Des mesures austéritaires contreproductives économiquement et socialement
Pour justifier son plan austéritaire, François Bayrou s’appuie sur la dette publique qui, certes, doit être réduite. Il pratique la stratégie de la peur pour empêcher la réflexion.
Florilège de ses propos outranciers et fallacieux :
- « On s’est habitué à ce déficit », évoquant « une malédiction qui n’a pas d’issue ».
- « En 2029, si nous ne changeons rien, la part des dépenses publiques [pour rembourser la dette] serait de 100 milliards d’euros ».
- « Alors il faut agir. Agir vite et agir fort, mais agir avec justesse et justice ». Et pourtant, la justice qu’il prône est absente de son plan. Il affirme réaliser des économies sans impôts supplémentaires. En réalité, les mesures proposées reviennent à demander aux Français de dépenser plus du fait de la réduction des remboursements, de la non-revalorisation des retraites…Les contribuables les plus fortunés, les grandes entreprises ne sont pas mis à contribution.
- « Nous sommes devenus accros à la dépense publique (…). La France est devenue le pays du monde qui dépense le plus d’argent public.57 % de notre production nationale chaque année, 57 % dépensés contre 50 % seulement de recettes ». C’est une affirmation trompeuse, puisqu’une partie non négligeable revient dans la poche des contribuables sous forme de prestations sociales.
- « si l’abondance des impôts faisait la richesse et le bien-être d’une nation, nous serions le pays le plus prospère et le plus heureux de la planète… ». Il oublie de désigner le mauvais usage des impôts du fait d’orientations pluridécennales qu’il soutient.
- « Partout, la guerre est revenue et elle se mondialise. … Nous ne pourrons pas laisser notre continent désarmé ou soumis aux seuls choix américains ». Et pourtant, les commandes profitent aux États-Unis et non aux producteurs français ou européens.
- Autre affirmation mensongère : « Tout le monde devra participer à l’effort ».
La liste des mesures fait froid dans le dos :
- Il affirme que l’État va « reprendre la maîtrise de sa masse salariale en réduisant de 3 000 postes le nombre d’emplois publics dès 2026 », ainsi qu’en instaurant la règle du « non-remplacement d’un fonctionnaire sur trois partant à la retraite ». Autrement dit, c’est la poursuite de la détérioration du niveau en quantité et en qualité des services publics déjà mis à mal.
- Il affiche l’objectif suivant : « la maîtrise de la dépense publique passe aussi par la maîtrise de la dépense sociale » et il évoque « un effort de l’ordre de 5 milliards d’euros ». Des efforts sont certes à fournir et, surtout, mettre en œuvre un système de prévention efficace des maladies est indispensable, mais cela suppose des médecins scolaires, des centres médicaux dédiés(1)voir l’article d’Olivier Nobile paru dans ce numéro : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-societe/respublica-crise-sanitaire/sante-plan-dausterite-bayrou-2026/7438818.…
- « En ce qui concerne les arrêts maladie, nous devons mettre fin à une dérive ». De manière péremptoire, il affirme que « 50 % d’arrêts de travail [sont] injustifiés ». Comme si les gens tombaient malades par plaisir, même si les abus sont à sanctionner. De bonnes conditions de travail seraient efficaces pour combattre l’absentéisme.
- Il officialise que 2026 sera une « année blanche », dans « laquelle on n’augmente plus ni les prestations, ni les barèmes ». Cela impliquera la baisse des dépenses de la Sécurité sociale (5,5 milliards d’euros) et donc des remboursements.
- Est annoncée une modification de l’abattement fiscal pour le calcul de l’impôt sur le revenu des retraités. Cet abattement ne sera plus exprimé en pourcentage, mais en « forfait annuel ». Une façon de traiter les retraités de privilégiés alors que, depuis plus de dix ans, le niveau des pensions est rogné.
- « Il faut travailler plus, que toute la Nation travaille plus » ; François Bayrou propose « que deux jours fériés soient supprimés » (le lundi de Pâques et le 8 mai). Propos fallacieux s’il en est : la moyenne de temps de travail hebdomadaire en Europe se situe à 34,4 heures et en France à 34,8 heures (Source Eurostat).
- Le Premier ministre souhaite « refonder le modèle de financement de notre système social », un « très grand chantier » qui devra permettre de « moins faire peser sur le travail » ce financement. Autrement dit, il s’agit d’exonérer les entreprises des cotisations sociales alors qu’elles représentent des revenus socialisés au bénéfice des travailleurs.
- S’ajouterait la diminution du financement des collectivités (5,3 milliards d’euros).
- François Bayrou propose « à tous les acteurs » de « mettre au point avec le gouvernement dès cet été la liste des simplifications et des allègements de libertés nécessaires, utiles ou souhaitables». Comment ne pas comprendre qu’en filigrane, les droits des travailleurs sont considérés comme liberticides pour les détenteurs de capitaux ?
- « notre pronostic vital comme État est engagé ». C’est une dramatisation à outrance pour fermer le débat nécessaire.
Ouverture à la discussion comme faux semblant
Le Premier ministre se dit ouvert à toutes les idées améliorant son plan – qui est « perfectible » : « qu’elles proviennent des partis politiques, des groupes parlementaires, du Conseil économique social et environnemental, des partenaires sociaux, des collectivités territoriales ou des citoyens ». Comme pour le conclave, il ferme le débat en affirmant que les orientations de son plan socialement rétrogrades ne devront pas signifier « reculer, amoindrir ou atermoyer ».
Autrement dit, discutons sans rien changer à son plan.
Synthèse de ce plan : les ajustements budgétaires ne doivent pas dégrader la justice sociale déjà mise à mal
Au-delà des détails, ils résultent de ce plan ce que l’on nous serine depuis le virage austéritaire de 1983 :
- refus d’une véritable réforme fiscale pour mieux imposer les plus riches et les grandes entreprises,
- démantèlement des services publics et de la protection sociale, quitte à augmenter encore la pauvreté et les inégalités,
- déni des causes de la dette publique :
- Baisses des impôts pour les plus riches et les grandes entreprises. Depuis l’élection de Macron en 2017, les baisses d’impôts et de prélèvements représentent au moins 308 milliards d’euros de manque à gagner pour les finances publiques, dont 207 milliards d’euros de cadeaux fiscaux aux plus riches et aux grandes entreprises.
- Baisse des recettes fiscales : selon l’INSEE, entre 2017 et 2024, les dépenses publiques ont été réduites de 57,7 % du PIB à 57,2 % du PIB. En revanche, les recettes, durant la même période, se sont contractées, passant de 54,3 % du PIB à 51,4 %.
- Une note de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) contredit le propos ministériel publié le 11 juillet 2025 : le creusement du déficit public français depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron à la tête de l’État s’explique par la baisse du taux des prélèvements obligatoires, et non pas par une dérive des dépenses publiques.
- Aggravation de l’injustice sociale : ce plan va en réalité réduire le pouvoir d’achat des plus pauvres, des fonctionnaires, des retraités, des classes moyennes… tout en épargnant ceux qui peuvent le plus contribuer à l’effort et qui se sont considérablement enrichis par la politique macroniste depuis 2017, qui a augmenté la pression des précédents gouvernements sur les plus pauvres.
Une contribution en trompe-l’œil des plus fortunés
Pour mieux faire passer cette amère pilule, le Premier ministre annonce une très vague lutte contre « l’optimisation abusive des patrimoines non productifs ». Cela relèvera du simple symbole, bien loin de la taxe Zucman avec ces 20 milliards d’euros par an pour 1 800 foyers fiscaux disposant de 100 millions et plus de patrimoine(2)https://www.publicsenat.fr/actualites/economie/la-taxe-zucman-arrive-au-senat-on-vous-explique-les-enjeux-qui-se-cachent-derriere-cette-taxe-qui-vise-les-ultras-riches.. C’est quand même la moitié des économies recherchées par le Premier ministre.
La question des deux jours fériés supprimés : 8 mai date symbolique
« Il faut discuter par concertation nationale la possibilité de faire en sorte qu’une journée par an, on puisse travailler pour la solidarité », déclarait, le 26 août 2003, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, suite au décès de 15 000 personnes, principalement des gens âgés, isolés et vulnérables. Le choix tomba sur le lundi de Pentecôte. Aujourd’hui, c’est pour participer au retour à l’équilibre budgétaire du pays que deux jours fériés devraient disparaître. Concernant les conséquences économiques d’une telle mesure, il s’avère que ni la production nationale ni la croissance n’augmenteraient. L’exemple d’autres États montre qu’ « il n’y a pas toujours de corrélation entre nombre de jours fériés et croissance économique »(3)https://www.ekonomico.fr/2025/07/suppression-de-deux-jours-feries-travailler-plus-sans-gagner-plus/..
Outre l’impact minime, voire insignifiant, sur les recettes fiscales, le choix du 8 mai revêt une symbolique forte. Le 8 mai, c’est la mémoire de la défaite du totalitarisme fasciste et nazi. C’est le programme du Conseil national de la Résistance avec la mise en place de la Sécurité sociale, les nationalisations. C’est le rejet de toute tutelle administrative(4)AMGOT : le gouvernement militaire allié des territoires occupés (en anglais : Allied Military Government of Occupied Territories, ou AMGOT) est un gouvernement militaire d’occupation composé d’officiers américains et britanniques chargés d’administrer les territoires libérés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. grâce aux mouvements de Résistance et de Gaulle. C’est le début d’une période de prospérité économique et d’élévation généralisée du niveau de vie au cours de laquelle les détenteurs de capitaux devaient se plier aux règlementations sociales et démocratiques. C’est certes un exemple qui invalide l’idéologie des tenants de la pensée unique ultralibérale et néoconservatrice.
Quelle perspective politique ? Remettre à l’ordre du jour la centralité de la question sociale à gauche
Force est de constater qu’à l’Assemblée nationale, une majorité pour une censure du gouvernement semble se dessiner. Les préoccupations des différents mouvements politiques pour séduire des groupes, des catégories d’électeurs prennent le pas sur l’intelligence collective pour définir des solutions dans l’intérêt général, pour une réforme de la fiscalité reposant sur une contribution progressive selon la situation de fortune, pour réindustrialiser le pays, pour organiser la souveraineté alimentaire.
À gauche, la division semble de mise. Même si cela paraît incantatoire, les mouvements de gauche, syndicaux, devraient se rappeler ce qu’affirmait Jean Jaurès : « sans la République, le socialisme est impuissant : sans le socialisme, la République est vide. » La gauche doit remettre sur le devant de la scène la centralité de la question sociale. L’unité à gauche ne prend sens que sur cette base.
Notes de bas de page
↑1 | voir l’article d’Olivier Nobile paru dans ce numéro : https://www.gaucherepublicaine.org/respublica-societe/respublica-crise-sanitaire/sante-plan-dausterite-bayrou-2026/7438818. |
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↑2 | https://www.publicsenat.fr/actualites/economie/la-taxe-zucman-arrive-au-senat-on-vous-explique-les-enjeux-qui-se-cachent-derriere-cette-taxe-qui-vise-les-ultras-riches. |
↑3 | https://www.ekonomico.fr/2025/07/suppression-de-deux-jours-feries-travailler-plus-sans-gagner-plus/. |
↑4 | AMGOT : le gouvernement militaire allié des territoires occupés (en anglais : Allied Military Government of Occupied Territories, ou AMGOT) est un gouvernement militaire d’occupation composé d’officiers américains et britanniques chargés d’administrer les territoires libérés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. |