Le mouvement FEMEN en deux livres « Le corps tout entier des femmes est devenu leur voix »

« Anatomie de l’oppression », par Inna Shevchenko et Pauline Hillier (Seuil, 2017, 272 p., 19 €)

« Rébellion », par FEMEN (des Femmes / Antoinette Fouque, 2017, 190 p., 12 €)

 Anatomie de l'oppression

Ces deux ouvrages parus à l’approche du 8 mars sont à la fois proches et complémentaires mais ils répondent à des logiques éditoriales un peu différentes.

Le second est un recueil de témoignages et de réflexions organisé autour de thèmes liés aux actions FEMEN dans divers pays : principalement Ukraine où le mouvement est né en 2008, Turquie et Iran dans le chapitre « Les dictatures détestent les femmes » mais aussi la Tunisie dans le chapitre « La religion, fléau de l’humanité », l’Espagne dans celui qui porte sur l’IVG, et le Canada à propos de la prostitution et du harcèlement sexuel. (1)Des branches de FEMEN International existent dans tous ces pays sauf la Tunisie, mais aussi en Allemagne et aux Etats-Unis – avec un QG en France.

L’activité FEMEN en France, rappelons-le, a surtout été marquée par la lutte contre les intégrismes religieux et l’extrême droite : leur première intervention (et les premiers coups qu’elles ont reçus ici) datent de 2012, avec l’intervention dans un cortège de Civitas ; en 2014 et 2015, plusieurs actions ciblent le FN, celle du 1er Mai place de l’Opéra, mais deux autres aussi à Hénin-Beaumont. C’est la « célébration » à Notre-Dame de Paris de la démission du pape (12 février 2013), avec la cloche « rayée » et les poursuites intentées par le recteur de la cathédrale, qui reste l’épisode le plus mal compris et sur lequel  il est utile d’entendre les justifications des Femen qui « se réserve[nt] le droit d’être une association anticléricale et blasphématrice », expliquant qu’en l’occurrence quand «  la religion s’invite dans l’espace public … nous nous y invitons aussi. » D’ailleurs elles sont aussi entrées dans la cathédrale de Strasbourg pour protester contre l’invitation du pape par le Parlement européen pour exposer les « racines chrétiennes » du Vieux Continent. (Et la loi du 9 décembre 1905, dans son art. 32, ne vise que ceux qui auraient «  empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte », sans exiger un quelconque respect…)

Il faut signaler les analyses impeccables de la laïcité qui figurent dans l’ouvrage et, plus encore, la dénonciation de « l’union entre militants religieux et militants de gauche », des représentants d’une gauche qui trahit ses valeurs émancipatrices en croyant que « dénoncer ‘’l’islamophobie’’ leur fabriquera une image positive de défenseurs des musulmans, forcément opprimés ».

Quoi qu’on pense de la méthode d’action, il faut croire les Femen lorsqu’elles affirment que, féministes et pas exhibitionnistes (c’est le titre du dernier chapitre de Rébellion et les photos du livre montrent que les corps dénudés n’ont pas tous une plastique de magazine), elles placent la liberté d’expression au fondement de toutes les libertés et que leur combat est destiné à tester celle-ci dans un espace public a priori hostile aux femmes. Admettre aussi leur courage, en particulier à travers le récit d’Inna Shevchenko de l’attentat dont elle fut le proche témoin en tant que conférencière à l’ambassade de France à Copenhague en février 2015.

Ne faut-il pas enfin relever la demande que FEMEN a formulée fin 2014 auprès du garde des Sceaux de l’époque, Christiane Taubira : qu’au nom de l’égalité homme-femme la notion d’« exhibition sexuelle » (art. 222-32 du Code pénal, ex « outrage à la pudeur ») soit précisé, en faisant par exemple mention de ce qu’il s’agit des seules parties génitales ? (2)Il est rappelé avec malice que lors d’un meeting à Colomiers, le 29 août 2016, Manuel Valls s’écriait : « Marianne, le symbole de la République ! Elle a le sein nu parce qu’elle nourrit le peuple ! Elle n’est pas voilée parce qu’elle est libre ! C’est ça la République ! »…

Restons-en au corps pour parler du premier ouvrage mentionné ci-dessus, Anatomie de l’oppression, car son propos est précisément de s’attacher, organe après organe, partie après partie, au corps féminin en tant qu’objet de persécution de la part des religions. On y retrouve nombre d’éléments du manifeste du mouvement ainsi que des témoignages plus particuliers aux auteures (intimidations et violences pour Inna Shevchenko en Biélorussie et Ukraine, incarcération en Tunisie de Pauline Hillier)  mais plus analytique et approfondi que dans Rébellion, leur but est de ne pas séparer les manifestations du sexisme religieux des idées qui les motivent. Pour les trois religions abrahamiques, à doses égales, elles déroulent en alternance les textes et les faits dans leur contexte : prescriptions relatives aux cheveux, au regard et à l’apparence, contrôle de la parole, tabou du sang, sacralisation de l’allaitement – mais hyper-sexualisation de la poitrine -, contrôle de la reproduction et de la sexualité… tous les outils de la domination patriarcale sont passés en revue.

Si bien qu’après des siècles de silence forcé, « le corps tout entier des femmes est devenu leur voix ». Inna et Pauline expliquent comment elles en sont personnellement venues à porter ce message, ayant très vite « compris que ce qui dérange le plus, ce ne sont pas nos corps nus, mais nos corps qui s’expriment ». Provocants mais détournés du désir masculin, ils deviennent le support d’une contestation politique.

Le tableau de cette anatomie de l’oppression religieuse à travers les temps et les lieux est tellement détestable qu’on s’attend à une apologie de l’athéisme, c’est un pas que les auteures ne se permettent pas de franchir, concluant par un appel aux croyants (« la foi peut se libérer du poids de la religion et de ses institutions »). Or je crains, amies Femen, que la « guerre idéologique » à laquelle vous conviez en vue du progrès les citoyens libres, hommes comme femmes, croyants comme athées, ne puisse se limiter au terrain des idées abstraites, c’est pourquoi j’en retiens en conclusion la volonté de transmission de toute une culture de lutte des femmes, à l’intention des jeunes filles d’aujourd’hui, invitées à « faire leur Femen », c’est-à-dire à ne rien lâcher sur le terrain de l’égalité.

 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Des branches de FEMEN International existent dans tous ces pays sauf la Tunisie, mais aussi en Allemagne et aux Etats-Unis – avec un QG en France.
2 Il est rappelé avec malice que lors d’un meeting à Colomiers, le 29 août 2016, Manuel Valls s’écriait : « Marianne, le symbole de la République ! Elle a le sein nu parce qu’elle nourrit le peuple ! Elle n’est pas voilée parce qu’elle est libre ! C’est ça la République ! »…