypes (Deutscher, 1973).

Soit cette enquête réalisée au début des années 1930 par Richard LaPiere (1973). Celui-ci sert de guide à un jeune couple de Chinois à travers les États-Unis, ce qui les conduit dans 251 établissements (hôtels, restaurants, campings). Malgré l’hostilité générale envers les Chinois, et bien que lui-même se tienne à l’écart au moment d’entrer, ils sont partout bien accueillis. Six mois plus tard, le sociologue adresse cette question aux patrons des mêmes établissements ainsi qu’à d’autres des mêmes secteurs : « Accepteriez-vous des Chinois comme clients dans votre établissement ? » La réponse des uns et des autres est « Non » à 90 %.

C’est dans cette discordance entre les stéréotypes et les conduites réelles que réside toute la difficulté de l’entreprise consistant à étudier les discriminations, ou le racisme, le sexisme, le mépris anti-vieux ou anti-jeune, l’écrasement de classe, car, à l’encontre de la facilité conduisant à interroger des panels au moyen de questionnaires et à prendre appui sur des représentations prises pour un reflet des pratiques effectives, il est nécessaire de s’astreindre à observer les actions de près et dans la durée, en variant les configurations interactionnelles et les contextes, tout en laissant de côté, au moins provisoirement, toute inclination morale et politique.

Sans doute serait-il préférable de parler de stéréotypes raciaux, ethno-raciaux, socio-ethniques ou culturalistes comme le font d’autres chercheurs (Galonnier, Naudet, 2019 ; Bertheleu, 2022), et, plus généralement, d’user avec parcimonie de mots comme « raciste » ou « racisme », ce qui vaut également pour d’autres mots générés selon le même principe. Les enquêtes de Manuel Schotté (2008) sur les stratégies de subsistance et d’insertion des coureurs à pied marocains immigrés en France et en Belgique, pour beaucoup en situation irrégulière, et d’Annalisa Lendaro (2013) sur les modes d’adaptation de deux générations d’immigrés confrontés à des règles changeantes d’une période à une autre en matière de droit de séjour, d’accès au logement, d’admission à l’emploi, de regroupement familial, conduisent ainsi à deux textes qui ne font pas appel à la notion de racisme. Leur documentation méticuleuse basée sur des liens étroits et impliqués de longue durée leur permet de laisser de côté une qualification délicate à établir, sujette à contestation, et, ainsi, de faire ressortir les mécanismes multiples et imbriqués qui sous-tendent les parcours. Nombre de lecteurs des deux enquêtes ne peuvent manquer cependant d’avoir le sentiment de réflexions ou de gestes racistes au vu de certaines des situations relatées.


Bibliographie

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Annexes : Le vocabulaire de la race et du racisme dans les publications de sciences sociales

Les données ci-dessous proviennent de la plate-forme Cairn consultée le 16 septembre 2023. Elle permet de dénombrer les textes où figure un mot-clé déterminé selon plusieurs critères, dont la discipline (par exemple « sociologie et société », « sciences politiques »), le titre des revues (au nombre de 605), la période de parution (cette année ; 3, 5 et 10 dernières années ; toutes). Certains textes figurent dans les deux disciplines retenues. Plus généralement, les chiffres fournis ne correspondent pas toujours à l’unité près au nombre d’articles réellement parus sur une période donnée.

J’ai utilisé les mots-clés typiques du courant d’études postulant la prégnance du racisme, comme racisé (masculin ou féminin, singulier ou pluriel), « racisme systémique » et les formules apparentées (« racisme systémique OU racisme structurel OU racisme institutionnel »).

Les données signalent, et ainsi permettent d’atteindre, tout un ensemble de textes. En pratique, seule une fraction d’entre eux conviennent au corpus, ce qui réduit rapidement le nombre utilisable. Dans le cas présent, l’association des trois mots-clés systémique-structurel-institutionnel fait ressortir 380 textes pour les dix dernières années, mais au final il en reste à peine une centaine. Si le mot-clé fait ressortir le texte parce qu’il est employé en marque d’adhésion à la théorie, ce peut être également parce qu’il apparaît dans un des titres de la bibliographie, parce qu’il s’agit de la recension d’un ouvrage, ou parce que le texte signale le concept à titre informatif, interroge le bien-fondé de son emploi, ou, encore, conteste avec vigueur son usage politique. Autrement dit, il est impossible de tirer des conclusions précises de ces données qui agglutinent des situations textuelles de divers ordres. Ce l’est d’autant plus que le nombre d’articles concernés dépend du nombre de numéros et d’articles publiés chaque année par chaque revue.

Du moins les données font-elles apparaître l’importance accrue de ces mots-clés d’une période à une autre et le rôle majeur tenu par plusieurs revues dans la diffusion du courant d’idées dont ils sont l’émanation.

TermeCette année3 dernières5 dernières10 dernières5-10 dernièresToutes
racisé61321520796276961
racisé86110419692324
« racisme institutionnel »6458115069218
« racisme d’État »138511413521145
« racisme systémique » « racisme structurel »7558212240134

Tableau 1 : nombre d’articles et ouvrages dans les catégories « sociologie et société » et « sciences politiques » où apparaissent les différentes notions. Bien que l’année 2023 soit incomplète, une comparaison entre deux périodes de cinq années, ici en corps gras, peut être effectuée. Elle montre une augmentation nette de racisé, comme de racisme systémique et racisme structurel.

Nom de la revue10 dernièresToutes
Migrations Société1317
Hommes & migrations1114
Mouvements1013
Revue française de science politique912
Nouvelles questions féministes45
Cahiers du genre5
Revue européenne des migrations58
Politix68
Sociétés contemporaines22
Sociologie66
Genèse1
Actes de la recherche en sciences sociales
23
Journal des anthropologues78
Critique internationale89
Revue française de sociologie11

Nombre d’articles avec les mots-clés « racisme systémique OU racisme structurel OU racisme institutionnel » pour les principales revues de sociologie et sciences politiques.