Deux dates ont marqué positivement l’histoire de l’Autre gauche en notre siècle. Les 31,3 % du non de gauche le 29 mai 2005 et les 11,1 % du score de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2012. Dans le premier cas, les pitreries des comités anti-libéraux ont anéanti cette inédite massification, supérieure au non de droite et d’extrême droite, au oui de gauche ou au oui de droite. Dans le deuxième cas, l’anéantissement eut des causes multiples : les pitreries du gauchisme, maladie infantile de la transformation culturelle, sociale et politique, la confusion savamment entretenue entre la nécessité de lutter contre tous les racismes (dont celui qui est anti-musulman) et la soumission idéologique d’une partie de la gauche de la gauche au communautarisme des Indigènes de la république et aux positions réactionnaires des Frères musulmans, la prolifération des projets magiques irrationnels des Yaka et des Faukon censés nous donner les clés du paradis, la schizophrénie d’une partie des élus communistes qui critiquent avec vigueur le gouvernement mais qui acceptent une solidarité de gestion sans faille avec les socialistes tant décriés.
Résultat : toute la « gauche » (y compris les socialistes) représente aujourd’hui autour de 30 % des électeurs inscrits. Le Front de gauche a perdu plus de la moitié des électeurs de 2012. C’est donc une bérézina. La décomposition de la gauche de la gauche est largement engagée. Cette gauche de la gauche ne s’en relèvera pas tant la refondation nécessaire demanderait d’inversions des priorités, de nouvelles stratégies et pratiques sociales. Nous y reviendrons en fin d’article.
Peut-on s’opposer au mouvement réformateur néolibéral sans les classes sociales en lutte ?
De nombreux secteurs de la gauche de la gauche ne se posent déjà plus cette question, tant ils ont abandonné l’idée que la lutte des classes reste le moteur de l’histoire, estimant qu’un électeur vaut un électeur – ce qui est un contresens pour tout militant voulant œuvrer contre le mouvement réformateur néolibéral et pour une transformation culturelle, sociale et politique. D’autres secteurs ont abandonné la classe populaire ouvrière et employée au profit des pauvres, de préférence de culture musulmane, d’où leur propension au communautarisme, au clientélisme et même à une simplification abusive de la doctrine sociale des églises. Les sondages à la sortie des urnes nous renseignent énormément sur ces dérives.
Par ailleurs, l’élection du 6 décembre engage un tournant sociologique du comportement électoral. Jusqu’aux élections départementales de 2015, le comportement des ouvriers et des employés (soit 53 % de la population française !) fut le suivant. La majorité des ouvriers et des employés ayant dans le temps effectué des votes de gauche s’abstenait. Résultat : 70 % des ces couches sociales étaient dans l’abstention. Pendant ce temps-là, les ouvriers et les employés qui votaient traditionnellement à droite se radicalisaient en rejoignant l’extrême droite du FN. Ce que les journalistes du mouvement réformateur néolibéral appelaient à tort la droitisation de l’électorat n’était en fait que le résultat arithmétique du phénomène que nous venons de décrire.
Ce qui est nouveau le 6 décembre 2015, c’est un début de transfert significatif des ouvriers et des employés abstentionnistes vers l’électorat du FN. Pour dire vrai, nous avions déjà vu cela dans les élections précédentes, dans des poches déclassées du Nord-Pas-de-Calais. Aujourd’hui, le caractère national de ce transfert est patent (villes-centres non comprises, voir plus loin). Parmi les ouvriers et employés, les abstentionnistes comptent pour moins de 60 % et ceux qui ne s’abstiennent plus renforcent le vote FN considéré par eux comme le seul vote anti-système. Près de la moitié des ouvriers et des employés votants votent aujourd’hui pour le FN, soit 5 fois plus que pour la gauche de la gauche ! Pire, les partis néolibéraux obtiennent deux fois plus de votes ouvriers et employés que la gauche de la gauche.
Bien que la majorité des ouvriers et des employés s’abstiennent encore, nous voyons là un début de transfert qui n’a aucune raison de ne pas continuer à la présidentielle de 2017, sauf si une vraie gauche de gauche remplace enfin la gauche de la gauche moribonde.
Si nous regardons le vote des jeunes, il suit le même phénomène. Croire que l’on peut aller à la transformation culturelle, sociale et politique sans les jeunes, les ouvriers et les employés témoigne de l’embourgeoisement des responsables de la gauche de la gauche. Dit autrement, on ne fait pas la révolution en n’entretenant des liens qu’avec les couches moyennes intermédiaires (24 % de la population) et les couches moyennes supérieures (15 %).
La difficulté réside dans le fait que le phénomène que nous venons de résumer n’est pas visible pour les responsables politiques des écologistes, du Front de gauche et de l’extrême gauche puisque la ségrégation spatiale ne les fait pas vivre là où vit la majorité du peuple ! De nombreux responsables de la gauche de la gauche nient même l’importance du phénomène de gentrification (transfert des classes défavorisées des villes-centres vers le rural et le périurbain, les banlieues voyant augmenter le nombre de familles qui ne font qu’y transiter provisoirement) et il n’y a que les responsables des comités de lutte contre la désertification des services publics en zone rurale et périurbaine qui « voient » ce phénomène…
La situation exige des responsables de la gauche de la gauche qu’ils reconsidèrent leurs croyances politiques, largement influencées par le mouvement réformateur néolibéral lui-même. De plus, comme ce mouvement réformateur néolibéral promeut par touches successives le communautarisme anglo-saxon au détriment du modèle de la République sociale laïque, ces responsables imaginaient qu’ils pourraient gauchir le communautarisme anglo-saxon !
Quant au deuxième tour des régionales, nous avons vu que le front républicain a néanmoins globalement fonctionné, diminuant fortement l’abstention et permettant qu’aucune région ne tombe dans l’escarcelle du FN. Sans changement de ligne stratégique, la mort programmée de la gauche de la gauche ne permettra pas à une gauche de gauche de prendre le relais.
Que faire pour une gauche de gauche ?
Répondons par une boutade à cette question : « le contraire de ce qu’ont fait la plupart des responsables de la gauche de la gauche depuis quelques années » ! Plus sérieusement, disons que Jean-Luc Mélenchon a raison de dire qu’il faudrait œuvrer à un nouveau front populaire. Mais rappelons que le Front populaire de 1936 avait mobilisé la grande majorité des ouvriers et que ceux-ci ont su entrer en action vers la grève générale pour obliger les vainqueurs des élections à aller plus loin que le démantèlement des ligues factieuses ! On en est très loin !
Nous proposons, dans nos interventions d’éducation populaire, 7 pistes partir desquelles le débat peut s’enclencher quel que soit le type d’organisations invitantes (mouvement syndical revendicatif, partis de transformation culturelle, sociale et politique, associations ou comités de résistance et de lutte, mutuelles pro-Sécu, MJC et centre sociaux, etc.)
1) Tout d’abord, analyser et clarifier le réel complexe plutôt que se vautrer dans des croyances autour de simplifications abusives autour d’une seule idée messianique (le revenu universel, l’idée européiste de l’euro social, la sortie de l’euro demain matin à 8 heures 30, le retour à la monnaie commune du SME, le communautarisme, les enthousiasmes internationaux sans réflexion critique, etc.)
2) Puis, engager des nouvelles pratiques sociales pour renouer les liens avec la classe populaire objective, ouvrière et employée. Dans ces nouvelles pratiques sociales, deux choses sont importantes, les luttes sociales de résistance et la démarche d’éducation populaire et de formation. Cette dernière reste un élément indispensable alors que, jusqu’ici, la plupart des responsables de la gauche de la gauche estimaient non nécessaires tant l’éducation populaire, sans doute jugée fastidieuse, que la formation culturelle, économique et politique pour se « soigner » des simplifications abusives qui justifiaient les anciennes pratiques sociales à l’origine du désastre de leurs mouvements.
3) Rompre définitivement avec le communautarisme diviseur importé des pays anglo-saxons et utiliser le principe de laïcité pour unifier le peuple comme l’a fait Jean Jaurès, fondateur et premier directeur de l’Humanité. Encore faut-il sortir du relativisme culturel instillé par le mouvement réformateur néolibéral qui influence de nombreux responsables de la gauche de la gauche, sans qu’ils en aient conscience d’ailleurs ! Encore faut-il combattre à visage découvert les déviances : celle de l’ultra-laïcisme anti-laïque largement développé dans la droite et l’extrême droite ; celle de la laïcité d’imposture ou laïcité adjectivée largement développée dans la gauche de la gauche moribonde ; celle de la tentative néolibérale de droite et de gauche (et donc du gouvernement Hollande-Valls) d’aller vers un nouveau processus concordataire. Le soutien aux combats laïques menés au sein de l’actuelle gauche de la gauche – qu’elle soit syndicale, politique ou associative – est une des tâches les plus importantes de la période.
4) Reprendre la stratégie populaire jaurésienne de l’évolution révolutionnaire qui, aujourd’hui comme hier, doit s’appuyer sur un double front : anticapitaliste et anti-impérialiste d’une part, contre le communautarisme et l’intégrisme d’autre part, puisque ces derniers sont de fait les alliés du mouvement réformateur néo-libéral.
5) Engager sérieusement le débat sur le modèle politique alternatif car aujourd’hui il n’y a plus d’altercapitalisme possible sans les politiques d’austérité. Dans ce débat, nous intervenons autour du modèle politique de la République sociale avec sa dizaine de principes constitutifs, ses quatre ruptures nécessaires (démocratique, laïque, sociale et écologique), sa demi-douzaine d’exigences indispensables. Nos ouvrages sont à disposition sur https://www.gaucherepublicaine.org/librairie. Nos intervenants en écrivant à evariste@gaucherepublicaine.org ou sur le site du REP.
6) Combattre sérieusement dans nos rangs ces maladies infantiles que sont le groupuscularisme, le sectarisme, le messianisme, le gauchisme.
7) Développer l’anti-racisme laïque quel que soit le type de racisme. Nous devons notamment protéger tous les juifs du racisme anti-juif et tous les musulmans du racisme anti-musulman, ce qui ne nous dispense pas de critiquer les parties réactionnaires des écrits et discours religieux.