Réforme des retraites, arguments et réalités

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L’Assemblée nationale a terminé l’examen en première lecture du projet de loi de la réforme des retraites le vendredi soir 17 février à minuit, avec une prolongation suite au dépôt d’une motion de censure du Rassemblement national, rejetée massivement. Seuls deux articles sur vingt ont été débattus dans l’hémicycle, l’article premier ayant été le seul adopté, l’Assemblée a rejeté la création d’un « index senior » comme unique disposition pour augmenter l’emploi des seniors. Les débats y ont été houleux, confus, dominés par les invectives voire les insultes, des accusations de mensonges réciproques et une mauvaise foi généralisée, scandés par de multiples « rappels au règlement » et suspensions de séance, diminuant d’autant le temps de débat utile sur le texte et les amendements, chacun s’accusant de « bloquer les débats… de faire obstruction ». Tous les groupes parlementaires, ainsi que les ministres représentant le gouvernement ont participé à cette mascarade, voire à cette pantalonnade.

Les causes en sont largement partagées avec une mention spéciale pour le gouvernement qui en choisissant de présenter un texte volontairement déséquilibré en faveur des couches bourgeoises, ressenti comme injuste par 70 % des Français, avec un « véhicule parlementaire » budgétaire, une procédure accélérée avec un temps de débat limité constitutionnellement, a ouvert la boîte de Pandore de la démagogie.

Ces choix font fi de l’opinion de la grande majorité du peuple alors que le mouvement de protestation initié et conduit par les syndicats dans l’unité ne faiblit pas au contraire. Après cinq manifestations (jeudi 19, mardi 31 janvier, mardi 7, samedi 11, jeudi 16 février), rassemblant entre un et plus de deux millions de personnes chaque fois, le mouvement a plutôt tendance à se renforcer et gagner en popularité auprès des Français. La journée d’action du 7 mars pour laquelle les syndicats toujours dans l’unité appellent à « bloquer le pays » s’avère puissante. Les suites dépendent pour l’essentiel des décisions qui seront prises sur les lieux de travail et de la qualité de l’unité syndicale et des salariés à ce niveau, tant sur les revendications que sur la stratégie pour gagner.(1)Voir nos précédents articles 2022/2023 :
https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/retraite-le-dessous-des-cartes/7432154
https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/il-etait-une-fois-la-france-meilleur-systeme-de-sante-du-monde/7432510

https://www.gaucherepublicaine.org/a-la-une/un-mouvement-syndical-affaibli-a-laube-du-combat-pour-les-retraites/7432738
https://www.gaucherepublicaine.org/editorial/19-janvier-pour-le-retrait-du-projet-macron-borne-sur-les-retraites/7432912
https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-combats/respublica-combat-social/de-nouvelles-taches-pour-les-7-et-11-fevrier-et-au-dela/7433067

Il ne nous paraît pas inutile dans ces circonstances de revenir sur certains aspects de la situation, en premier lieu sur la stratégie gouvernementale et patronale, soit en particulier le choix du gouvernement du « véhicule parlementaire », l’article 47-1 de la Constitution et sa signification, le comportement du gouvernement dans les débats à l’Assemblée nationale ainsi que celui des principaux groupes parlementaires et en second lieu les arguments échangés ou restés dans les cartons, les deux questions étant d’ailleurs profondément liées.

Le choix du « véhicule parlementaire »

Cette question mérite un éclaircissement en début d’article, car elle est à l’origine des événements par la suite au sein de l’Assemblée nationale. Le fait de choisir un véhicule budgétaire, et notamment celui de la sécurité sociale n’a rien d’anodin et ne relève pas seulement de la volonté de limiter les débats dans le temps.

Ce choix découle de la promesse (non demandée) d’Emmanuel Macron adressée par lettre à la Commission européenne de prendre toute disposition pour maintenir le taux d’emprunt de la France sous les 3 % d’intérêt afin de ne pas décrocher de plus de 0,5 % du taux d’emprunt de l’Allemagne, pays de référence, car réputé le plus vertueux sur le plan de la dépense publique des grands pays européens. Il s’agit donc d’une décision liée à la bourse, pour « rassurer les marchés », pour cela, il faut démontrer la volonté de « maîtriser la dette publique ».

Pourquoi la loi sur le financement de la sécurité sociale ? D’une part c’est un pas supplémentaire dans l’étatisation de la sécurité sociale et du système de retraite, pour les rendre toujours plus dépendants de décisions gouvernementales ratifiées par le Parlement pour « mélanger » impôts et cotisations sociales aussi bien dans les recettes que dans les dépenses. C’est déjà le cas pour les recettes depuis la création de la CSG en 1992 avec une extension toujours plus large depuis l’adoption de la loi sur le budget de la sécurité sociale proposée par Alain Juppé, alors Premier ministre, en 1995.

Aujourd’hui un pas de plus vers l’étatisation complète est franchi avec le « mélange » des dépenses. Cela est nouveau puisque le gouvernement a clairement déclaré au début du débat que les recettes dégagées par la réforme serviraient à financer d’autres dépenses que les retraites (transition énergétique et climatique, infrastructures…), même si par la suite il a fait silence sur cet aspect de sa réforme sentant bien tout le potentiel de révolte qu’il contenait.

Enfin, l’article 47-1 de la Constitution lui permet d’éviter l’utilisation de l’article 49-3 utilisé abondamment cet automne pour adopter sans vote les budgets de l’État et de la sécurité sociale, et largement décrié auprès de l’opinion publique, tout en lui permettant de garder la main sur la décision finale puisque l’article en question, troisième alinéa, indique : « Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ». Cela signifie que le gouvernement peut légiférer par ordonnance en reprenant le texte de départ sans tenir compte des discussions au Parlement et des amendements éventuellement votés.

Si la limitation du temps de débat a largement été dénoncé par les oppositions, deux autres aspects portant sur l’étatisation et le mélange de plus en plus étroit des budgets de l’État et de la sécurité sociale – pourtant au moins aussi importants et avec des conséquences considérables à plus long terme pour la population – en ont été quasiment absents.

Si ce dernier aspect, notamment la limitation du temps de débat a largement été dénoncé par les oppositions lors des débats et des interventions dans les médias, les deux autres aspects portant sur l’étatisation et le mélange de plus en plus étroit des budgets de l’État et de la sécurité sociale – pourtant au moins aussi importants et avec des conséquences considérables à plus long terme pour la population – en ont été quasiment absents.

Enfin, notons que jusqu’à présent toutes les réformes des retraites ont été faites par des lois classiques et pas par une loi budgétaire et qu’un doute d’inconstitutionnalité totale ou partielle subsiste fortement sur le choix du gouvernement.

Les arguments échangés lors des débats à l’Assemblée nationale

La Nupes avait déposé plus de 20 500 amendements dont 17 000 pour la France insoumise (chiffres arrondis). Le projet de loi comprend un article préliminaire et vingt articles du texte de loi. Seuls ont été votés l’article préliminaire et l’article un supprimant les régimes spéciaux des électriciens et gaziers, la RATP, la Banque de France (concernant les cheminots, c’est déjà fait avec la disparition de leur statut).

Le gouvernement et sa majorité relative, plus les Républicains n’ont eu de cesse de répéter que la réforme était indispensable, car le régime était en déficit, sur le ton d’« il n’y a pas d’autre solution » de Madame Thatcher, en s’appuyant sur les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR) sans jamais toutefois argumenter sérieusement tant les hypothèses de base sur lesquelles il s’appuie sont contestables. Par ailleurs une lecture sérieuse du rapport ne conduit pas à cette conclusion, mais il aurait été bon dans la discussion que les opposants le démontrent avec des arguments et ne se contentent pas d’affirmations contraires à celles du gouvernement.

Les informations fournies par le gouvernement étaient souvent quasiment inventées voire farfelues comme le nombre de bénéficiaires de la soi-disant mesure du minimum pour tous d’une retraite pleine à 1200 euros passé de 2 millions à 40 000 puis à 12 000, et pour laquelle le ministre a osé répondre aux députés lui demandant de précisions « Je n’ai pas à rendre de compte ni sur les canaux, ni sur la manière dont je fais les prévisions », ou l’histoire de carrières longues, les natifs des années paires ayant travaillé avant 21 ans cotisant 44 ans et ceux des années impaires 43 ans sans que le gouvernement ne soit en mesure de répondre clairement aux interpellations des députés à ce sujet. « L’argument » si toutefois nous pouvons parler d’argument, le plus utilisé a été celui d’empêcher le débat de la part du gouvernement en limitant le temps imparti par le choix de l’article 47-1 pour la Nupes, et le fait d’empêcher ce débat par le dépôt d’amendements inutiles et farfelus par la Nupes de la part de la majorité macroniste, des Républicains, du Rassemblement national et du gouvernement. Chacun faisant tout pour ne pas discuter du fond et accusant l’autre de ne pas vouloir de débats sur le fond, etc., etc., comme si tous les participants cherchaient à gagner du temps, mettre sur la responsabilité de l’adversaire le fait de ne pas débattre et surtout ne pas aborder la discussion de l’article 7 du projet de loi qui reportait l’âge de départ à la retraite à 64 ans au lieu de 62 actuellement.

Cette stratégie absurde, notamment de la part de la Nupes, a été plusieurs fois critiquée part les dirigeants syndicaux ce qui a amené le PC, les écologistes et les socialistes à retirer en plusieurs étapes et bien tardivement l’essentiel de leurs amendements, mais pas la France Insoumise. Malgré tout, les débats ont permis de rejeter la création d’un « index seniors » inutile et inefficace, voir néfaste sur l’embauche des seniors, et de montrer l’incohérence et l’injustice du projet.

De cette mascarade nous tirons plusieurs interrogations et impressions :

  • Qui voulait vraiment débattre du fond ? Sans doute personne, ni le gouvernement, car en gagnant du temps il savait garder la main finale, ni les groupes parlementaires et pas la NUPES, surtout les Insoumis comme l’a révélé Jean-Luc Mélenchon dans un message jeudi soir suite au retrait de leurs amendements par les communistes « Pourquoi se précipiter à l’article 7 ? Le reste de la loi ne compte pas ? Hâte de se faire battre ? ». C’est surtout le « hâte de se faire battre » qui pose problème justifiant les accusations d’obstruction et donnant des arguments au gouvernement et sa majorité et au Rassemblement national. En cela la Nupes, LFI en priorité n’ont pas rempli leur mandat, car ce type de comportement ne favorise pas le développement de la lutte contre la contre-réforme, comme l’ont souligné les organisations syndicales : « Des forces politiques essaient de se substituer aux organisations syndicales ou essaient de se mettre en avant par rapport aux organisations syndicales et à ceux qui (manifestent) » déclarait Philippe Martinez SG de la CGT, ou encore « La stratégie d’obstruction de LFI n’a pas permis de se pencher sur l’ensemble des articles et, surtout, elle a empêché le vote su l’article 7 » disait Cyril Chabanier, président de la CFTC, ou encore Laurent Berger, SG de la CFDT « Ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale est synonyme d’occasion perdue, car nous avons été privés d’un débat de fond…la procédure retenue était contraignante sur le temps du débat, ce qui nous semble problématique pour un sujet de cette importance… Certains élus ont, même s’ils s’en défendent, fait de l’obstruction ». Mais il est dommage qu’ils n’aillent pas plus loin sur les responsabilités notamment celles du gouvernement, et sur la discrétion du patronat pourtant concerné en premier chef.
  • Les arguments échangés étaient médiocres, ne portaient jamais sur le fond du sujet, le niveau sonore des interventions compensant le manque de fond, comme si hurler suffisait pour imposer sa position ;
  • Manifestement le gouvernement, et par conséquent sa majorité avait mal préparé le dossier laissant planer la suspicion d’une réforme élaborée par un « cabinet de conseil », ne connaissant pas le sujet, un gouvernement enfermé dans la communication, n’ayant pas travaillé le sujet comme le démontre l’épisode des 1 200 euros relaté plus haut, un gouvernement ayant en outre fait de la rétention d’information vis-à-vis de la représentation nationale (la non-fourniture de l’avis de la Cour du Conseil d’État que les députés ont dû aller chercher à Matignon par exemple) et ne répondant pas aux demandes d’explications autant par incompétence que par volonté politique ;
  • Le Rassemblement national est resté relativement discret, sauf pour attaquer la Nupes sur leur blocage du débat, restant comme chaque fois en embuscade. Il a d’ailleurs déposé en fin de débat une motion de censure massivement rejetée ;
  • L’Assemblée est apparue plus comme une foire d’empoigne qu’un lieu d’élaboration de la loi, donnant une piètre image de la démocratie parlementaire alimentant l’abstention et le détournement des citoyens de ce type de démocratie, mais faisant en même temps le lit de l’extrême droite ;
  • Nous avons vu une majorité parlementaire et un gouvernement sourd à l’expression populaire exprimée à la fois dans les cortèges syndicaux dans tout le pays, qui manifestait dans le calme et la dignité (tout le contraire de ce qui se passait à l’AN) et dans les enquêtes d’opinion qui toutes donnent 70 % de la population contre la réforme et en fin de débat 70 % également qui ont estimé que les débats avaient augmenté la confusion et leur perplexité sur les « explications » apportées par le gouvernement. Cette surdité s’explique sans doute en grande partie parce que les élus de cette majorité sont issus des classes de la population qui ne sont pas touchées par la réforment et forme le cœur de l’électorat macroniste. Cœur qui est complice de la bourgeoisie capitaliste grandement parasitaire contre le monde salarial.
  • Nous avons vu aussi une majorité, un gouvernement, mais plus largement une assemblée qui majoritairement ne connaît pas le pays. Les retraités sont 16,7 millions de personnes soit 25 % de la population. Être retraité ce n’est pas être inactif, sauf en fin de vie ou en cas de maladie grave. Les retraités forment la grande majorité des bénévoles dans les associations (60 % dans le domaine social, le caritatif ou l’humanitaire, 68 % dans l’éducation et la formation) et en assurent l’essentiel du fonctionnement, 37 % d’entre elles sont présidées par un ou une retraité, la moitié des « aidants » sont des retraités, ils assurent bien souvent la garde de leurs petits-enfants. Dans les communes de moins de 1000 habitants et elles sont nombreuses en France, plus de la moitié des maires sont des retraités, l’indemnité qu’ils perçoivent ne permettant pas de vivre, les actifs ne peuvent pas assurer cette fonction qui demande dans les faits presque un plein temps. Repousser l’âge de départ à la retraite c’est repousser d’autant le temps consacré à ses tâches indispensables à notre société. C’est d’autant plus préoccupant que ce sont les années de retraite en bonne santé et en bonne forme qui sont en cause. C’est mettre en péril la solidarité entre les générations, car si les retraites sont assurées par les actifs les retraités rendent des services en retour qui pour beaucoup ne seraient pas rendus, au détriment des populations.

La question de la légitimité

Comme le choix du « véhicule parlementaire », cette question mérite un développement spécifique. Le gouvernement et sa majorité ont développé l’argument qu’Emmanuel Macron était parfaitement légitime pour proposer cette réforme des retraites puisqu’elle « était dans son programme pour les présidentielles », argument commenté comme une évidence par toute la presse à dévotion. Or cet argument, en plus d’être un argument d’autorité irrecevable est éminemment spécieux et antidémocratique. Spécieux, car il laisse entendre que ceux qui s’y opposent ne sont pas légitimes pour cette contestation et antidémocratique, car il nie les opinions contraires qui s’expriment démocratiquement. Deux questions peuvent alors être posées, la légitimité d’Emmanuel Macron est-elle aussi évidente que prétendu, et les syndicats et manifestants sont-il illégitimes à s’y opposer ?

Si l’élection à la présidence de la République d’Emmanuel Macron est juridiquement incontestable et sa légitimité à la revendiquer n’est contestée par personne, sa légitimité politique est faible dans la mesure où il a été élu avec à peine 14 % de corps électoral au premier tour. Certes il a obtenu la majorité des suffrages exprimés au second tour avec un taux d’abstention record et un vote par défaut, contre le Rassemblement national pour plus de la moitié des suffrages qu’il a recueillis. Même si dans son programme l’âge de départ à la retraite était proposé à 65 ans, sans plus de détail, compte tenu des conditions de son élection cela ne vaut pas approbation de son programme, ce qu’il a d’ailleurs reconnu au lendemain de son élection. Se revendiquer d’une légitimité incontestable aujourd’hui est donc très abusif pour le moins.

En ce qui concerne les syndicats et les manifestants et les grévistes, leur légitimité est double. Elle a une première légitimité acquise par les luttes sociales qui ont obtenu une seconde légitimité constitutionnelle, le droit syndical, le droit de grève comme le droit de manifester sont reconnus dans la Constitution française donc incontestable.

Les légitimités des deux parties ne sont pas de même nature, ce qui n’autorise pas l’une des deux à contester celle de l’autre, ni de prétendre qu’elle lui est supérieure.

Les arguments absents ou peu présents

Ils sont principalement de trois ordres et portent sur des questions essentielles.

Un nouvel impôt sur le travail et les couches populaires uniquement

L’allongement de l’âge de départ à la retraite touche uniquement les couches de la population qui n’ont pas fait d’études longues, soit les ouvriers, les employés, ceux et celles qui ont une qualification qui n’exige pas des études universitaires longues, les personnels de la « seconde zone » comme a osé les appeler E. Macron. Ils ont commencé à travailler bien avant 24 ans, font les tâches les plus ingrates, sont les moins payés et ont en moyenne une durée de vie plus courte. C’est pourtant sur eux et elles que repose la totalité de la réforme notamment l’allongement de deux ans du temps de travail (nous y reviendrons), les personnes ayant fait des études longues et commençant à travailler au-delà de 23/24 ans ne sont pas touchées par la réforme. Et comme les recettes dégagées serviront à financer autre chose que les retraites, et notamment des dépenses qui relèvent du budget de l’État (infrastructures, transitions écologique et énergétique…) il s’agit bien de la création d’un nouvel impôt contrairement à ce qu’affirme le gouvernement. Cet impôt ne reposera que sur le travail puisque les recettes seront fournies uniquement par les cotisations, cotisations des salariés directement et cotisations dites à tort patronales, mais qui ne sont qu’une partie du salaire directement versé par les patrons aux caisses de Sécurité sociale. Cet impôt ne repose que sur les travailleurs les plus exploités, ceux qui forment les couches populaires puisque ceux qui font des études longues, c’est-à-dire l’encadrement moyen/supérieur et l’encadrement supérieur, échappent à la réforme. Enfin, il convient d’ajouter que parmi les salariés touchés par la réforme, ce sont les femmes qui paieront le plus lourd tribut à ce nouvel impôt, puisque sur les 19,3 milliards de recette escomptée par an en 2030, entre 11 et 12 viendront des femmes.

Cette réforme diviserait encore plus notre société, entre salariés, entre femmes et hommes et augmenterait les inégalités.

Cette réforme, loin d’être faite « pour sauver notre système de retraite par répartition qui est en déficit » comme le répète à satiété le gouvernement et sa majorité à l’Assemblée nationale est en fait un nouvel impôt pour faire payer aux couches populaires et aux salariés les plus nombreux, mais aussi les plus pauvres, la transition écologique et énergétique afin de maintenir les profits et les aides aux multinationales, tout en préservant l’électorat macroniste. En outre cette réforme diviserait encore plus notre société, entre salariés, entre femmes et hommes et augmenterait les inégalités.

Augmenter le temps de travail pour dégager plus de profit

Si on augmente le temps de travail, c’est pour produire plus, ce dont convient le gouvernement, reste à savoir en fonction des rapports de force à qui profite cette production supplémentaire.

La réforme proposée vise à décaler l’âge de départ à la retraite de deux ans, soit d’augmenter le temps de travail de deux ans pour les personnes concernées. Or sans trop schématisé, c’est le travail qui crée toute la richesse, plus on travaille plus on crée de richesse, ou pour être un peu plus rigoureux, plus le temps de travail est long plus on dégage de la plus-value et donc plus les profits sont importants. Ce n’est ni par hasard, ni par méchanceté que le patronat a toujours été contre la diminution du temps de travail, mais tout simplement par intérêt. Toutes les diminutions du temps de travail dans l’histoire du mouvement ouvrier, et dans tous les pays, ont été un acquis fondamental de la lutte de classe et du syndicalisme. Cette diminution a toujours été revendiquée pour une diminution de l’exploitation, pour une vie digne et décente. Le « partage du travail » contrairement à ce qui est dit n’a jamais été facteur de diminution du temps de travail. La revendication d’une diminution du temps de travail pour créer des emplois et partager le travail comme soutiennent les tenants de la charité ne s’est jamais réalisée. L’histoire des 35 heures, de la casse des emplois ou de la diminution des effectifs dans les services publics est là pour en témoigner concrètement. Ce qui se passe actuellement dans les hôpitaux en est une bonne illustration. Soutenir cette thèse ne tient pas compte des réalités, ni des gains de productivité obtenus par divers moyens (management, mécanisation et automatisation, formation, etc.) afin de dégager toujours plus de plus-value. Donc si on augmente le temps de travail, c’est pour produire plus, ce dont convient le gouvernement, reste à savoir en fonction des rapports de force à qui profite (en profit…) cette production supplémentaire.

Le patronat (le capital) est donc particulièrement intéressé par cette augmentation du temps de travail, mais il est particulièrement discret dans les débats. Il n’a aucun intérêt à trop se montrer compte tenu de la mobilisation contre la réforme afin de tirer les marrons du feu sans se mouiller comme à son habitude, et puis… le boulot est fait par le gouvernement qu’il a mis en place.

Vers la capitalisation

Tous, gouvernement, majorité macroniste, Rassemblement national, Républicains affirment avec une belle hypocrisie, la main sur le cœur, qu’il s’agit de « sauver notre système de retraite par répartition », basé sur des solidarités intergénérationnelles. Cette question mérite débat en se basant encore une fois sur les réalités. Cela fait longtemps que le secteur financier souhaite s’approprier les 350 milliards d’euros que représentent les retraites chaque année, afin de, selon les moments, financer les investissements des entreprises et/ou capitaliser la bourse de Paris sous-capitalisée par rapport aux bourses londonienne et new-yorkaise qui, elles, bénéficient des fonds de retraite par capitalisation des pays anglo-saxons… afin de réaliser plus de profits.

Certes cette volonté de conduire peu à peu vers la capitalisation a bien été dénoncée, mais peu démontrée, ce qui demande à être fait sous peine de voir petit à petit le processus se développer, surtout si les jeunes générations sont convaincues qu’elles « n’auront pas de retraite ».

Aujourd’hui l’argument essentiel mis en avant est que « nous ne pourrons plus financer nos retraites, car le nombre d’actifs qui cotisent diminue, que le nombre de retraités augmente, donc que le ratio cotisants/bénéficiaires ne permet plus d’assurer la soutenabilité du système », alors que bien d’autres facteurs entrent en compte pour la pérennité du système de retraite. Et d’ailleurs, nous affirme-t-on, bien que les syndicats et les politiques ne veuillent pas voir ce problème, les jeunes générations l’ont bien compris et se dirigent déjà vers la capitalisation (les plans épargne-retraite) pour assurer leur future retraite(2)Voir à ce sujet le remarquable article de propagande pour la capitalisation, dans la rubrique Économie/chronique, de Stéphane Lauer dans Le Monde du mardi 21 février., afin de démontrer que la bataille contre la réforme est une bataille d’arrière-garde, une bataille du passé.
Certes cette volonté de conduire peu à peu vers la capitalisation a bien été dénoncée, mais peu démontrée, ce qui demande à être fait sous peine de voir petit à petit le processus se développer, surtout si les jeunes générations sont convaincues qu’elles « n’auront pas de retraite ». Car cet argument est fallacieux. Même sous forme de capitalisation on n’épargne pas pour sa retraite, car celle-ci est toujours payée à l’instant T par la richesse créée par le travail à l’instant T, quel que soit le mode de financement. Par contre la capitalisation permet au système financier (banques et assurances) de s’accaparer les sommes épargnées pour la retraite pour spéculer, alors que la répartition ne le permet pas.

La conclusion est assez simple et courte, nous sommes bien à nouveau face à une loi de classe qui porte sur l’essentiel de l’affrontement entre le capital et le travail et pas sur les questions morales ou « sociétales » comme quelques députés l’ont soutenu dans les débats.