Combattre le nihilisme capitaliste qui dévaste le monde

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Edvard Munch, Le cri, 1893, Musée national de l'Art, de l'Architecture et du Design, Oslo.

Est proposée à la réflexion l’entrée dans une troisième phase de l’évolution de l’humanité sous l’impulsion que nous pouvons considérer comme délétère et mortifère d’une société tout entière dévolue à une logique de profit. Cette logique imprègne tel un totalitarisme de fait tous les aspects de la société.

Première et deuxième phases imprégnées de religiosité puis de grands récits plus sécularisés sur fond d’émancipation

Nous sommes dans une troisième phase de l’humanité, celle du nihilisme capitaliste. D’abord, nous étions dans des formations sociales féodales avec une culture providentialiste, c’est-à-dire que pour le plus grand nombre, tout devait s’expliquer par Dieu. Puis, nous sommes passés à des formations sociales capitalistes avec des processus de démagification (Max Weber) avec une culture des grands récits (christianisme social, socialisme, communisme, la liste est longue) qui sont devenus petit à petit des narratifs de substitution aux religions de la phase précédente. Même si les structures religieuses se sont maintenues dans cette phase, elles ont dû accepter, contre leur gré initial, de tenir compte des évolutions économiques, sociales, laïques, démocratiques et scientifiques par des processus progressifs de rationalisation du réel.

Troisième phase : le nihilisme capitaliste

Puis, nous sommes entrés dans cette troisième phase, celle des formations sociales du nihilisme capitaliste(1)Le terme de nihilisme possède des significations multiples dans l’histoire de la pensée. L’auteur estime qu’il y a nihilisme lorsqu’il y a effondrement des principes et des valeurs et création d’un nouveau primat surplombant tout le reste. L’auteur de ce texte appelle donc nihilisme capitaliste la caractérisation de notre moment historique qui voit s’effondrer les principes républicains avec création d’un nouveau primat autour de l’argent seul qui, pour l’instant, se délivre, petit à petit, de toute contrainte. Il y a donc processus d’aménagement du néant vectorisé par la puissance. La résistance, le sursaut, la bifurcation est toujours souhaitable et possible, mais demande des conditions d’émergence à construire. Mais il convient alors d’abord de rompre avec la virtualisation du combat politique qui s’apparente à la société du spectacle chère à Guy Debord. par l’écroulement de tous les grands récits d’avenir d’hier et par l’arrivée dans l’économie, déterminante en dernière instance, du capitalisme néolibéral(2)Le capitalisme néolibéral est la phase du capitalisme durant laquelle l’économie doit être régie par le libre-échange généralisé, par une déréglementation et une privatisation maximale avec de moins en moins d’intervention des politiques de l’État. Cette phase du capitalisme a pris le pouvoir dans le monde à la fin des années 70 et en France durant les années 1982-83. pour toutes et tous doublée du capitalisme ordolibéral(3)Le capitalisme ordolibéral est un courant de pensée du capitalisme libéral né en Allemagne après la crise de 1929 selon lequel la mission de l’État est de créer et de maintenir un cadre normatif permettant la « concurrence libre et non faussée » de tous contre tous à commencer par les entreprises. Ce courant économique s’est développé dans l’Allemagne nazie et après la Deuxième Guerre mondiale par le management et par des travaux d’économistes notamment par la Société du Mont pèlerin. Il a constitué le cœur théorique de la construction européenne jusqu’à l’Union européenne actuelle. Pour aller plus loin, lire Libres d’obéir de Johann Chapoutot et/ou la vidéo La dévastation du monde par « les derniers des Hommes » – Johann Chapoutot – Élucid (elucid.media). seulement pour les habitants de l’Union européenne. Marx et Engels nous avaient prévenus que la tendance du capitalisme était, à terme, de dévaloriser le réel vécu par « les eaux glacées du calcul égoïste » et donc de tout transformer en marchandise soit la suppression de tous les principes et valeurs sauf l’argent.

Cohérences entre la négation des valeurs humanistes, le nihilisme capitaliste, le wokisme…

Cette tendance au nihilisme capitaliste implique de séparer les principes et les valeurs (par exemple celle de la République sociale) d’une part avec les faits d’autre part. Cela pousse à transformer le devenir social en anomie(4)L’anomie est un état de désagrégation d’une société dû à la disparition des principes et des règles de cette société., en renversement des valeurs vers un subjectivisme(5)Le subjectivisme est une pensée qui juge tout d’après ses impressions et ses opinions personnelles., un solipsisme(6)Le solipsisme est un idéalisme selon lequel il n’y a pas d’autre réalité que sa conscience propre., un essentialisme(7)L’essentialisme désigne en sociologie l’idée selon laquelle l’essence précède son existence. Par exemple, une vision essentialiste dira « les femmes sont comme ci, les hommes sont comme ça » niant le fait de la non-homogénéité des hommes et des femmes. et un relativisme(8)Le relativisme est une vue philosophique qui nie les prétentions à l’objectivité. Le relativiste déclare que toutes les idées se valent. de plus en plus assumés. D’où la cancel culture(9)La cancel culture décrit un processus au moyen duquel une personne dénoncée publiquement sans jugement est expulsée des cercles sociaux ou professionnels., le wokisme(10)C’est une pensée identitaire conflictuelle à partir de la « race » du genre, ou l’orientation sexuelle. Cette idéologie développe par exemple l’idée qu’il y a d’un côté le mâle blanc prédateur et de l’autre les minorités raciales et sexuelles. Cette idéologie est largement soutenue par le nihilisme capitaliste, car elle nie la lutte des classes et tente de supprimer le primat de la question sociale qui seul peut permettre une transformation sociale et politique émancipatrice., et toute autre forme de pensée qui supprime l’universalisme concret(11)Voir notre précédent article « Pour un universalisme concret »..

Les idéologies écartant le primat social subventionnées par le système

Cette idéologie est largement promue et subventionnée par l’oligarchie capitaliste pourvu que cela permette, par la suppression du primat de la question sociale, l’évitement du rassemblement majoritaire d’un bloc historique populaire autour de la classe populaire ouvrière et employée. Car c’est bien l’oligarchie capitaliste qui nomme et subventionne les postes universitaires des sciences sociales, des principaux journalistes des médias dominants, etc. Résultat, dans ces endroits, ceux qui sont du côté des exploités en privilégiant la question sociale ne sont ni nommés ni subventionnés. Par contre, ceux qui s’opposent au primat du social en défendant principalement le genre, la « race » (par exemple ceux qui racialisent la question sociale) sont plus souvent nommés et subventionnés puisqu’ils ne remettent pas en cause l’ordre capitaliste. Voilà qui explique le pourquoi du développement de la gauche identitaire et subjectiviste. Et c’est pourquoi nous continuerons à dire qu’on n’utilise pas une fiction, « la race », pour combattre un fait, « le racisme ».

Et c’est bien le rassemblement autour de la question sociale qui peut permettre à une majorité de gagner syndicalement et politiquement. Nous sommes tous d’accord qu’il faut globaliser les combats dans une vision holistique(12)Holistique signifie qui prend en compte une chose dans sa totalité, sans la diviser en parties. (combats sociaux, laïques, démocratiques, écologiques, antiracistes, antisexistes, républicains), mais avec le primat de la question sociale. En effet, seule la question sociale peut former le bloc historique populaire majoritaire qui peut gagner dans les luttes sociales comme dans les urnes.

Exemple : l’IVG entre droit formel et droit réel ou l’effectivité des droits

Prenons un exemple, on vient de constitutionnaliser le droit à l’IVG. Très bien ! Mais on a reculé depuis des années sur l’effectivité du droit à l’IVG à cause des reculs sociaux dans le système de santé, dans les hôpitaux et les centres IVG. Et c’est par le combat social que nous pourrons gagner sur l’effectivité du droit et pas uniquement en constitutionnalisant le droit à l’IVG. Et pour cela, nous rappelons que l’on ne peut pas gagner si, comme au premier tour des législatives de 2022, 70 % des ouvriers, des employés et des jeunes de moins de 35 ans pratiquent l’une des 4 formes d’abstentions au vote exprimé.

Les conditions de la lutte contre le nihilisme capitaliste

La bataille sera dure et difficile, car il faudra quitter cette troisième phase pour la suivante. Pour cela, il conviendra de changer de paradigme, c’est-à-dire de représentation du monde, de manière de voir les choses. Pour cela, il faut mener à terme la critique radicale de l’existant et ensuite vaincre les obstacles épistémologiques(13)Gaston Bachelard : cela désigne ce qui vient se placer entre le désir de connaître du scientifique et l’objet qu’il étudie. Cet obstacle induit en erreur quant à ce qu’il croit pouvoir savoir du phénomène en question.. Cela nécessite d’être assez robuste pour remettre en cause le paradigme précédent. Vaincre les obstacles épistémologiques revient à supprimer ce qui se trouve entre le désir de comprendre et le réel étudié. Ou dit autrement, de connaître à nouveau contre une connaissance antérieure selon le mot de Gaston Bachelard.

D’abord, comprendre que l’on ne peut pas, sans avoir effectué un débat raisonné, reprendre in extenso une stratégie, un modèle, un programme qui a failli dans la phase précédente.

Être en capacité de remettre en cause des stratégies inefficaces et discuter avec les salariés

Commençons par la géopolitique. Si on estime que la guerre Russie-Ukraine ouvre sur une nouvelle géopolitique, alors il convient de définir le paradigme qui lui correspond. Si un militant vous dit : « J’ai un bon programme qui était déjà le nôtre dans l’ancienne phase politique durant laquelle nous avons constamment reculé sur tous les combats centraux », répondez-lui, qu’il convient peut-être de voir si nous ne devons pas remettre en cause l’ancien paradigme et que l’erreur reste humaine, mais persévérer serait diabolique.

Idem pour la désindustrialisation qui n’a, semble-t-il, pas gêné grand monde dans leur réflexion alors que la désindustrialisation est en grande partie due à la volonté du grand patronat de briser la classe ouvrière française qui a été capable de mener la plus grande grève de l’histoire de France en mai-juin 1968. Il suffit de voir comment certains pays se réindustrialisent et ce sont ces pays qui progressent et pas les autres. Et que la cause des prix de revient dans la chaîne des valeurs ne peut pas expliquer le revirement actuel.

Idem pour voir qu’il ne suffit plus d’organiser avec l’Intersyndicale treize « randonnées pédestres » pour gagner la bataille des retraites même si plus des 2/3 du peuple et 4/5 des actifs étaient défavorables à la nouvelle loi. Peut-être faut-il revenir à une pratique de résistance à la lutte des classes organisée par le grand capital ? Dans ce cas, il faudrait non seulement distribuer des tracts, mais aller discuter avec chaque travailleur un par un sur plusieurs mois, puis organiser des débats à la base comme cela s’est passé ici et là et notamment lors des préliminaires à la victoire des syndicats automobiles étasuniens contre les « Big Three »(14)Les Big Three (également surnommés MBB) représentent les trois cabinets de conseil en stratégie les plus influents du monde. Les cabinets composant les Big Three sont McKinsey & Company, Boston Consulting Group (BCG) et Bain & Company.. Mais oui, ils ne lâcheront rien sans blocage du système économique ! Mais pour cela, il faut passer moins de temps à discuter avec le grand patronat et les directions d’entreprise et plus de temps avec les salariés.

Renouer avec les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité…

Contre le nihilisme, retrouvons la défense des principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de démocratie, de solidarité, de laïcité, de souveraineté populaire, de sécurité et de sûreté, d’universalisme concret et de développement écologique et social. Mais ces principes, on doit les défendre partout, dans la vie de tous les jours et dans tous les territoires, sans s’arrêter à la porte des entreprises, des organisations syndicales, politiques et associatives. Si ce n’est pas une gauche de gauche qui défend tous ses principes, ne vous étonnez pas que, par dépit, le vote extrême droite se développe.

L’extrême centre et le néant vs République sociale

Dans une vidéo célèbre, Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, caractérise l’extrême centre macroniste d’être un « aménageur du néant vectorisé par la puissance »(15)La dévastation du monde par « les derniers des Hommes » – Johann Chapoutot – Élucid (elucid.media). ! Mais si ce qu’il dit est vrai, et nous le pensons ainsi, on ne sort pas du néant simplement avec une liste de mesures programmatiques. Il nous faut un vrai projet social qui pour nous ne peut être qu’une République sociale dotée des principes que nous venons d’énoncer et qui sont abandonnés y compris par des directions de gauche. Et pour lutter contre le vecteur puissance du bloc bourgeois, il nous faut un bloc historique populaire majoritaire. Aujourd’hui, la gauche dépasse tout juste 30 % des suffrages exprimés tout en s’invectivant les uns les autres en dehors de tout débat raisonné. Et de plus sur une base politique qui est en deçà du programme du Conseil national de la Résistance et même du programme de la gauche en 1981.

Et même sur les problèmes sociétaux, critiquer les atteintes aux droits de l’homme et du citoyen dans la dizaine de pays des BRICS, OK, mais pourquoi aussi peu de mobilisation pour Assange, contre Guantanamo. Pourquoi refuser que le viol soit une arme de guerre sauf dans le cas des femmes juives violées le 7 octobre par le Hamas ? Si la gauche n’est plus capable de se projeter contre tous les racismes sans exception, c’est grave ! Il en va de la promotion de l’universalisme concret !

Le bloc bourgeois fait descendre la France en enfer et que fait la gauche ?

Nous avons déjà fait un article sur le retard que l’Union européenne prend par rapport aux États-Unis. Mais nous ne pouvons-nous satisfaire que, en plus la France soit le pays de la zone euro qui a le plus augmenté son ratio dette publique/PIB sur les années 2019-2023 soit 13,1 points de PIB, et que l’Allemagne n’ait augmenté que de 3,1 points de PIB. Et cela pour une croissance de 2,1 % contre 3,5 % pour l’ensemble de l’Union économique et monétaire (20 pays de la zone euro).

Pour une stratégie alternative qui rassemble au-delà des seules banlieues

Sur le plan économique et social, le discours de la LFI est uniquement un discours de redistribution qu’il essaye de vectoriser avec des généralités peu concrètes. Même si cela s’avère nécessaire, la demande sociale ne se cantonne pas à une autre répartition des richesses. Elle est également portée par la qualité du travail, les conditions de travail, l’implication par la démocratie, la solidarité, la fraternité, la sécurité et la sûreté, le développement écologique et social concret, la laïcité, l’universalité concrète (c’est l’universalité abstraite qui est mal vécue !).

Sa stratégie agonistique qui divise la population est mal vécue : d’ailleurs les excellents scores réalisés par la LFI dans les sondages effectués dans les banlieues où la communauté musulmane est importante vont de pair avec les faibles résultats dans la classe populaire géosociale des zones périurbaines et rurales. Il faut changer de stratégie, car on ne peut pas faire ce que préconise François Ruffin d’abonder le bon score des banlieues populaires des métropoles par une augmentation dans d’autres classes géosociales sans changer globalement de stratégie pour répondre à la demande sociale globale. Quant au PS et EELV, ils n’ont pas encore rompu les amarres avec le néolibéralisme et l’ordolibéralisme. Quant au PC, il n’arrive plus à remettre pied dans la classe populaire ouvrière et employée en activité. Quant aux forces néo-trotskistes, il reste dans une marginalité douillette.

Car ce qui se profile est en fait une ghettoïsation sociologique séparée propre à chaque parti de gauche. Ou dit autrement, nous risquons d’avoir une plus grande géosocialisation séparée de chaque parti de gauche. Du côté de la mixité sociale, ce n’est pas gagné ! Rendez-vous à la mi-juin pour en reparler !

De pis en pis pour le grand nombre, des records inégalés pour les profits et les dividendes

Sur les quatre années précédentes, l’amélioration du pouvoir d’achat des Français a en effet été tirée par les revenus du patrimoine et les baisses de fiscalité et pas par les revenus du travail, révèle une étude de l’OFCE(16)Source : étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).. Qui bénéficie de la baisse de la fiscalité et de la croissance des revenus du patrimoine ? On voit bien là que les prolétaires qui ne vivent que par les revenus de leur travail ont vu les inégalités croître avec ceux qui gagnent par les baisses de la fiscalité (les CSP+) et par la croissance de leurs revenus du patrimoine.

Dépenses publiques françaises extrêmes : mensonge

Il faut en finir avec le mensonge néolibéral de l’extrême centre macroniste qui fait croire que le montant des dépenses publiques est plus fort en France que dans d’autres pays européens. C’est faux ! En France le système des retraites est comptabilisé dans les dépenses publiques. Dans beaucoup de pays européens, ce n’est pas le cas pour tout ou partie du système. Dans certains pays européens, des dépenses comptabilisées en France comme dépenses publiques (école, santé) sont comptabilisées comme dépenses privées sur le tout ou partie. Si l’on veut socialiser contre le capital plutôt que privatiser au profit du capital, il faut être capable de souhaiter que les dépenses publiques soient plus importantes que dans un pays encore plus privatisé que la France.

Pour satisfaire au Plan de stabilité exigé par l’Union européenne pour le retour aux exigences maastrichtiennes, Bruno Le Maire a engagé un rabotage des dépenses publiques de 10 milliards d’euros pour 2024, en prévenant qu’il y aurait de nouveau une diminution des dépenses en 2025 de 20 milliards. Mais ce n’est pas suffisant, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, qui entend respecter l’ordolibéralisme de l’Union européenne, parle lui d’un minimum de 50 milliards. Sur des sommes comme celles-là, cela impactera forcément l’école, la santé, les retraites (bientôt une nouvelle bataille des retraites ?). Des dizaines de milliers de postes en moins en perspective !

Il est un fait qu’avec une politique sociale et fiscale favorisant le bloc bourgeois au détriment des prolétaires qui n’ont que leurs salaires ou allocations pour vivre, qu’avec des résultats économiques médiocres sauf pour quelques multinationales, avec un écart de productivité grandissant avec les nations plus productives de la planète, avec une politique extérieure basée sur une très forte augmentation du budget des armées et du complexe militaro-industriel, il ne reste plus, comme pseudo-solution, qu’à taper sur les plus pauvres pour faire marcher le système et à diviser le peuple : les actifs contre les retraités, les actifs qui ont un travail contre les actifs qui sont au chômage, les jeunes contre les anciens, les ruraux contre les urbains.

Plus d’argent dans les caisses ? Et l’explosion des profits et dividendes ?

Certains disent, il n’y a plus d’argent dans les caisses. Mais c’est vrai ! Regardons alors là où est l’argent. Car le caractère morose de l’analyse du réel de la France tranche avec le record toutes catégories en termes de profits et de dividendes. Les multinationales du CAC 40 ont généré, d’après Scalens, 153,6 milliards d’euros de profits l’an dernier (plus de 74,6 % en 6 ans), 30,1 milliards d’euros de rachats d’actions (plus de 181 % depuis 6 ans) et 67,8 milliards de dividendes (plus de 58,8 % en 6 ans !). Je propose que chaque lecteur fasse la différence pour lui ou pour elle depuis 2018 ! Total 19,3 milliards de profit correspondant à +4 % par rapport à l’année précédente, Stellantis, 18,6 milliards et 11 %, LVMH, 15,2 milliards et 7,7 %, 11 milliards et 11,4 % et Axa 7,2 milliards et 42,1 % sur un an.

Assurances privées contre la Sécurité sociale

Juste un petit point sur ce dernier cas. Nous avons à plusieurs reprises dit, dans ReSPUBLICA et dans toutes nos conférences, depuis longtemps, que la politique néolibérale organisée par la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF) depuis les années 80 rejoint dans les années 1990 par la Fédération des mutuelles de France-FMF, après avoir accepté avec joie la directive européenne Solvabilité 1 et 2 de l’Union européenne sous la houlette de François Mitterrand et de René Teulade, allait favoriser le développement de la Fédération française des sociétés d’assurances (FFSA affilié au Medef). La FNMF, la FFSA et les instituts de prévoyance (avec Malakoff Humanis par exemple) se sont liés au sein de l’Union nationale des organismes complémentaires à la Sécurité sociale (UNOCAM) en 2004 sous la houlette de Jacques Chirac et de Philippe Douste-Blazy. Eh bien, voilà le résultat : AXA, fleuron de la FFSA, concentre le « jackpot » et tant pis pour la Sécurité sociale et les travailleurs.

Les hausses des profits financées par les contribuables et les salariés

Et tout cela, non pas parce qu’il y a une augmentation du taux de profit, car c’est le contraire (nous sommes en crise et le taux de profit réel s’est effondré, le capitalisme ne peut plus fonctionner sans les politiques d’austérité qui organise des transferts des plus pauvres vers les plus riches via l’impôt), mais parce que les contribuables et donc les Français financent les grandes entreprises avec des aides de l’État sans contrepartie. À noter qu’en 2000, les « cadeaux » s’élevaient à 40,5 milliards soit 2,7 % du PIB. En 2019, ils s’élevaient à 156,9 milliards soit 6,4 % du PIB. Elle n’est pas belle la vie pour le bloc bourgeois, le montant des profits des entreprises est du même ordre que le montant des aides fournies par nos impôts ! C’est le bas qui finance le haut !

Je vous le dis, la vie est belle pour les dirigeants des grandes entreprises. Il faudra bien un jour que cela cesse, non ? Et si on se mobilisait pour cela ?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Le terme de nihilisme possède des significations multiples dans l’histoire de la pensée. L’auteur estime qu’il y a nihilisme lorsqu’il y a effondrement des principes et des valeurs et création d’un nouveau primat surplombant tout le reste. L’auteur de ce texte appelle donc nihilisme capitaliste la caractérisation de notre moment historique qui voit s’effondrer les principes républicains avec création d’un nouveau primat autour de l’argent seul qui, pour l’instant, se délivre, petit à petit, de toute contrainte. Il y a donc processus d’aménagement du néant vectorisé par la puissance. La résistance, le sursaut, la bifurcation est toujours souhaitable et possible, mais demande des conditions d’émergence à construire. Mais il convient alors d’abord de rompre avec la virtualisation du combat politique qui s’apparente à la société du spectacle chère à Guy Debord.
2 Le capitalisme néolibéral est la phase du capitalisme durant laquelle l’économie doit être régie par le libre-échange généralisé, par une déréglementation et une privatisation maximale avec de moins en moins d’intervention des politiques de l’État. Cette phase du capitalisme a pris le pouvoir dans le monde à la fin des années 70 et en France durant les années 1982-83.
3 Le capitalisme ordolibéral est un courant de pensée du capitalisme libéral né en Allemagne après la crise de 1929 selon lequel la mission de l’État est de créer et de maintenir un cadre normatif permettant la « concurrence libre et non faussée » de tous contre tous à commencer par les entreprises. Ce courant économique s’est développé dans l’Allemagne nazie et après la Deuxième Guerre mondiale par le management et par des travaux d’économistes notamment par la Société du Mont pèlerin. Il a constitué le cœur théorique de la construction européenne jusqu’à l’Union européenne actuelle. Pour aller plus loin, lire Libres d’obéir de Johann Chapoutot et/ou la vidéo La dévastation du monde par « les derniers des Hommes » – Johann Chapoutot – Élucid (elucid.media).
4 L’anomie est un état de désagrégation d’une société dû à la disparition des principes et des règles de cette société.
5 Le subjectivisme est une pensée qui juge tout d’après ses impressions et ses opinions personnelles.
6 Le solipsisme est un idéalisme selon lequel il n’y a pas d’autre réalité que sa conscience propre.
7 L’essentialisme désigne en sociologie l’idée selon laquelle l’essence précède son existence. Par exemple, une vision essentialiste dira « les femmes sont comme ci, les hommes sont comme ça » niant le fait de la non-homogénéité des hommes et des femmes.
8 Le relativisme est une vue philosophique qui nie les prétentions à l’objectivité. Le relativiste déclare que toutes les idées se valent.
9 La cancel culture décrit un processus au moyen duquel une personne dénoncée publiquement sans jugement est expulsée des cercles sociaux ou professionnels.
10 C’est une pensée identitaire conflictuelle à partir de la « race » du genre, ou l’orientation sexuelle. Cette idéologie développe par exemple l’idée qu’il y a d’un côté le mâle blanc prédateur et de l’autre les minorités raciales et sexuelles. Cette idéologie est largement soutenue par le nihilisme capitaliste, car elle nie la lutte des classes et tente de supprimer le primat de la question sociale qui seul peut permettre une transformation sociale et politique émancipatrice.
11 Voir notre précédent article « Pour un universalisme concret ».
12 Holistique signifie qui prend en compte une chose dans sa totalité, sans la diviser en parties.
13 Gaston Bachelard : cela désigne ce qui vient se placer entre le désir de connaître du scientifique et l’objet qu’il étudie. Cet obstacle induit en erreur quant à ce qu’il croit pouvoir savoir du phénomène en question.
14 Les Big Three (également surnommés MBB) représentent les trois cabinets de conseil en stratégie les plus influents du monde. Les cabinets composant les Big Three sont McKinsey & Company, Boston Consulting Group (BCG) et Bain & Company.
15 La dévastation du monde par « les derniers des Hommes » – Johann Chapoutot – Élucid (elucid.media).
16 Source : étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).